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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 20

Le mercredi 23 février 2022
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mercredi 23 février 2022

La séance est ouverte à 9 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.


[Traduction]

ORDRE DU JOUR

La Loi sur les mesures d’urgence

Motion tendant à ratifier la déclaration d’état d’urgence—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson,

Que, conformément à l’article 58 de la Loi sur les mesures d’urgence, le Sénat ratifie la déclaration d’état d’urgence proclamée le 14 février 2022.

L’honorable David Arnot : Honorables sénateurs, je prends la parole depuis le territoire du Traité no 6, à Saskatoon, en Saskatchewan, la patrie des Métis.

À titre de rappel, je suis en faveur de la motion et je parlerai de la primauté du droit, des institutions démocratiques du Canada et de l’espoir que j’entretiens que l’éducation joue un rôle dans le maintien de notre démocratie. Comme vous l’aurez remarqué, j’ai commencé mon discours hier soir. Par conséquent, j’ai pu procéder à un second examen objectif des propos que je vais tenir ce matin, mais c’est vous qui en jugerez en fin de compte.

Les Canadiens ont le droit de manifester, mais, dans une société libre et démocratique, une limite raisonnable s’applique à ce droit. Il n’existe aucun droit protégé qui permet d’assiéger et d’occuper illégalement des secteurs de la Cité parlementaire et du centre-ville d’Ottawa. Les activités criminelles, le harcèlement, les agressions et l’intimidation dans les zones occupées ne correspondent pas à une manifestation politique pacifique. Si des doutes subsistent quant à la nature pacifique de la manifestation, il faut savoir que l’équilibre a été rompu lorsque les organisateurs ont mis en œuvre leur plan de s’installer à long terme avec l’intention de fomenter une sédition.

L’occupation a été préméditée et financée par des dons de plusieurs millions de dollars, dont une partie provenait de sources étrangères. C’était un geste hors norme et non une manifestation politique protégée ordinaire. L’objectif avoué des organisateurs était d’imposer la fin des exigences vaccinales liées à la COVID-19 et, pendant leur occupation, ils ont menacé de forcer le gouvernement du Canada à accéder à leurs revendications, la plus délirante étant que la gouverneure générale du Canada et le Sénat déposent le gouvernement récemment élu du Canada pour créer un gouvernement non élu composé de personnes choisies par les occupants.

Pendant l’occupation, les manifestants se sont retranchés, ont érigé des camps et se sont enracinés. Ils ont fait fi du droit des citoyens d’Ottawa de pouvoir jouir en toute quiétude de leur foyer et de leurs commerces. Les barrages à des points d’entrée clés le long de la frontière canado-américaine, avec la complicité et la sympathie des occupants, étaient tout aussi inquiétants. Cette occupation illégale et ces barrages frontaliers sont sans précédent au Canada. Cette situation extraordinaire nécessitait une réaction extraordinaire.

Pendant ce débat, j’ai entendu des sénateurs se demander pourquoi la mise en application de cette loi reste nécessaire vu que le convoi a été dispersé et a quitté Ottawa. Je sais que vous vous inquiétez du caractère excessif et de la pertinence de ces mesures à ce point-ci. En tant qu’ancien juge et procureur principal de la Couronne, je peux vous dire qu’une opération de cette ampleur requérant la participation d’autant d’unités et d’ordres de gouvernement différents ne peut s’arrêter sur un simple claquement de doigts. Une bonne partie du travail se poursuit afin d’identifier les auteurs de ces activités criminelles, tant au pays qu’à l’étranger.

Comme nous l’avons constaté, le maire et le Service de police de Winnipeg doivent aussi gérer un regroupement de camionneurs, stationnés devant l’Assemblée législative du Manitoba.

Je ne saurais vous dire si les activités potentiellement séditieuses et les comportements marginaux de certains manifestants ont cessé simplement parce que le barrage à Ottawa a été démantelé. Les policiers les plus impliqués dans cette opération ont indiqué que la situation est telle qu’il est nécessaire de poursuivre leurs démarches opérationnelles, tout en précisant qu’ils ne crient pas victoire. Ils n’ont pas dit que les risques étaient complètement dissipés. Ils continuent d’évaluer la menace au fur et à mesure.

Les forces policières ont une immense responsabilité. L’un des dirigeants des manifestants qui se trouvaient au site de rassemblement sur le chemin Coventry a déclaré ce qui suit au moment de quitter les lieux : « Ce n’est pas fini. On va changer pour des tactiques de guérilla. » Les mots exacts m’échappent, mais c’était le même message.

Je fais confiance au professionnalisme des corps policiers. Les membres du Cabinet, les fonctionnaires et l’autre endroit sont persuadés de la nécessité d’adopter cette loi, et il faut leur donner le bénéfice du doute, même si cela accorde des pouvoirs sans précédent. Le gouvernement Mulroney avait fait en sorte que la loi prévoie la tenue d’un examen subséquent, et c’est une décision sage.

J’exhorte les sénateurs à pécher par excès de prudence et de bon sens. Selon les informations dont dispose le Sénat, je pense que les critères de mise en œuvre de la Loi sur les mesures d’urgence ont été satisfaits. Le gouvernement du Canada doit rétablir la confiance du public pour montrer que l’État a la capacité d’assurer la sécurité des citoyens canadiens. L’État doit faire respecter la primauté du droit. Elle ne peut pas exister si les lois ne sont pas appliquées ou s’il n’y a pas de conséquences pour les gens qui choisissent de ne pas les respecter.

Ce siège choquant et illégal a révélé des faiblesses et des vulnérabilités auxquelles les parlementaires doivent remédier en priorité. La réputation du Canada comme l’une des plus fortes démocraties du monde a été affaiblie à l’échelle internationale. L’économie du Canada a été touchée.

Les Canadiens attendent du gouvernement qu’il assure la sécurité, la protection et le fonctionnement des institutions démocratiques. Les changements s’opèrent à un rythme sans précédent. Ils se produisent sur le plan technologique, culturel, social et politique. La complexité engendre l’incertitude. L’incertitude a engendré la peur, l’anxiété et la colère. Certains citoyens canadiens se sentent privés de leurs droits. Certaines démocraties occidentales sont plongées dans cette incertitude, car elle a donné naissance au populisme, au racisme et à la haine.

Le Canada n’est pas à l’abri. Certains citoyens se sentent déconnectés. Nous avons assisté à une promotion de l’anti-intellectualisme, à une aliénation et à une polarisation. Certains citoyens perdent confiance dans les institutions démocratiques. Certains citoyens s’en méfient. Certains ne comprennent pas suffisamment les rôles de ces institutions. Je pense ici aux rôles des journalistes, du système judiciaire et du Sénat. Ces rôles consistent à fournir des freins et des contrepoids afin de demander des comptes au gouvernement. Certains citoyens ne comprennent pas pleinement les responsabilités qui accompagnent la citoyenneté canadienne.

(0910)

Certains citoyens se sentent dissociés de la société. Des individus sinistres encouragent une certaine vision des institutions dans le but d’exploiter les malheurs de personnes marginalisées et très vulnérables. Ils cherchent à endoctriner des gens dans le but de leur faire adopter une vision malveillante et, au final, d’affaiblir notre démocratie. Certains citoyens se contentent de demi-vérités et de réponses simples à des questions complexes, un phénomène qu’encouragent et que manipulent, sur les médias sociaux, des forces malveillantes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Canada. La démocratie est fragile.

Certains Canadiens tiennent pour acquis la démocratie, les libertés et les droits de la personne dont nous bénéficions. C’est une attitude dangereuse. La liberté exige une vigilance continue, et cette vigilance exige des connaissances. L’éducation est source de connaissances. L’éducation est le moteur de la démocratie. La démocratie est renforcée par l’éducation, les connaissances et la compréhension et, par ricochet, par un engagement envers les institutions démocratiques du Canada, la paix, l’ordre et le bon gouvernement.

J’ai entendu plusieurs manifestants affirmer qu’ils agissaient au nom de la liberté. Quel paradoxe! Des manifestants ont voulu invoquer leurs « droits en vertu du premier amendement » et leurs « droits Miranda » lorsqu’ils ont été arrêtés près de la Colline du Parlement. Ils ne comprenaient clairement pas qu’ils faisaient référence à la Constitution américaine. Les manifestants ont répété des mots et des concepts qu’ils ne comprenaient pas. Ils ont parlé de liberté sans sembler comprendre qu’ils disposaient de recours, que ce soit devant les tribunaux ou à la prochaine élection.

Cette manifestation nous aura permis de constater que nous avons fondamentalement échoué à montrer aux citoyens ce que cela signifie d’être canadien. Personnellement, je résume le tout en trois mots : droits, responsabilités et respect. C’est ce que nous devons retenir de tout ce cirque. Nous devons nous y prendre de manière ciblée et proactive afin d’inculquer le sens de la citoyenneté aux jeunes, mais surtout, celui des responsabilités qui vient avec nos droits. Voilà où nous devons fonder nos espoirs pour l’avenir.

Contrairement à ce qu’on voit aux États-Unis, qui n’ont pas d’équivalent à notre article 1 — et c’est sans doute ce qui explique pourquoi la Charte canadienne est aussi respectée de par le monde —, les droits des citoyens canadiens sont équilibrés. Ils ne sont jamais absolus. Ils sont circonscrits par des limites raisonnables, mais surtout, ils sont directement liés aux responsabilités nécessaires dans une société libre et démocratique.

Tous les citoyens canadiens ont la responsabilité de connaître et de comprendre les tenants et les aboutissants de la citoyenneté afin qu’ils ne violent jamais consciemment les droits d’autrui. Tous les citoyens canadiens ont la responsabilité de respecter leur prochain. Rien ne les empêche de ne pas souscrire aux opinions politiques de telle ou telle personne, mais ils doivent toujours respecter le droit de chacun de défendre son point de vue.

Les citoyens canadiens sont libres de contester toute loi, tout décret ou tout règlement. Ils doivent le faire dans le cadre du système qui a évolué dans le monde occidental depuis la Magna Carta. En d’autres termes, si vous estimez que vos droits sont violés ou bafoués, c’est aux tribunaux de notre système démocratique qu’il appartient d’y remédier.

Je crois que, compte tenu des circonstances des dernières semaines, la réponse requise à la menace que nous voyons dans notre démocratie est l’application de la Loi sur les mesures d’urgence. À mon avis, c’est nécessaire à ce moment-ci. Elle est pleinement justifiée et elle est constitutionnelle. Des mesures de sauvegarde y sont intégrées. La déclaration est de courte durée. Elle expirera dans 30 jours, mais elle pourrait être prolongée. Elle fait l’objet d’un contrôle parlementaire mixte. La Loi sur les mesures d’urgence ne l’emporte pas sur la Charte canadienne des droits et libertés. J’estime que la Loi sur les mesures d’urgence constitue une réponse proportionnelle du gouvernement fédéral à la menace qui pèse sur notre démocratie canadienne.

Soulignons que la loi prévoit une enquête. Cette enquête fournira les informations nécessaires pour mieux éclairer toute utilisation future de la Loi sur les mesures d’urgence et de mesures préventives pour remédier aux griefs qui ont précipité ces actions. Nous devons reconnaître l’angoisse, la colère et la peur exprimées par de nombreux citoyens canadiens. Dans la foulée des événements, nous devons apprendre, nous adapter et agir. Nous devons parler à tous les Canadiens sans les pointer du doigt — sans les humilier, sans les blâmer. Les mots ont le pouvoir de blesser, et le Canada a besoin de guérir. Ultimement, le gouvernement canadien est responsable du recours à la Loi sur les mesures d’urgence et doit rendre compte de son application. J’appuie la motion tendant à confirmer la déclaration d’état d’urgence.

[Note de la rédaction : Le sénateur Arnot s’exprime en cri.]

Merci à tous.

Des voix : Bravo!

L’honorable Elizabeth Marshall : Merci, honorables sénateurs, de vos observations et de vos discours. Nous connaissons tous la situation qui a incité le gouvernement à appliquer cette loi, mais les raisons qui nous ont amenés à recourir à la Loi sur les mesures d’urgence pour gérer ce qui était au départ une manifestation pacifique ne sont pas claires.

Le convoi a pris la route autour du 23 janvier. Chaque jour, les médias ont fait rapport sur sa progression, et nous savions tous qu’il se dirigeait vers la Colline du Parlement. Chaque jour, tout le monde pouvait vérifier où se trouvaient les convois. Les médias ont également signalé que de plus petits convois s’apprêtaient à se joindre au convoi principal. Nous savions que des centaines de véhicules et de manifestants, voire des milliers, se dirigeaient vers la Colline du Parlement. Même la police produisait des rapports sur le convoi. Dans les médias, on nous disait que la police surveillait les convois qui arrivaient et qu’elle était en communication avec les organisateurs. Les médias et la police soulignaient que le convoi et les manifestants étaient pacifiques.

Par conséquent, l’arrivée du convoi à Ottawa et son occupation aux abords de la Colline du Parlement n’étaient pas une surprise. Ce qui a été surprenant, c’est le libre accès à Ottawa et à la Colline du Parlement. Les gouvernements savaient que le convoi se dirigeait vers la Colline du Parlement, et malgré cela, les manifestants à bord de leurs gros véhicules n’ont pas été détournés. Même si on savait depuis des semaines qu’un long convoi de véhicules et de manifestants se rendait vers la Colline du Parlement, il n’y avait aucun plan. C’était incroyable.

Le gouvernement n’a aucunement tenté de résoudre la situation. On a laissé les manifestants s’installer sur la Colline du Parlement. L’atmosphère a pris un air de carnaval. On trouvait sur place des spas, des jeux gonflables et des comptoirs de vente d’aliments. Le gouvernement a laissé les manifestants, avec leurs véhicules, s’approprier la Colline du Parlement, le centre-ville d’Ottawa et, en vérité, pratiquement toute la ville d’Ottawa.

Même le ministre fédéral des Transports s’est contenté, dans les entrevues qu’il a accordées aux médias, de simplement demander aux manifestants de rentrer chez eux. Ce n’est que sur l’initiative d’une résidante d’Ottawa qu’une injonction a été obtenue contre le bruit causé par les manifestants. En l’espace de trois semaines, le gouvernement fédéral est passé de l’inaction à l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence et n’a toujours pas expliqué clairement ce qui s’est produit pour l’amener à prendre cette mesure.

Si le gouvernement était conscient que le convoi représentait une menace crédible envers la sécurité avant même son arrivée à Ottawa — car c’est ce qu’on nous a dit hier —, pourquoi a-t-il attendu trois semaines avant d’intervenir en réponse à cette menace? Pourquoi a-t-on laissé les manifestants s’installer sur la Colline du Parlement? Le manque de leadership politique dont a fait preuve le gouvernement ces dernières semaines est absolument incroyable.

L’une des questions que l’on se pose, c’est si le gouvernement avait vraiment besoin d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. Pourquoi la police et le gouvernement fédéral n’ont-ils pas fait leur travail il y a trois ou quatre semaines, c’est-à-dire dès qu’ils ont appris que cette situation se préparait? Plusieurs sénateurs se posent cette question, et je sais que le sénateur Arnot a demandé la même chose au début de son discours ce matin.

Maintenant que les barrages sont démantelés, pourquoi ne pouvons-nous pas mettre fin à l’application de la Loi sur les mesures d’urgence? La police, le SCRS et les autres autorités ne pourraient-ils pas s’occuper du reste et continuer d’évaluer les menaces? Aujourd’hui, nous avons même été avisés de la reprise, aujourd’hui ou demain, des explosions contrôlées dans le cadre de la rénovation de l’édifice du Centre, ce qui porte à croire que la menace s’est bel et bien résorbée.

Plusieurs sénateurs ont soulevé des préoccupations au sujet du gel de comptes bancaires. Ils ont été nombreux à aborder la question hier au Sénat, et cet aspect demeure nébuleux. Il en a également été question à la séance d’information donnée par les ministres la veille. Nous ne savons toujours pas exactement qui est affecté, comment on procède pour dresser la liste noire et quels sont les critères à respecter pour exclure quelqu’un de la liste noire. Nous ne savons pas non plus avec exactitude comment les personnes, les organisations et les entreprises dont les comptes ont été gelés peuvent faire dégeler leurs comptes bancaires, ce qui est d’autant plus important qu’ils n’ont plus accès à leur argent pour retenir les services d’un avocat ou consulter d’autres personnes.

(0920)

Même si un certain nombre de sénateurs ont soulevé cette question, nous n’avons toujours pas reçu d’explication suffisante. Le gel des comptes bancaires est un processus invisible et punitif. Hier soir, j’ai vu un reportage dans les médias où on a dit qu’on procédait au dégel de certains comptes bancaires. L’idée était déjà malavisée au départ, mais maintenant, nous voulons des réponses sur cette nouvelle situation.

Certains sénateurs ont soulevé des questions et des préoccupations sur le comité d’examen parlementaire. On craint que ce comité ne puisse pas exercer une surveillance approfondie s’il ne peut pas recevoir toute l’information pertinente, y compris les renseignements de sécurité.

Honorables sénateurs, mes attentes à l’égard de ce comité d’examen, advenant que celui-ci soit mis sur pied, sont très faibles. Avant même que le comité soit créé, nous apprenons déjà que des limites lui seront imposées.

En conclusion, j’aimerais parler de la motion no 30 du sénateur Tannas. Nous avons discuté de la Loi sur les mesures d’urgence, qui comprend des dispositions complexes dont la portée est vaste. Une séance d’information a été organisée pour les sénateurs, et le sénateur Gold a répondu à de nombreuses questions hier, mais on demande quand même aux sénateurs de se prononcer sans pouvoir étudier convenablement les effets d’une loi aussi complexe que la Loi sur les mesures d’urgence.

Pour conclure, honorables sénateurs, en raison de toutes les préoccupations qui ont été soulevées, je ne suis pas convaincue que le gouvernement avait un plan. Maintenant qu’il a eu recours à la Loi sur les mesures d’urgence, je ne suis toujours pas persuadée qu’il a un plan. Je vais donc voter contre la motion.

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour me joindre à ce débat historique. La dernière fois que je me suis adressé au Sénat, j’ai déploré le rôle auquel nous sommes en train d’être relégués. J’ai dit que nous étions « la Chambre des formalités ». Aujourd’hui, toutefois, nous avons une grande responsabilité. Si les « non » l’emportent ici au Sénat, les décrets justifiant le recours à la Loi sur les mesures d’urgence seront immédiatement révoqués. Nous avons un pouvoir de veto unique dans ce cas-ci. La question qui est devant nous est : devrions-nous l’utiliser?

Comme c’est le cas pour la plupart sinon la totalité des sénateurs, mon bureau a été bombardé d’appels téléphoniques et ma boîte de réception a été inondée de courriels m’exhortant à voter contre le maintien des pouvoirs extraordinaires. En revanche, les forces de l’ordre, les ministres et divers experts et commentateurs partout au pays insistent pour que les dispositions d’urgence soient maintenues, soutenant que la situation d’urgence n’est pas terminée et que nous pourrions perdre le contrôle si les pouvoirs étaient révoqués.

Je comprends que les Canadiens sont en colère. Certains sont en colère contre les exigences liées à la vaccination, qu’ils considèrent comme une atteinte à leurs libertés fondamentales et une entrave à leur capacité de gagner leur vie. À l’opposé, certains sont en colère contre ce qu’ils ont perçu comme une inaction de la part de leurs élus au niveau municipal, provincial et fédéral, qui n’ont pas réussi à mettre fin à l’agitation à Ottawa et ailleurs au pays avant que la Loi sur les mesures d’urgence soit invoquée le 14 février.

Quand tout sera fini, nous devrons savoir comment le Canada en est venu à cette situation déplorable. J’ai beaucoup de questions à poser quant aux circonstances qui nous ont menés là. Pourquoi le Service de police de la Ville d’Ottawa ne s’est-il pas préparé pour l’arrivée du convoi qui, comme on le sait, a traversé le pays? Nous étions tous au courant de sa venue. Pourquoi la Ville d’Ottawa n’a-t-elle pas demandé une ordonnance judiciaire? Qu’est-ce qui explique l’absence du premier ministre? Pourquoi la cheffe de la GRC n’a‑t‑elle jamais pris la parole à ce sujet et dit le moindre mot? Le convoi et la pandémie ont créé des divisions dans la population canadienne, entre voisins et au sein même des familles. Ma propre rupture avec mon caucus parlementaire, ma propre famille parlementaire, a fait les manchettes.

Il n’est pas étonnant que le débat soit animé et parfois même chargé d’émotions. Beaucoup se plaignent qu’on en soit arrivé là. Les Canadiens se sont toujours fait une fierté de l’ordre public et de la saine gouvernance qui régissent le Canada. Notre Constitution nous assure la paix, l’ordre et la saine gouvernance. Or, nous invoquons pour la première fois une loi qui accorde des pouvoirs d’urgence très vastes et étendus au gouvernement parce qu’une manifestation est devenue ce qu’on juge être une occupation illégale.

Bien que j’attende avec impatience l’enquête qui jettera de la lumière sur les nombreux échecs de la part de tous les ordres de gouvernement à résoudre plus rapidement cette situation, je suis conscient que nous ne pouvons pas progresser dans ce débat sans nous pencher sérieusement sur toute l’information accessible aux parlementaires, qui permettrait de savoir dans quelle mesure ces échecs ont contribué à l’état actuel des choses.

Les agents de réglementation et la police municipale n’ont rien fait pour appliquer les lois et les règlements existants. Personne n’est censé se stationner sur la rue Wellington, au cœur de notre démocratie canadienne, où se trouvent le Sénat du Canada, le bureau du premier ministre, la Chambre des communes et la Cour suprême. Il est interdit d’ériger des structures sur la place publique. Il est interdit de laisser son véhicule tourner inutilement au ralenti ou de causer de la nuisance sonore. Pourtant, les manifestants du convoi ont commis tous ces actes illégaux pendant trois longues semaines. Le premier ministre de la province était visiblement absent durant cette période tumultueuse. Pour sa part, le premier ministre du Canada a émis des commentaires hostiles et polarisants à propos d’un groupe qui, de toute évidence, était déjà plus que frustré et à bout. Ses propos ont renforcé la détermination de ce groupe qui s’est incrusté à Ottawa.

Voilà qui n’est pas du leadership. Cela ne sied pas à un premier ministre dont le mandat vise à rassembler les Canadiens. Des citoyens ont entamé une poursuite pour faire taire les klaxons et ils ont entrepris eux-mêmes de bloquer des membres du convoi qui cherchaient à neutraliser encore davantage la ville en circulant très lentement autour des écoles et de l’aéroport.

Des parents du Nunavut m’ont téléphoné parce qu’ils s’inquiétaient de la sécurité de leurs enfants qui vont à l’université à Ottawa. Chers collègues, Ottawa compte la plus grande population d’Inuits au Canada, mise à part celle de ma ville, Iqaluit. Je parle au nom des gens qui vivent, travaillent, vont à l’école et obtiennent des services de santé à Ottawa, des gens qui viennent du Nunavut et qui ont vécu beaucoup de stress, de graves inconvénients et une grande peur à cause de ce qui s’est passé. Des Inuits qui habitent la ville et aident des organisations comme Tungasuvvingat Inuit m’ont informé que certains n’avaient plus accès à des services. Des Inuits sans-abri m’ont dit qu’ils ne pouvaient plus se rendre dans des endroits sûrs qui leur permettent de survivre au froid cinglant de janvier et février.

Je ne partage pas l’avis de ceux qui affirment qu’une voie diplomatique était possible dans toute cette affaire. Les organisateurs principaux exigeaient la levée de toutes les mesures obligatoires, même celles qui relèvent des gouvernements provinciaux, sans quoi ils continueraient d’occuper le centre-ville.

Des figures de proue du mouvement ont brandi leur protocole d’entente — si on peut parler de protocole d’entente — qui demandait à la gouverneure générale et au Sénat de renverser le gouvernement démocratiquement élu, puis d’utiliser leur nouveau pouvoir pour mettre fin à toutes les mesures obligatoires. Le bureau de la gouverneure générale a été inondé d’appels, tout comme le service 911 à Ottawa.

(0930)

De toute évidence, les actes commis et les demandes présentées étaient déraisonnables, et lorsqu’un groupe menace de continuer à commettre des actes illégaux jusqu’à ce que ses demandes déraisonnables soient satisfaites, ce groupe n’exerce plus la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique que nous chérissons au pays.

Selon les tribunaux, le droit de manifestation pacifique ne protège pas les rassemblements qui troublent gravement la paix, comme le précise la décision R. c. Lecompte. Il ne comprend pas non plus le droit d’empêcher physiquement des activités légitimes ou d’y faire obstacle, comme nous le rappelle la décision Guelph (City) c. Soltys.

À strictement parler, la question à laquelle nous devons répondre aujourd’hui est celle de savoir si le recours à la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement est justifié. Honorables sénateurs, comme je l’ai souligné dans mes questions au leader du gouvernement au Sénat hier, je pense qu’il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas, notamment ce qui relève du renseignement. Le comité d’examen devrait être autorisé à consulter ces informations. Mais selon les éléments que nous avons, je pense que l’invocation est justifiée. Je crois que l’échec total des gouvernements fédéral et provincial et de l’administration municipale et l’incapacité des forces de l’ordre locales à maîtriser la situation ont fait en sorte que la situation s’est aggravée au point de devenir intenable. La seule manière de coordonner une opération permettant de sortir de cette impasse était d’invoquer cette loi.

Je crois plus que tout à la primauté du droit et à son application juste et cohérente. Aucun Canadien ne devrait se situer au-dessus des lois, et toute personne devrait être soumise aux conséquences naturelles de ses actes si elle enfreint la loi. Toutefois, je ne peux chasser une autre question de mon esprit, et elle est vraiment importante pour moi. Sommes-nous encore dans un état d’urgence? Avons-nous toujours besoin des vastes pouvoirs conférés par l’invocation de l’état d’urgence pour maîtriser ce qui reste du convoi et de ses principaux partisans?

Nous disposons d’un service de police national. Nous disposons d’une cellule antiterroriste. Nous disposons du Service canadien du renseignement de sécurité, qui devrait être en mesure de gérer cette situation et qui devrait détenir les dispositifs nécessaires dans le cadre des lois existantes. Avons-nous toujours besoin des vastes pouvoirs conférés par l’invocation de l’état d’urgence? Je ne saurais répondre à cette question. Je sais simplement ce que j’entends dans les médias, mais je ne suis pas au courant de ce que savent le gouvernement et les forces de l’ordre.

Le sénateur Gold a affirmé avec véhémence devant le Sénat qu’il ne s’agit pas d’une situation où le gouvernement nous dit « faites‑nous confiance », mais du même souffle, il nous demande de nous fier à la volonté du gouvernement d’agir dans l’intérêt des Canadiens. En tant que parlementaire et décideur à qui on demande de justifier et d’appuyer le maintien de ces pouvoirs étendus, cela me met mal à l’aise. Je serais plus à l’aise si on me disait que, si nous votons « oui » à la fin du présent débat, un comité de surveillance ayant accès aux renseignements protégés serait formé — c’est un des problèmes qui me dérangent le plus — pour éclairer les décisions prises en temps réel. Je serais plus à l’aise si on me disait qu’un groupe de parlementaires multipartite est en place pour demander des comptes au gouvernement. C’est le genre de contrepoids que nous voulons au sein d’une démocratie.

Je voudrais rendre hommage à l’ex-premier ministre Brian Mulroney, qui, en collaboration avec le solliciteur général de l’époque, Perrin Beatty, et avec son Cabinet, a conçu une loi bien réfléchie. La Loi sur les mesures d’urgence prévoit un rôle important pour les parlementaires, les représentants de la population, et leur donne le pouvoir de débattre de la nécessité des décrets et de leur maintien et elle prévoit l’établissement de processus d’examen et d’enquête rigoureux — je l’espère — pour que nous puissions apprendre de cette triste expérience pour éviter qu’elle se reproduise.

Pour ce qui est de la suite des choses, je ne saurais absoudre le gouvernement fédéral du rôle qu’il a joué dans la genèse de cette situation, et je pense non seulement au convoi, mais aussi à la polarisation de la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Des années de réorientations politiques qui menacent le mode de subsistance des provinces qui dépendent de l’extraction des ressources ont conduit à l’aliénation de l’Ouest, ce qui a débouché sur la création de mouvements politiques tels que le Wexit et le Maverick Party, dont Tamara Lich, figure de proue du convoi, était membre fondatrice. Il convient également de noter que les dirigeants reconnus de ce groupe hétéroclite sont originaires de l’Ouest canadien, une région de notre pays dont l’industrie des ressources naturelles est diabolisée par notre gouvernement.

La politisation de la pandémie, à laquelle le premier ministre s’est livré de façon honteuse lors des dernières élections, et la diabolisation des personnes réticentes à se faire vacciner, ont divisé encore davantage les Canadiens. Je suis triplement vacciné et en suis reconnaissant, et j’ai constaté que les mesures de santé publique prises au Nunavut ont permis de protéger les Nunavummiuts. Je remercie le gouvernement fédéral pour le soutien qui a été accordé aux territoires afin de nous aider à faire face à la menace de la pandémie, exacerbée comme elle l’a été par notre grave crise du logement et le surpeuplement des habitations. J’ai même refusé de bénéficier de l’exemption accordée aux parlementaires et me suis mis en quarantaine avec ma femme pendant deux semaines avant de retourner dans le territoire, dans le but de faire ma part pour empêcher la COVID-19 de se propager. Ce n’est qu’au moment de l’assouplissement de certaines de ces mesures que nous avons vu la COVID-19 se propager largement dans le territoire.

Par conséquent, même si je suis favorable aux mesures de santé publique, je ne pense pas que nous devions nous mettre à dos ceux qui ne sont pas du même avis. Nous devrions tous être profondément troublés par le fait que nous ne pouvons plus avoir de conversations nuancées dans notre pays. Aujourd’hui, on est soit un mouton, soit un membre du FluTruxKlan. Soit vous soutenez l’oppression, soit vous valorisez la liberté. Ce ne sont pas là de vrais choix. Vous pouvez très bien croire à la science tout en étant réticent face à un vaccin qui a été conçu rapidement. On peut souscrire à certaines mesures publiques tout en appuyant le droit de s’opposer à ces mêmes mesures.

(0940)

En toute franchise, plus j’écoute le présent débat et plus je m’entretiens avec des collègues, plus je me sens déchiré quant à l’orientation de mon vote. Comme je l’ai dit, je conviens qu’il y avait une situation d’urgence. Néanmoins, je ne suis pas entièrement convaincu que la situation actuelle exige le maintien de ces pouvoirs spéciaux et je crains fort que ne soient pas mis en place les mécanismes de contrôle appropriés pour éviter un usage abusif de ces pouvoirs ou pour qu’ils soient révoqués dès le moment où, comme un ministre l’a dit durant la séance d’information, ils deviennent pratiques plus que nécessaires.

Je vais donc continuer d’écouter avec un vif intérêt ce que mes distingués collègues sénateurs ont à dire dans le cadre du présent débat qui est certainement important et sans précédent. À dire vrai, à l’heure actuelle, je ne suis pas certain que cette mesure draconienne demeure nécessaire. Merci. Taima.

[Français]

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Honorables sénateurs, la décision du gouvernement d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence est un geste rare et hautement symbolique. On peut déjà supposer qu’il passera à l’histoire.

Comme Québécoise, l’évocation de cette loi et de son ancêtre, la Loi sur les mesures de guerre, m’a évidemment rappelé les événements de la crise d’Octobre en 1970.

Je n’avais que 11 ans à l’époque, donc je ne comprenais pas tout ce qui se passait. J’étais stupéfaite de voir des chars de l’armée dans les rues, et d’entendre que des artistes de notre entourage étaient arrêtés — Gérald Godin et la chanteuse Pauline Julien, notamment.

Ces événements ont même été un des éléments déclencheurs qui m’ont amenée à étudier en sciences politiques, et à consacrer plusieurs travaux — peut-être trop! — à la crise d’Octobre et aux arrestations arbitraires permises par la Loi sur les mesures de guerre.

Cinquante ans plus tard, je suis sénatrice et je dois voter sur la motion du gouvernement qui confirme l’invocation la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin à des perturbations à Ottawa. Je précise d’emblée que ces deux lois d’exception sont fort différentes.

Quand les débats ont commencé à ce sujet, la semaine dernière, il était clair pour moi que ce n’est pas une décision facile. Quoi qu’on en dise d’un côté ou de l’autre, je ne crois pas que la situation était noire ou blanche, ou que l’évidence sautait aux yeux.

D’un côté, des éléments pouvaient certainement justifier une intervention forte du gouvernement, incluant l’incapacité manifeste de la police d’Ottawa à maîtriser la situation, le caractère très organisé de la manifestation, qui s’est transformée en une occupation illégale d’un périmètre de la ville d’Ottawa, le financement et le soutien étranger aux manifestants, le blocage d’infrastructures critiques et les dommages économiques collatéraux, les menaces, les symboles racistes, le vandalisme et la nature insurrectionnelle de certains messages entendus, l’instrumentalisation de certains enfants, les coûts sociaux et économiques qui s’accumulaient, y compris pour de nombreux habitants d’Ottawa, qui n’avaient rien à voir avec le conflit et qui ont vécu un cauchemar, et finalement, le risque qu’une trop grande impunité face à des actes illégaux érode graduellement l’État de droit au Canada.

Je note aussi que la Loi sur les mesures d’urgence, en plus d’être soumise à la Charte canadienne des droits et libertés, contient plusieurs dispositions qui visent à prévenir des dérives autoritaires, notamment le comité parlementaire et l’enquête obligatoire. Toutefois, auront-ils les outils pour faire toute la lumière? Je n’en suis pas certaine.

Dans l’éventualité où la motion est adoptée par le Sénat, le gouvernement n’obtiendra pas un pouvoir discrétionnaire et illimité, puisque la limite est de 30 jours. À ce titre, la Loi sur les mesures d’urgence est plus proportionnée que l’ancienne Loi sur les mesures de guerre.

Cela dit, dès la semaine dernière, d’autres éléments m’amenaient à me demander si le gouvernement avait fait une démonstration sans équivoque que les perturbations à Ottawa étaient réellement « une crise nationale », c’est-à-dire :

[…] une situation urgente temporaire et critique qui met sérieusement en danger la santé et la sécurité des Canadiens ou qui menace la capacité du gouvernement du Canada de préserver la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du Canada.

J’ai noté en particulier que les barricades du pont Ambassador et les blocages en Alberta et au Manitoba ont été démantelés avec les outils juridiques courants sans besoin d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, que les perturbations n’avaient mené à aucune blessure grave ni à aucun dommage matériel significatif, que sept provinces — le Québec, l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse — se sont opposées à l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence et que plusieurs experts et spécialistes avaient émis des doutes quant à la nécessité d’invoquer cette loi et quant à la supposée insuffisance des outils déjà à la disposition des forces de l’ordre.

La comparaison entre les événements d’Ottawa et certaines autres crises tendent aussi à relativiser le caractère urgent, grave et critique de ce que nous vivons aujourd’hui. Prenons par exemple la grève étudiante de 2012, au Québec, qui a donné lieu à plusieurs mois de manifestations, souvent nocturnes, qui ont engendré des affrontements violents entre manifestants et policiers et causé beaucoup de dommages matériels, et à la crise d’Oka, en 1990, qui a donné lieu à un blocage de 77 jours et qui a causé la mort de deux personnes. Dans ces deux cas, la Loi sur les mesures d’urgence n’a pas été invoquée.

J’ai aussi repensé à certaines manifestations plus récentes à l’étranger, incluant les perturbations importantes engendrées par le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, ou par les Gilets jaunes en France, qui ont duré plusieurs mois, causé des blessures et engendré beaucoup de dommages matériels. Dans chacun de ces cas, les gouvernements n’ont pas invoqué l’équivalent de la Loi sur les mesures d’urgence.

Je note également que, si la décision du gouvernement d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence pouvait se défendre, les mesures annoncées semblaient ratisser très large, et pouvaient créer des précédents dangereux. Je mentionne en particulier l’interdiction faite à tout citoyen de simplement participer à une assemblée publique ou de se déplacer à destination d’une assemblée publique qui pourrait troubler la paix, la désignation très large de lieux protégés, incluant certains, comme la Colline du Parlement ou les édifices gouvernementaux, où les citoyens doivent pouvoir manifester paisiblement, et des interdictions sans précédent quant aux contributions financières que de simples citoyens peuvent apporter à des manifestants.

[Traduction]

Au cours des dernières semaines, le gouvernement a également mentionné à maintes reprises que la crise est internationale. Aux yeux du gouvernement, les perturbations qui ont secoué Ottawa et d’autres localités canadiennes ont terni la réputation de stabilité et de sécurité financières qu’offrait jusqu’ici le Canada. Ce sont des craintes légitimes, mais ce ne sont pas les seules qui ont été exprimées à l’étranger. La semaine dernière, on a pu lire dans le magazine The Economist que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence était une décision très mal avisée qui risquait d’aggraver sérieusement la rancœur et les clivages au sein de la population canadienne.

Compte tenu de tout cela, j’avais des réticences la semaine dernière. Les défenseurs comme les opposants à cette mesure invoquent des arguments à l’appui de leur position. Je ne crois pas que le gouvernement a démontré de façon incontestable que le Canada traverse une crise nationale, que les outils dont disposent normalement les forces de l’ordre étaient insuffisants et que nous n’avions plus d’autres recours que cette loi. Cependant, je reconnais, d’une part, que ma perception de la Loi sur les mesures d’urgence est influencée par mon expérience personnelle de ce qui s’est passé au Québec et, d’autre part, que dans le cas qui nous intéresse ici, le gouvernement a eu recours à cette loi pour maîtriser une crise à Ottawa.

(0950)

Je me suis dit que même si le gouvernement ne mérite pas d’avoir carte blanche, il pourrait quand même avoir le bénéfice du doute, temporairement du moins. En réalité, la situation a beaucoup changé depuis la semaine dernière. Comme on a pu le lire dans le Globe and Mail avant-hier :

[...] le Parlement ne doit pas se demander si le Canada se trouvait dans une situation d’urgence nationale sans précédent il y a une semaine. Il doit déterminer si le Canada se trouve dans une situation d’urgence nationale sans précédent aujourd’hui.

La semaine dernière, il y avait des raisons qui justifiaient ou non le recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Cependant, les circonstances ont évolué et la situation sur le terrain porte à croire qu’il y a maintenant davantage de raisons de mettre fin à l’application de cette loi, et cela devient de plus en plus une évidence.

[Français]

Le gouvernement répète qu’il évalue la situation de jour en jour et d’heure en heure. Notre appréciation de cette motion doit également évoluer selon les circonstances. Aujourd’hui, il reste bien quelques tracteurs et camions stationnés dans le centre-ville de Winnipeg, mais il n’y a plus de barricades au pays. La ville d’Ottawa est dégagée. Les occupants plus radicaux se sont repliés. La menace extrémiste, qui existe depuis plusieurs années, semble plus diffuse. Bien que certains doutes demeurent quant à l’utilité de la Loi sur les mesures d’urgence pour régler la crise la semaine dernière, il ne fait aucun doute que la crise nationale urgente et critique s’est résorbée.

En réponse aux questions posées, le gouvernement plaide qu’il est nécessaire de maintenir cette loi à titre préventif afin de minimiser les risques de nouvelles manifestations. Or, je ne crois pas qu’un gouvernement puisse invoquer la Loi sur les mesures d’urgence à titre préventif ou comme outil de gestion des risques. Dans toutes les sociétés, même au Canada, les risques continueront d’exister. À mon avis, le gouvernement ne peut pas justifier le recours à cette loi en évoquant un risque indéfini, une menace hypothétique ou un potentiel de perturbation.

À la lumière du portrait général de la situation au pays, l’affirmation du gouvernement qu’il a des informations secrètes sur des dangers potentiels ne suffit pas pour justifier le maintien des mesures d’urgence. Ce standard ouvre la porte à des abus évidents. Il est certain que cette loi est très appréciée des services de police, dont je salue l’efficacité, le professionnalisme et la retenue. Il va sans dire que cette loi peut être utile et efficace, mais la question devant nous aujourd’hui est de savoir si elle est encore absolument nécessaire.

Le gouvernement mentionne également que la décision d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence a été bien accueillie par les Canadiens. Je n’en doute pas. Toutefois, là n’est pas la question. Le Sénat a le privilège et la responsabilité de réfléchir et de voter à l’abri des considérations électorales.

Je note également que si le Sénat votait contre la motion du gouvernement cette semaine, cela n’aurait pas pour effet d’invalider rétroactivement les décisions prises et les gestes posés depuis la proclamation de la loi. Cet effet me semble compatible avec l’idée légitime d’accorder le bénéfice du doute au gouvernement pour ce qui est de la situation qui prévalait la semaine dernière. Je n’ai cependant obtenu aucune réponse satisfaisante à la question essentielle qui se pose aujourd’hui. Quel est le seuil et quels sont les critères sur lesquels le gouvernement compte se baser pour suspendre le recours à cette loi?

Le véritable défi que doit relever aujourd’hui le gouvernement canadien est de maintenir la cohésion sociale dans une société de plus en plus polarisée. Mes collègues les sénatrices Kim Pate et Paula Simons en ont parlé avec brio hier.

J’ai contribué à la réflexion et aux préparatifs d’une conférence de l’UNESCO tenue à Québec qui avait pour thème Internet et la radicalisation des jeunes : prévenir, agir et vivre ensemble, qui se penchait sur le phénomène de radicalisation menant à la violence. Le Québec et le Canada ne sont pas épargnés. Les médias sociaux amplifient toute cette colère, et les mesures sanitaires sont devenues un cri de ralliement. C’est très inquiétant. Ce qui est rassurant à court terme, toutefois, c’est que le contexte sur le terrain a changé.

Aujourd’hui, je ne vois plus d’ambiguïté réelle qui puisse m’inciter à appuyer la confirmation de la Loi sur les mesures d’urgence. Je vais toutefois écouter attentivement les arguments de mes collègues en attendant la tenue du vote sur la motion no 17. Merci.

[Traduction]

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, depuis 13 ans que je siège au Sénat du Canada, je ne pense pas avoir jamais eu l’occasion de prendre la parole sur un sujet aussi important que celui-ci.

Je tiens à rappeler à tous les sénateurs ici présents que lorsque nous avons été appelés à exercer cette fonction, c’était avant tout pour être la voix des régions que nous représentons et la voix des minorités au Canada. Ce sont des voix qui méritent d’être entendues et prises en compte, surtout lorsqu’elles estiment qu’elles ne sont pas adéquatement représentées, notamment à l’autre endroit, ou qu’elles se sentent négligées par l’exécutif du gouvernement.

Le rôle le plus important du Sénat est le rôle qu’il joue dans la surveillance du gouvernement. Dans le cas qui nous occupe, ces convois et ces manifestants en route vers Ottawa ont d’abord été marginalisés par le premier ministre qui les a qualifiés de frange minoritaire. Or, soudain, cette frange minoritaire, ce petit groupe de Canadiens contre les vaccins et les obligations sanitaires est devenu une menace telle qu’il a fallu recourir à des mesures qui n’ont été invoquées qu’à trois reprises dans toute notre histoire. Cela montre à l’évidence que le premier ministre a eu tort de qualifier les manifestants de frange minoritaire.

Chers collègues, pas besoin d’avoir la tête à Papineau pour comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une frange minoritaire. Loin de là. Notre pays est profondément divisé, il ne l’a jamais été autant depuis que je suis né, il y a plus de 50 ans. Je suis un fier Canadien, et j’ai vu un certain nombre de gouvernements se succéder. Nous avons connu beaucoup de crises et de discours enflammés, mais jamais je n’ai observé des divisions aussi profondes.

C’est dans des moments comme celui-ci que le premier ministre et son exécutif ont l’obligation de placer les intérêts de la nation avant leurs propres intérêts, leur parti et leur partisanerie. C’est ce que j’ai observé à de nombreuses reprises sous le leadership de Stephen Harper, notamment au sein de son caucus. Je l’ai observé également sous le leadership du premier ministre Jean Chrétien, que j’ai toujours apprécié. Pour lui, c’était la nation d’abord, quelles que soient les divergences entre les partis. Et Dieu sait qu’il a eu des décisions extrêmement difficiles à prendre. Je l’ai observé également sous le leadership de Brian Mulroney.

Les politiciens sont toujours tentés de créer des clivages et des divisions pour en tirer du capital politique, et j’en ai été témoin, mais dans des moments de crise existentielle comme celui que nous vivons en ce moment, tous les premiers ministres ont le devoir de rassembler, plutôt que de jeter de l’huile sur le feu, d’insulter les manifestants, de les taxer de partisans de l’extrême droite, d’extrémistes et de racistes, entre autres. Nous avons déjà eu cette discussion, et il est inutile de revenir là-dessus.

Ce genre de posture politique est tout à fait inutile. C’est déjà ce qu’a fait le gouvernement pendant la dernière campagne électorale, lorsqu’il a essayé de créer un climat de confrontation avec le slogan du « eux contre nous ». Ils ont fait faire des sondages et ils se sont rendu compte que 80 % des Canadiens étaient doublement vaccinés. Alors ils se sont dit : « Nous allons stigmatiser les 20 % de Canadiens qui ne veulent pas se faire vacciner parce qu’ils sont réticents, que leur état de santé ne le permet pas, que cela leur fait peur ou pour quelque raison que ce soit. »

Oui, je crois à la liberté. Je crois qu’un homme et une femme sont libres de choisir de subir ou non une procédure médicale. Ils en ont le choix dans notre pays. Avant d’opérer quelqu’un, on lui fait signer un formulaire, une décharge. Je ne pense pas qu’il soit exagéré, comme Canadien, de demander au gouvernement de nous ficher la paix, qu’il agisse des vaccins, des médicaments ou des procédures médicales, et même de l’avortement. Pour moi qui suis libertaire, c’est le même type de débat et j’estime que ce sont des droits fondamentaux dans notre pays.

Par conséquent, lorsque des manifestants viennent à Ottawa, les règles devraient être les mêmes que pour tous les autres Canadiens. Je suis doublement vacciné, et j’essaie de convaincre mes amis, mes voisins, tout le monde, de la nécessité de le faire. Je suis convaincu que c’est ce qu’il faut faire pour lutter contre cette maladie, mais j’estime que toute personne a le droit de ne pas se faire vacciner. J’estime également qu’elle a le droit d’exiger de son gouvernement qu’il la traite de façon équitable, comme tous les autres citoyens. Lorsque les manifestants se rendent à Ottawa, à Coutts, à Québec ou à Toronto, ils ont le droit de manifester, car c’est un droit fondamental dans notre démocratie. Personne ne peut leur dénier ce droit.

Lorsque des gens sont allés manifester contre le G20, il y a quelques années, ils avaient tout à fait le droit de manifester. Lorsque des Autochtones ont eu des revendications légitimes auprès du gouvernement, ils sont allés jusqu’à utiliser des armes et à bloquer des infrastructures et des voies ferrées pendant des semaines. Lorsque les manifestants du mouvement Black Lives Matter ont exprimé des revendications importantes, ils avaient le droit de le faire. Tout politicien a le droit de respecter ces manifestations.

Nous avons le devoir — surtout comme parlementaires ou premier ministre, quel qu’il soit — de dialoguer avec ces gens-là. Quelqu’un a dit tout à l’heure, je crois que c’était le sénateur Arnot, que les droits, les responsabilités et le respect sont les trois choses les plus importantes dans notre démocratie. Je suis d’accord avec lui. Le droit de manifester est un droit reconnu dans notre pays. Mais le Parlement, notre premier ministre et nos gouvernements ont la responsabilité de dialoguer avec ces citoyens. Ce ne sont pas des ennemis de l’État. Ce sont des Canadiens frustrés.

(1000)

Dans les cas de Black Lives Matter, des Autochtones, des opposants économiques au G20... nous avons vu ce qui s’est passé à Oka, dans ma province, il y a de nombreuses années. Je suis assez vieux pour m’en souvenir. Dans tous ces cas-là, les premiers ministres ont essayé d’éteindre le feu. Ils ont dialogué et ont envoyé des ministres et des fonctionnaires pour discuter et essayer de comprendre le problème.

Ils n’ont pas dit à ces gens-là qu’ils étaient des indésirables et des racistes, qu’ils brandissaient des swastikas ou qu’ils vandalisaient des monuments, alors que ce n’était pas le cas. Quand il est arrivé, dans des manifestations antérieures, que des monuments soient profanés ou que des lieux de culte soient incendiés, le premier ministre ne s’est pas empressé d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, il a engagé le dialogue.

Alors pourquoi, dans ce cas-ci, a-t-il choisi de procéder autrement? A-t-il pensé que les chiffres des sondages étaient de son côté? Il s’est peut-être imaginé qu’il allait pouvoir facilement recréer un climat de confrontation entre « nous », la majorité, et « eux », la minorité.

Il s’est soudain rendu compte que même les Canadiens doublement vaccinés sont frustrés. Ils sont frustrés parce que les mesures obligatoires ne sont pas équitables. Par exemple, les restrictions imposées aux voyageurs ne sont pas les mêmes pour tout le monde. En effet, si vous avez de l’argent et que vous avez envie de voir un membre de votre famille au New Jersey ou en Californie, pas de problème. Vous pouvez sauter dans un avion, faire votre test PCR, revenir, et faire votre quarantaine. La vie est belle.

Par contre, si votre mère est malade au Vermont et que vous habitez à Montréal, vous ne pouvez pas traverser la frontière à cause des restrictions liées à la COVID-19. Nous devons le permettre. C’est nécessaire pour sauver le pays.

Si vous y réfléchissez bien, ceux qui font les sacrifices, ce sont ceux qui n’ont pas les moyens de prendre l’avion et qui traversent la frontière en voiture. En revanche, ceux qui peuvent prendre l’avion n’ont pas de problème. Encore une fois, c’est deux poids, deux mesures.

Prenons l’exemple très concret des manifestations à Coutts et au pont Ambassador. Les autorités policières ont réussi à calmer le jeu et à régler le problème. Personne n’a appelé le premier ministre pour lui demander d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence parce que la situation était incontrôlable.

À Québec, les autorités policières se sont bien préparées à l’arrivée des manifestants. Elles ont réussi à calmer le jeu et à faire face à la situation de façon appropriée. Elles n’ont pas eu besoin des mesures d’urgence. C’est donc une décision irresponsable de la part du gouvernement, décision qu’on ne peut tout simplement pas excuser.

Le premier ministre s’est acharné par pur opportunisme politique lorsqu’il a constaté qu’il était en train de perdre. Il n’a jamais, jusqu’à ce jour, reconnu sa responsabilité dans toute cette affaire.

J’ajouterai, chers collègues, que tout cela aurait pu être réglé rapidement si le gouvernement avait été prêt à faire ce que les autres gouvernements du pays ont fait depuis plus d’une semaine : annoncer qu’ils allaient supprimer les mesures obligatoires. C’était la chose la plus facile à faire. L’Alberta l’a fait. La Saskatchewan l’a fait. L’Ontario l’a fait. Le Québec l’a fait. Le seul qui continue à s’acharner en refusant de lever ces obligations est le premier ministre Trudeau. À ce stade-ci, je crois que c’est tout simplement parce qu’il ne veut pas reconnaître son échec politique.

Ce n’est pas un jeu. Il faut rassembler un pays profondément divisé. Il faut réconcilier la population après cette terrible crise de la COVID-19. Soit dit en passant, nous n’en avons pas fini avec les bouleversements, ce n’est qu’un début, croyez-moi, chers collègues. La prochaine crise sera bien pire, et, comme d’habitude, notre premier ministre continue de faire l’autruche. Je reviendrai là‑dessus tout à l’heure.

Il a invoqué une mesure d’urgence — qui était inutile — donnant aux policiers de ce pays le pouvoir — excessif — de faire essentiellement ce qu’ils veulent sans avoir à rendre des comptes à qui que ce soit. Le leader du gouvernement nous a exhortés hier à lui faire confiance, à faire confiance au gouvernement, parce qu’il y a suffisamment de preuves pour justifier ces mesures. Je n’ai pas vu ces preuves. Il a reconnu qu’il ne les avait pas vues. Je crois que le sénateur Tannas l’a interrogé à ce sujet. Nous ne les avons pas vues.

Mais au Parlement du Canada, on nous dit : « Faites-nous confiance. » Nous pouvons geler des comptes. Nous pouvons donner à la police tous les pouvoirs nécessaires pour faire ce qu’elle aurait dû accomplir avec les lois en vigueur, à mon avis. Si les lois en vigueur ne sont pas suffisantes pour maîtriser quelques manifestants sur la Colline du Parlement, puisque nous sommes des législateurs, modifions les lois. Ne disons pas au gouvernement de prendre la relève et de devenir une dictature. Venez demander au Parlement ce dont vous avez besoin, en ajoutant que vous en avez besoin rapidement.

Comme vous l’avez vu ces deux dernières années, sénateur Gold, nous sommes agiles, au Sénat. Tout ce que vous avez demandé à vos collègues du Sénat, nous vous l’avons accordé assez rapidement. Il vous fallait des milliards de dollars, et nous les avons approuvés. Vous aviez besoin de changements pour faire face à la COVID-19, et nous nous en sommes occupés, même si nous hésitions un peu. Nous n’avons pas résisté. Il n’y a eu aucune hésitation.

Mais je trouve incroyable qu’on dise aux policiers de choisir qui peut entrer dans la Cité parlementaire, de dresser une liste de ceux qui peuvent entrer et de ceux qui n’y sont pas admis.

Oui, les résidants de la ville ont été grandement incommodés. Malheureusement, la frustration des Canadiens a atteint un tel point d’ébullition qu’elle cause le chaos dans les rues. Nous devrions considérer cela comme un avertissement. Arrêtons-nous quelques instants pour déterminer comment aborder la situation. C’est notre travail.

Ces derniers jours, depuis le recours à la Loi sur les mesures d’urgence, les investissements étrangers au Canada sont au point mort. Vous avez vu les statistiques. C’est encore pire qu’avant, et la situation d’avant était assez pitoyable. L’investissement étranger au Canada a atteint son niveau le plus bas en sept ou huit ans.

Lorsque nous devenons la risée des autres démocraties occidentales, lorsque nous faisons la une des journaux au Royaume‑Uni, aux États-Unis, en France et en Allemagne et que je reçois des appels de parlementaires qui me demandent ce qui est arrivé à notre grande démocratie, je ne sais pas quoi leur répondre. Je ne sais pas comment l’expliquer.

Je ne peux pas expliquer qu’à Ottawa, quelques centaines de milliers de personnes ont triomphé des lois de ce pays, de nos forces policières et de notre système de sécurité publique, et que nous ayons dû invoquer une mesure qui n’a été invoquée que trois fois dans l’histoire du pays : pendant la Première Guerre mondiale, pendant la Seconde Guerre mondiale et, évidemment, pendant la crise d’Octobre.

Chers collègues, dans chacun des cas où cette loi a été invoquée, l’histoire nous apprend, preuves à l’appui, qu’il y a eu des indiscrétions et que des erreurs ont été commises. Nous avons causé de graves torts aux gens. Par la suite, les gouvernements ont dû se lever ici et à l’autre endroit afin de présenter des excuses pour ces indiscrétions.

Il ne suffit pas de dire qu’il faut faire confiance au gouvernement. Ce n’est pas le rôle du Sénat ou de la Chambre des communes de faire confiance au gouvernement. C’est aux gens qui décident pendant les élections s’ils veulent leur faire confiance ou non. Dans cette enceinte, notre lieu de travail, notre rôle consiste à remettre les choses en question, à tenir compte des faits avant de devoir voter sur certaines choses.

Maintenant, nous avons aussi un premier ministre qui, en plus de traiter les gens de tous les noms, a un autre talent. Il aime réinventer. Tout à coup, le leader du gouvernement au Sénat est devenu le représentant. L’esprit partisan est devenu quelque chose de mal dans les débats publics.

Selon lui, un parlementaire « indépendant » est un parlementaire qui approuve automatiquement ses programmes politiques et les objectifs du gouvernement. Soudainement, des épithètes comme « extrémistes », « racistes » ou « d’extrême droite » sont devenus des mots codés pour quiconque s’oppose à nous, et nous allons veiller à ce que ces étiquettes vous collent à la peau. Nous allons vous cataloguer. C’est un procédé très astucieux sur le plan politique qui a très bien fonctionné jusqu’à maintenant, mais je pense que la réalité rattrape lentement le premier ministre.

Chers collègues, le premier ministre Trudeau a dit au début de cette crise que nous sommes tous dans le même bateau. C’est ce qu’il a dit. Il a dit que nous allions nous serrer les coudes. Nous vous soutenons, sauf si vous êtes camionneur. Si vous êtes camionneur, débrouillez-vous tout seul. À moins que vous ne soyez pas prêt à accepter une intervention médicale. Si vous n’êtes pas disposé à vous faire vacciner, vous devez vraiment vous débrouiller seul. Si vous n’avez pas les moyens de prendre l’avion, vous serez confiné à votre domicile et mis en quarantaine par le gouvernement, car les règles ne sont pas les mêmes pour ceux qui prennent l’avion que pour ceux qui empruntent les routes parce qu’ils n’ont pas les moyens de faire autrement.

Je vois cette tendance dangereuse se développer dans notre pays. C’est ce qu’on appelle l’oligarchie bureaucratique. Les gens comme nous ont le privilège d’avoir un chèque de paie garanti toutes les deux semaines, comme tous ceux qui travaillent pour des organismes gouvernementaux partout au pays. Pendant cette crise de la COVID-19, nous avons constaté que le gouvernement protégeait tous ces gens.

Nos employés travaillaient de la maison. Nous avons trouvé des façons de les accommoder. Nous avons veillé à ce que les chèques de paie de nos employés arrivent à temps. Ils n’ont pas été aussi durement touchés que les autres citoyens, qui, contrairement à moi, ne font pas partie de l’oligarchie bureaucratique. J’ai ce privilège. Par ailleurs, les citoyens qui doivent travailler dans le secteur privé ont été frappés par une baisse de salaire de 30 % ou ils ont malheureusement perdu leur emploi et commencent à en ressentir les effets.

(1010)

Chers collègues, en conclusion, il ne me reste plus qu’à vous dire que nous avons l’obligation de veiller à ce que ce pays divisé se réconcilie et se serre les coudes. N’oublions pas que nous représentons les intérêts de tous les Canadiens dans cette crise parce que nous sommes en train de passer de la crise de la COVID-19 à une autre crise, comme vous pouvez le constater. Un rôti pour nourrir une famille de trois ou quatre personnes coûte 200 $. Là encore, nous, les oligarques bureaucratiques, nous, les privilégiés, nous en avons les moyens.

L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, je vous remercie pour ce débat extrêmement important et rigoureux.

Je m’adresse à vous aujourd’hui de Mi’kma’ki, le territoire non cédé des Mi’kmaqs.

Chers collègues, j’accorde une grande importance à la liberté d’expression. J’accorde aussi une grande importance aux manifestations pacifiques. Cependant, ces manifestations pour la liberté d’expression n’ont pas été pacifiques. Par exemple, les manifestants qui ont occupé Ottawa exigeaient que le gouvernement fédéral lève toutes les mesures liées à la COVID-19, qu’elles aient été imposées par le gouvernement américain, le gouvernement canadien ou l’un de nos 13 gouvernements provinciaux ou territoriaux. Nous avons ensuite appris que l’objectif déclaré des organisateurs des manifestations était de renverser un gouvernement récemment élu et le Parlement. Malgré cela, les manifestants ont eu la chance de formuler pacifiquement leur point de vue durant le week-end du 29 janvier.

Les voix de ces manifestants ont certes été entendues, non pas de manière pacifique, mais très fort. Devant le refus d’acquiescer à leurs demandes déraisonnables et inconstitutionnelles, ils ont assiégé la ville. Jour et nuit, les occupants ont fait entendre leur présence dans les rues où vivent et travaillent les résidants. Des commerces ont dû fermer leurs portes, ce qui a entraîné des pertes de salaires et de ventes de l’ordre de 15 millions de dollars par jour. L’anarchie et le chaos régnaient.

Les citoyens et les commerces d’Ottawa étaient loin d’être les seuls à subir la situation. D’innombrables Canadiens ont été touchés par les barrages érigés sur des infrastructures essentielles partout au pays. Ces barrages ont perturbé le commerce international et national, avec des pertes se chiffrant en milliards de dollars. Ils ont forcé des entreprises privées déjà en difficulté à fermer leurs portes et à mettre des travailleurs à pied, ils ont nui à notre relation avec notre principal partenaire commercial à un moment crucial et ils ont terni notre réputation dans le monde.

Ce niveau d’instabilité dans l’une des démocraties les plus enviées au monde devrait tous nous préoccuper au plus haut point.

Chers collègues, l’occupation de la capitale d’un pays du G7 par des individus qui ont clairement signifié leur refus d’obéir à la loi ou de quitter volontairement les lieux était indéfendable. Au-delà de toutes les mesures inefficaces et de toutes les lacunes des autorités qui ont mené à cette crise, le Service de police d’Ottawa et la Police provinciale de l’Ontario ont été visiblement incapables de rétablir la primauté du droit. C’est pourquoi je suis convaincu que l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence, le 14 février dernier, était à la fois nécessaire et justifiée.

Personnellement, je suis rassuré de voir que la loi contient des mécanismes de contrôle et que la Charte des droits et libertés continue d’avoir la primauté. Mais nous allons devoir écouter attentivement les doléances de certains groupes, surtout les personnes vulnérables et les minorités, qui craignent à juste titre qu’on ait créé des précédents. Les Canadiens qui ont souffert d’avoir été marginalisés, racialisés et dominés par la majorité ont raison de s’inquiéter que le recours à cette loi soit un précédent. Et leurs craintes sont certainement renforcées par les expériences qu’ils ont pu avoir avec la police — en dehors de l’application de la Loi sur les mesures d’urgence —, dans des situations qui n’avaient rien de commun avec les événements récents.

J’aimerais m’attarder sur l’utilisation des mécanismes de contrôle prévus dans la Loi sur les mesures d’urgence. Lorsque la loi sera abrogée, une enquête sera déclenchée par décision du Parlement — la Chambre des communes ou le Sénat invoquant les droits prévus à l’article 59 — ou par décision du gouvernement. Les Canadiens ont le droit de s’attendre à ce que cette enquête soit minutieuse, équilibrée et non partisane, et qu’elle permette de déterminer « les circonstances qui ont donné lieu à la déclaration et les mesures prises pour faire face à la crise ».

Au cours de la prochaine année, les responsables de l’enquête seront appelés à convoquer le premier ministre et son Cabinet pour leur demander de justifier le recours à la loi, et les Canadiens devront ultimement avoir la possibilité d’approuver ou non les mesures qui ont été prises.

L’enquête devra permettre de répondre à des questions troublantes concernant les circonstances qui ont donné lieu à l’invocation de la loi, la façon dont les pouvoirs spéciaux ont été utilisés et les raisons pour lesquelles ils étaient nécessaires. Pour ce qui est des circonstances qui ont donné lieu à l’invocation de la loi, je demanderai, entre autres, dans quelle mesure la rhétorique partisane, les tactiques et les actions ont exacerbé les tensions et la colère des manifestants, et dans quelle mesure elles ont renforcé les rangs des manifestants.

Pendant la première semaine de la crise, le député conservateur Michael Chong et le député libéral Joël Lightbound ont fait des interventions remarquées sur les clivages qui ont été provoqués et renforcés par la partisanerie actuelle. Pour trop de gens, le simple fait d’être anticonservateur ou antilibéral justifie des paroles et des actes qui ne servent qu’à diviser les Canadiens, plutôt que de les unir.

Les renseignements de sécurité nécessaires ont-ils été mis à la disposition des gouvernements et des services de police avant et pendant chaque manifestation? Sinon, pourquoi? Y a-t-il eu des conflits de compétences entre les ordres de gouvernement, et dans l’affirmative, dans quelle mesure ont-ils entravé une action décisive? Pourquoi la police a-t-elle eu des difficultés à assurer la protection des services essentiels?

Ce sont des questions très importantes qui concernent les circonstances qui ont donné lieu l’invocation de la loi.

Pour ce qui est des pouvoirs exercés en vertu de la loi, je crois que nous devons nous pencher attentivement sur les questions suivantes : Quel était le fardeau de la preuve avant le blocage des quelque 200 comptes personnels et d’entreprise et des quelque 250 adresses cryptographiques? Combien de comptes ont-ils été bloqués par erreur, et à quel rythme tous ces comptes ont-ils été rétablis? Quel processus a-t-on utilisé pour débloquer les comptes personnels et d’entreprise touchés afin que leurs titulaires ne demeurent pas sans service bancaire et sans assurance?

Les mesures prises pourraient causer un grave préjudice financier à des personnes qui n’ont pas enfreint la loi, mais aussi aux personnes que nous ne voulons pas voir éloignées de la société en général. J’ai bon espoir que l’enquête établira combien de temps il aura fallu pour régler chacune de ces situations.

Enfin, j’aimerais que nous nous demandions pourquoi il nous aura fallu la Loi sur les mesures d’urgence pour avoir accès à des mesures financières cruciales. Plus précisément, j’espère que l’enquête permettra de répondre à certaines questions, par exemple : pourquoi notre système de surveillance financière n’est-il pas capable de surveiller les activités financières utilisées pendant ces occupations sans invoquer la Loi sur les mesures d’urgence? Les organisateurs ont fait preuve d’astuce en mobilisant et distribuant sans tarder un grand nombre de dons, y compris ceux effectués au moyen de cryptoactifs. Bien que ces activités ne soient pas très nouvelles et leur utilisation fût loin d’être inimaginable, elles ne sont pourtant toujours pas réglementées. Notre réglementation et l’application régulière de la loi doivent commencer à s’adapter aux réalités du marché.

Cette crise a entraîné l’ajout de nouvelles technologies et plateformes de paiement à notre liste d’entités financières réglementées, mais le fait qu’il aura fallu une crise pour qu’il en soit ainsi est troublant.

Deuxièmement, pourquoi n’avons-nous pas modernisé notre approche de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes, alors que les protocoles actuels du CANAFE permettent de saisir moins de 1 % des mouvements de capitaux d’origine criminelle estimés au Canada? Comment se fait‑il que cela n’ait pas été une priorité? Le statu quo signifie que les mauvais joueurs ont un taux de succès de 99 % pour le transfert de leur argent au Canada. Notre système actuel est un fardeau pour les bons joueurs et ne permet pas de retracer les mauvais, à moins d’avoir recours à la Loi sur les mesures d’urgence. C’est une réalité inacceptable.

Troisièmement, pourquoi sommes-nous incapables de repérer et de réglementer l’entrée de fonds étrangers au Canada pour des considérations politiques, idéologiques ou illégales? Pourquoi l’adoption d’une nouvelle réglementation et de processus appropriés n’ont-ils pas eu la priorité à l’ère numérique? Tout simplement, nos organismes de réglementation financière ne se sont pas adaptés aux réalités de la technologie et du marché. Le Canada stagne pendant que les perturbations s’intensifient.

Il existe des technologies aux points de vente hautement perturbatrices qui utilisent les paiements cryptographiques, mais nous n’en sommes toujours pas à construire un système financier bien pensé qui répondra aux réalités du marché. Nous devons commencer à accorder la priorité aux droits relatifs aux données, à l’inclusivité financière et à la compétitivité mondiale, tout en protégeant la liberté de prendre des décisions financières et de limiter résolument le rôle des mauvais joueurs.

La tâche n’est pas mince. Pour chacun de ces enjeux, je m’inquiète de la quantité de travail législatif à faire, dans un environnement où la confiance des Canadiens dans leurs institutions publiques et politiques a été effritée et où ils font de plus en plus confiance à ce que leur apportent les médias sociaux.

C’est terriblement inquiétant. Rétablir la confiance perdue doit être la grande priorité. On pourrait alléger la tâche en accordant la priorité à l’utilisation de moyens de consultation pour amener les Canadiens à participer à l’élaboration de solutions communes à des problèmes communs et éliminer l’approche paternaliste « Ottawa a toujours raison », qui consiste à donner aux Canadiens une solution prédéterminée à un problème présélectionné.

Chers collègues, dans tout le pays, les Canadiens ont continué à faire leur travail. Ils sont stressés, fatigués et épuisés, mais ils ont continué à travailler. Je suis reconnaissant envers le million et plus de Canadiens qui ont eu du mal à joindre les deux bouts, qui sont fatigués et qui ont travaillé sans relâche pour éviter que notre système de soins de santé ne s’effondre pendant la crise. Je suis reconnaissant envers les 130 000 camionneurs qui ont poursuivi leurs livraisons au Canada, jour après jour. Je suis reconnaissant envers les innombrables travailleurs essentiels qui demeurent des héros, même s’ils ne touchent plus la rémunération des héros. Je suis reconnaissant envers les journalistes qui protègent notre démocratie en recherchant toujours la vérité, et je suis reconnaissant envers les policiers, les premiers intervenants, les entrepreneurs et les simples citoyens qui permettent à notre société de continuer de fonctionner. Je suis reconnaissant que tous ces Canadiens aient continué de faire leur travail.

(1020)

Honorables collègues, je crois qu’il est maintenant temps que les politiciens canadiens calment le jeu, cessent de tenir des propos partisans et tentent d’offrir des solutions plus durables, inclusives et fructueuses à tous les Canadiens. C’est notre rôle, et je m’inquiète quand nous ne l’assumons pas. Merci, chers collègues.

[Français]

L’honorable Diane Bellemare : Je voudrais d’abord remercier tous les sénateurs qui ont pris la parole tout au long de ces discours bien sentis et réfléchis, et je tiens également à féliciter le sénateur Gold qui a répondu à nos questions de manière remarquable.

J’avoue mon tiraillement face à la motion dont nous sommes saisis. Je suis partagée entre les arguments pour ou contre la motion, et je ressens les malaises qui ont été exprimés par plusieurs, notamment aujourd’hui par les sénateurs Patterson, la sénatrice Miville-Dechêne et tous les autres.

Tout d’abord, je veux préciser pour les Québécois qui nous écoutent et qui ont subi la Loi sur les mesures de guerre de 1970 que la Loi sur les mesures d’urgence n’a aucune commune mesure avec la première, car elle est beaucoup plus douce.

La Charte canadienne des droits et libertés n’existait pas à l’époque et les libertés civiles ont été bafouées au Québec, on le sait, lors de la crise d’Octobre.

De telles attaques à la démocratie ne seraient plus possibles aujourd’hui avec la Loi sur les mesures d’urgence, en raison notamment des contrôles parlementaires et judiciaires incorporés à la loi.

Je veux aussi souligner que, dans mon tiraillement, je suis absolument convaincue que les forces de l’ordre devaient intervenir pour arrêter l’occupation du centre-ville d’Ottawa, tout comme elles devaient le faire pour assurer la circulation sur le pont Ambassador. Les manifestations nuisaient à l’exercice des libertés des citoyens et avaient des conséquences économiques importantes.

Cependant, le succès des interventions menées à Windsor soulève l’interrogation suivante : si la loi n’a pas été nécessaire dans ce cas‑ci, pourquoi a-t-elle été nécessaire dans le contexte du centre-ville d’Ottawa? Ces réponses, on ne les a pas eues.

La Loi sur les mesures d’urgence a été introduite le 14 février dernier, et le centre-ville d’Ottawa a été dégagé de ses occupants la fin de semaine dernière. Je comprends que les habitants d’Ottawa, et en particulier toutes les personnes et les familles qui y habitent, ont souffert de cette occupation, et je compatis avec eux.

Une majorité de Canadiens sont favorables à l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence. Certaines scènes de l’occupation du centre-ville d’Ottawa, comme l’installation d’un spa temporaire et de bâtiments de ravitaillement — phénomènes incroyables qui auraient pu faire l’objet d’un film —, ont scandalisé beaucoup de Canadiens qui ont compris que plusieurs des manifestants avaient l’intention d’y rester longtemps et qu’il était plus que temps d’agir.

Aujourd’hui, en principe, l’occupation est terminée, nous n’avons plus besoin de cette loi qui contient un ensemble de mesures assez sévères, notamment des mesures d’ordre financier, comme le gel de comptes de banque. Même si la loi précise dans son préambule que les mesures sont assujetties à la Charte canadienne des droits et libertés, certaines mesures suscitent quelques interrogations, comme les mesures d’ordre économique incluses dans la proclamation, qui permettent aux institutions financières de geler les fonds bancaires des personnes considérées comme ayant enfreint la loi.

Est-il certain que ces dispositions résisteront aux contestations judiciaires? L’avenir le dira.

Ainsi, d’où vient mon hésitation profonde quant à la motion dont nous débattons? Nous répondons à des événements nés des frustrations créées par la suspension de diverses libertés depuis deux ans au moyen d’une loi qui a pour effet de suspendre encore d’autres libertés. Malgré que plusieurs organisateurs de l’occupation semblent appartenir à des groupes d’extrême droite, ils ont tout de même reçu l’appui de Canadiens qui sont frustrés par les mesures de confinement et la division que créent ces dernières au sein des familles et des communautés.

Je ne peux faire abstraction du contexte dans lequel le recours à la Loi sur les mesures d’urgence s’est exercé, soit le contexte des libertés que nous avons perdues pendant la pandémie. Depuis deux ans, les mesures de confinement adoptées dans le cadre de la pandémie ont eu des effets réels sur l’état de la démocratie dans le monde. À ce titre, j’aimerais souligner des propos tirés du rapport Democracy Index 2020, publié par la revue britannique The Economist, dont je vais vous citer quelques paragraphes :

[Traduction]

La suppression de libertés civiles, les attaques contre la liberté d’expression et l’échec de la reddition de comptes démocratique observés depuis le début de la pandémie en 2020 constituent des problèmes graves. C’est pourquoi les scores de nombreux critères dans les catégories des libertés civiles et du fonctionnement du gouvernement de l’indice de démocratie ont diminué dans de multiples pays en 2020. Même lorsque les mesures gouvernementales bénéficiaient de l’appui du public, on a pénalisé les pays qui ont supprimé des libertés civiles ou n’ont pas autorisé un examen en bonne et due forme des nouveaux pouvoirs d’urgence.

[Français]

Tous les pays ont adopté des mesures semblables pour combattre la pandémie, mesures empruntées au modèle chinois qui a été le premier pays touché. Bref, le document produit par The Economist précise que les mêmes méthodes ont été préconisées dans les pays autoritaires que dans les pays démocratiques, en raison du fait que la Chine a été le premier pays touché et qu’il n’y avait pas de vaccin. Tous les pays ont adopté des mesures semblables, à l’exception de certains pays comme la Suède.

Avant l’arrivée des vaccins, les pays démocratiques ne disposaient pas d’autres solutions.

Au Québec, le couvre-feu — mesure extrême — a été utilisé à quelques reprises, encore dernièrement en janvier 2022. Il a été mal reçu par plusieurs et a certainement été la goutte qui a fait déborder le vase dans plusieurs communautés et foyers. Il a créé du ressentiment parmi la population adulte et en particulier chez les jeunes, et je pourrais en discuter longuement.

Revenons à l’indice de la démocratie du Canada. Permettez-moi de citer encore une fois le document publié par The Economist :

[Traduction]

Le Canada continue d’obtenir une note élevée dans le classement de l’indice de démocratie de 2020 grâce à la stabilité de longue date de son gouvernement démocratique. En 2020, le score du Canada en matière de participation politique a atteint son plus haut niveau […], ce qui a aidé le Canada à se hisser parmi le top 5 du classement mondial pour la toute première fois.

[Français]

C’est une réalisation. Toutefois, même si le Canada figure parmi les pays les plus démocratiques au monde, il y a un volet dans lequel il a perdu des points.

[Traduction]

Le rapport se poursuit ainsi : « Les restrictions liées au coronavirus ont entraîné une détérioration du score du Canada en matière de fonctionnement du gouvernement […] »

[Français]

Les restrictions, effectivement, nous ont empêchés de jouer notre rôle comme nous le faisions en période normale. Bref, la pandémie a eu des effets réels sur la démocratie dans le monde et au Canada également. Il faut en être conscient et, surtout, prendre des mesures pour la protéger.

Je précise au passage que les pays qui ont obtenu les notes les plus élevées ont été les pays scandinaves.

Cela étant dit, voici mes questions : allons-nous reconduire des mesures d’urgence liberticides dans un contexte où les libertés individuelles ont déjà été grandement réduites au Canada pendant la pandémie — même si nous voulons retourner à la normale, il y a toujours des mesures sanitaires en place —, et cela, sans savoir si la loi est nécessaire?

Comme l’a dit le sénateur Dalphond, cela crée peut-être un dangereux précédent qui ne met pas la barre très haute pour invoquer cette loi d’exception une prochaine fois. Sommes-nous en train d’appauvrir l’expression de nos réflexes démocratiques?

Le Sénat est un lieu de deuxième réflexion, nous ne sommes pas là pour gouverner à la place du gouvernement, mais il est difficile d’entériner une démarche dans le vide. La loi est toutefois temporaire, elle ne sera appliquée que pendant 30 jours, mais comme l’a expliqué le sénateur Cotter, la majorité des Canadiens y sont favorables. Elle ne s’appliquera pas dans ma province, à moins que le premier ministre du Québec en décide autrement. Elle a été adoptée par une majorité de députés à la Chambre des communes. Ne pas entériner au Sénat cette mesure, qui a reçu l’aval de la majorité de la population, créera certainement une tension politique importante.

(1030)

Enfin, comme le disait le sénateur Cotter, je ne suis pas certaine que nous ayons la légitimité de ne pas accorder le bénéfice du doute au gouvernement en ce moment, puisque l’application de cette loi prendra fin très bientôt, comme je l’ai mentionné tantôt. Nous pouvons suivre à la trace ce dossier et nous assurer qu’une enquête exhaustive sera faite dans les 60 jours suivant la fin des mesures d’urgence et qu’un comité parlementaire sera mis en place. Ces dispositions n’existaient pas dans les lois précédentes.

En conclusion, je souhaite ardemment que le Canada s’inspire des pays qui ont un indice de démocratie encore plus élevé que le nôtre, soit les pays scandinaves. Pour avoir étudié plusieurs de leurs politiques publiques, une partie de leur recette est liée à l’esprit de concertation et de dialogue social qui anime ces sociétés. Notre Confédération a besoin d’institutions qui permettent une meilleure concertation entre les gouvernements et qui favorisent le dialogue social avec la société civile. L’obligation de recourir à des mesures d’urgence n’aurait peut-être pas été nécessaire s’il y avait eu plus de concertation entre les ordres de gouvernement.

L’adoption de la Loi des mesures d’urgence en dit long sur la pauvreté de nos institutions responsables de la concertation et du dialogue social au Canada. À un moment où la polarisation des idées s’amplifie, nous avons besoin de ce type d’institutions pour combattre la polarisation qui accompagne la désinformation. Comme vous le savez, se concerter et favoriser le dialogue permet de diffuser les mêmes informations et de renforcer les valeurs communes. Pour l’instant, chers collègues, compte tenu de ces éléments, je crois que je donnerai le bénéfice du doute au gouvernement. Merci.

[Traduction]

L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier tous de vos interventions. C’est dans les moments et les situations comme ceux-ci, qui se produisent rarement dans cette enceinte — mais qui se sont produits tout de même avec une certaine régularité au cours de mes neuf années ici — que je me rappelle le talent et la sagesse incroyables que nous avons au Sénat.

Je dis souvent que les Canadiens devraient lire nos biographies et suivre ce qui se passe au Sénat de temps à autre.

Vraiment, ce débat a été formidable. Je dois dire que j’envie la certitude avec laquelle chacun a défendu sa position, avec les arguments rigoureux présentés par les deux camps. De fait, nous en avons eu une excellente juxtaposition avec le sénateur Arnot et la sénatrice Marshall, qui avaient des plans opposés, et qui ont l’un comme l’autre fait de puissants exposés pour défendre leur position.

Je me trouve hors de mon élément, ce qui ne m’arrive pas très souvent. Je me trouve presque détaché et dans une situation surréaliste, comme un observateur. J’ai toujours pu m’appuyer sur mon expérience personnelle et professionnelle, qui a toujours été ancrée et confirmée par les valeurs de ma famille et de mon milieu. Je ne peux compter là-dessus aujourd’hui. Ma collectivité, mon pays sont gravement divisés. Nous ne pouvons plus discuter de rien parce que nous ne pouvons même pas tomber d’accord sur les faits.

Le Canada traverse une période des plus troublantes. Je ne vois pas de leadership, pas de leadership rassembleur. Il n’y a de leadership nulle part, ni au Cabinet du premier ministre, ni au bureau du chef de l’opposition, ni chez les premiers ministres provinciaux. Il n’est pas étonnant que nous continuions dans cette voie.

J’aimerais remercier les camionneurs du Canada. Selon l’Association canadienne du camionnage, 320 000 Canadiens travaillent dans l’industrie du camionnage. C’est environ 2 % de la main-d’œuvre totale du Canada. Jour après jour, ils livrent des aliments et des marchandises de toutes sortes à destination et en provenance du Canada, à destination et en provenance des quartiers, à destination et en provenance des foyers. Pendant la pandémie de COVID, nous avons compté davantage sur leur travail. Nous leur avons demandé d’en faire plus que d’habitude. Nous avons tous fait des achats que nous avons fait livrer à la maison, alors que nous aurions normalement dû aller les faire en magasin. La plupart du temps, ils ont travaillé sans être vaccinés. Personne n’avait de vaccins à leur donner. Ils l’ont fait quand même.

Ils font un travail difficile et, bien souvent, solitaire. Ils se débrouillent seuls. La route et la circulation sont souvent dangereuses.

Je tiens à dire aux camionneurs du Canada que vous êtes appréciés, estimés et respectés. De nombreuses personnes et organisations ont usurpé votre réputation collective à leurs propres fins en cette période trouble, mais les gens raisonnables la reconnaissent.

Je tiens à remercier les agents de la paix qui ont fait preuve d’une compétence, d’une retenue et d’une détermination remarquables au cours des dernières semaines pour rétablir l’ordre public, comme cela s’imposait, à Coutts, au pont Ambassador et ailleurs, mais surtout ici à Ottawa.

Il y a deux semaines, je suis passé à quelques reprises par la rue Wellington au milieu des manifestants du convoi. Quiconque passait par là ne pouvait s’empêcher de constater que ce convoi regroupait des gens de tout le pays, d’un océan à l’autre, pour reprendre une expression populaire. Les manifestants représentaient de nombreuses cultures, croyances et opinions politiques, dont certaines étaient farfelues, mais des millions de Canadiens adhèrent à la grande majorité d’entre elles.

Je dois dire que j’ai suivi vaguement la couverture médiatique durant le déplacement du convoi de l’Ouest canadien jusqu’à Ottawa. Je ne l’ai pas suivie de près. Les médias ont présenté le convoi comme une bande hétéroclite de gens de l’Ouest qui arrivaient à Ottawa. Nous avons entendu des commentaires du même genre au sujet des gilets jaunes et des groupes de soutien à l’industrie énergétique venant de l’Ouest en direction d’Ottawa.

En arrivant sur la Colline, j’ai constaté, à ma grande surprise, que la majorité des camions stationnés dans la rue venaient du Québec et de l’Ontario. En fait, je n’ai pas vu un seul camion de l’Alberta sur la rue Wellington. Je n’ai entendu aucun média prétendre qu’il s’agissait d’une manifestation d’une envergure nationale.

(1040)

Je n’ai jamais entendu personne demander comment ces cinglés Albertains qui ont été arrêtés avaient réussi à communiquer avec tous ces Québécois — s’il s’agit d’un complot — pour leur dire de venir à Ottawa ce jour-là. Il est difficile de croire que ces gens — parce que je ne pense pas qu’aucun d’entre eux parle français ou a un réseau au Québec — aient réussi à convaincre un si grand nombre de camionneurs de cette province — et c’est seulement un exemple — de venir à Ottawa.

Il est indéniable qu’il y a eu une vague de soutien de partout au pays. C’est très simple à comprendre. Des millions de Canadiens se sont identifiés aux manifestants. Des millions de Canadiens continuent d’avoir le même sentiment. Des milliers de Canadiens ont donné des dizaines de dollars à cette campagne de sociofinancement parce qu’ils avaient l’impression de faire une bonne chose en contribuant à ce qui allait être une manifestation à Ottawa contre l’ingérence constante du gouvernement dans leur vie depuis deux ans. Je crois que ce n’est pas plus compliqué que ça, mais nous verrons.

La triste ironie au sujet de l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence, le 14 février, c’est que pendant que les manifestants protestaient contre l’ingérence du gouvernement dans leur vie, la solution au problème a été d’accroître cette ingérence dans leur vie par le biais de la Loi sur les mesures d’urgence. C’est ce qui a fait monter la tension.

Je suis d’accord avec la sénatrice Saint-Germain, la sénatrice Marshall et les autres: ce qui est arrivé n’aurait absolument jamais dû arriver. On n’aurait jamais dû tolérer une occupation illégale de trois semaines. Ce ne sont pas les reproches à faire qui manquent, et l’enquête qui suivra, je l’espère bien, ne ménagera aucun effort pour attribuer le blâme à qui il revient, pour établir les faits et pour imputer la responsabilité. Et j’espère que les personnes et les organisations qui se verront reprocher leurs torts en assumeront la responsabilité.

Quoi qu’il en soit, chers collègues, je crois que le gouvernement a pris la décision d’invoquer la loi en se fondant sur les faits en sa possession dans une situation très instable et qu’il a ainsi fait son travail. Il a pris la décision, et je crois qu’il a agi de façon responsable.

Cette décision a été prise il y a neuf jours. Depuis, la manifestation de Coutts et celle du pont Ambassador, ainsi que les blocages et occupations d’Ottawa, ont cessé. Les rues ont été dégagées. La circulation a repris son cours normal dans la rue Wellington et les autres rues. Il y a eu un nettoyage, et il y a des mesures de prévention à mettre en place, mais j’ai la conviction que la police et les autorités compétentes prendront ces mesures de prévention.

Le sénateur Gold a expliqué pourquoi nous devons maintenir la Loi sur les mesures d’urgence aujourd’hui, mais je ne crois pas que nous soyons près, aujourd’hui, 23 février, de correspondre de quelque façon à la définition d’une urgence de sécurité nationale.

L’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence divise les Canadiens. Cela ne fait aucun doute. Il y a quelques jours, après l’invocation de la loi, Mainstreet Research a d’ailleurs mené un sondage qui l’illustrait bien. Parmi les Canadiens qui ont répondu au sondage, 39 % s’opposent vigoureusement à la Loi sur les mesures d’urgence et à son application maintenant; elle est répugnante pour bon nombre de ces personnes. À l’inverse, 38 % sont fortement d’accord sur la mise en vigueur de la Loi sur les mesures d’urgence, et le reste est soit un peu contre soit un peu pour ou n’a pas d’opinion. Donc, 39 % contre 38 %, cela signifie que nous sommes divisés. La majorité est divisée.

Je pense donc que nous devons, à ce moment-ci, examiner cette motion non pas pour sanctionner une décision qui date de neuf jours, mais pour voir si cette mesure qui sème la discorde se justifie toujours.

Cela dit, sur ces paroles insuffisantes, je m’arrête ici. Je voterai contre le maintien de la Loi sur les mesures d’urgence parce que je ne crois pas qu’elle soit encore nécessaire et parce qu’elle ne fera que diviser de plus en plus les Canadiens, chaque jour, chaque heure qu’elle sera en vigueur. Merci.

L’honorable Mary Coyle : Le sénateur Tannas accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Tannas : Oui.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, sénateur Tannas, pour vos observations réfléchies. Comme tout le monde ici, je crois, j’écoute toujours attentivement lorsque vous vous levez parce que nous savons que vous avez examiné la question avec beaucoup de sérieux. Je vous remercie de votre discours d’aujourd’hui.

Comme vous l’avez dit, nous sommes tous aux prises avec la question très grave dont nous sommes saisis. C’est une question sérieuse. Les divisions dont vous et d’autres avez parlé et qui sont au cœur de la situation dans laquelle nous nous trouvons sont très préoccupantes.

J’ai une préoccupation concernant, et j’en arrive à la question, le sondage que vous venez de citer, qui montre que le nombre de Canadiens qui appuient la Loi sur les mesures d’urgence est à peu près égal à ceux qui s’y opposent. Ce qui m’inquiète, probablement des deux côtés, c’est de savoir s’ils savent vraiment de quoi il s’agit. Je m’inquiète particulièrement pour ceux qui s’y opposent parce que je crois, et je le sais en raison des nombreux courriels que nous avons reçus, que de nombreuses personnes au Canada ont malheureusement retenu comme message qu’il s’agit en fait de la Loi sur les mesures de guerre draconienne qui a été invoquée deux fois dans l’histoire du Canada, et non trois fois. Il s’agit plutôt d’une nouvelle loi, d’une loi très différente, et je sais qu’il y a là une nuance que les Canadiens ont beaucoup de mal à comprendre et qui, par conséquent, peut amener les gens à confondre les deux lois. Pourriez-vous nous en parler?

Le sénateur Tannas : Oui. Cette loi n’a jamais été utilisée depuis sa création, en 1988. Cela en dit long. Nous avons passé toutes ces années, soit plus de 30 ans, sans avoir besoin de l’utiliser. Nous avons traversé des moments difficiles dans notre pays; le 11 septembre en est un qui me vient à l’esprit et qui a été cité ici. La loi n’a donc jamais été utilisée.

Je pense que les Canadiens savent qu’il ne s’agit pas d’une mesure législative destinée à être utilisée à la légère et qu’elle empiète sur les libertés. Je pense qu’ils le savent, qu’ils soient pour ou contre.

(1050)

Je suis d’accord avec vous. Je pense que la nomenclature pourrait être déformée selon l’argument que l’on veut présenter. Je pense donc que cela met en lumière le problème et probablement la division en cause.

Il y a des gens qui croient que de rares exceptions comme celle-ci ne devraient jamais être utilisées et ne devraient jamais être normalisées, et il y en a d’autres qui croient que ce qui s’est passé à Ottawa justifie son utilisation. À mon avis, c’est un exemple de faits alternatifs, de déformation de la réalité.

Je vais vous donner un autre exemple qui me dérange. Cela me dérange lorsque je regarde de l’autre côté de la rue Wellington, là où se tenait la manifestation, et j’ai dit qu’il fallait la démanteler, mais il ne s’agissait pas d’un groupe de suprémacistes blancs et de racistes. Certes, il y en avait quelques-uns dans le groupe. Il y aura toujours des détraqués qui se joindront à la moindre manifestation. Nous n’avons pas besoin d’en parler, mais c’était le discours du gouvernement, du chef de notre pays. J’étais extrêmement mal à l’aise, déçu de tout cela, tout comme j’étais déçu de ceux qui sont allés défendre des gens, et non leurs idées, qui étaient dans l’illégalité dans les rues d’Ottawa.

Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question, mais j’ai fait de mon mieux.

L’honorable Brent Cotter : Le sénateur Tannas accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Tannas : Bien sûr.

Le sénateur Cotter : Il m’est difficile de poser cette question, sénateur Tannas, et ce n’est pas quelque chose que j’ai l’habitude de faire. Je vous remercie pour la sincérité de vos remarques et, à bien des égards, je suis tout à fait d’accord avec vous. Ma question, je suppose, est la suivante : si nous étions tous d’accord avec vous, nous voterions tous contre cette motion. Le problème avec le fait de voter non, il me semble, c’est qu’il est impossible de savoir si nous envoyons le message que l’état d’urgence n’aurait jamais dû être déclaré, ou s’il était légitime de le faire, mais qu’il devrait être annulé maintenant.

Je suis sensible à cette tension, alors je veux vous poser la question suivante : la loi nous donne le pouvoir de présenter une motion, signée par 20 sénateurs, pour amorcer un processus qui mettrait fin à cette situation. Je me demande donc si, pour répondre à la description et à l’objectif que vous avez à l’esprit, nous devrions appuyer la Loi sur les mesures d’urgence et ensuite demander sa révocation. Nous indiquerions ainsi la légitimité de la résolution, mais la nécessité de l’annuler maintenant. J’aimerais savoir si c’est une meilleure solution que les arguments que vous avez soulevés. Merci.

Le sénateur Tannas : Merci. J’ai moi-même débattu de cette question, mais voici la conclusion à laquelle j’en suis arrivé : personne ne nous demande la permission d’invoquer cette loi. Elle a déjà été invoquée. Elle est en vigueur depuis neuf jours. Si nous ne prenons pas de décision à ce sujet, elle continuera de s’appliquer pendant environ 20 jours, jusqu’à son expiration.

Je ne me sens pas obligé de suivre le processus en deux étapes, puisqu’on ne nous a pas demandé la permission. La Loi est assez claire : si nous refusons, nous la révoquons, mais tout le reste se poursuit, l’enquête, et cetera. Cela ajoute donc probablement une certaine intention. Je ne sais pas, je n’ai pas lu le hansard, mais il y avait probablement l’intention de faire interrompre ce processus après l’avoir invoqué et utilisé dès que les parlementaires, dans leur grande sagesse, reconnaîtraient qu’il n’est plus nécessaire.

Je ne dirais à personne ici qu’il y a lieu de s’inquiéter d’octroyer une permission que personne n’a demandée il y a neuf jours, mais plutôt de ne pas le faire, si vous tenez vraiment à ce que la mesure cesse aujourd’hui, parce que le processus avec dix sénateurs prendra de nombreux jours. Franchement, je prédis que si nous entamons le processus — et je serai, comme la sénatrice McPhedran et d’autres, un signataire prêt à le faire —, cela nous mènera à la semaine prochaine. Nous tiendrons un débat. Je doute que nous en arrivions là. Personnellement, je parie que les députés néo‑démocrates sont de retour chez eux en ce moment même pour rendre visite à leur famille, à leurs amis et aux membres de leur collectivité et qu’ils reviendront lundi pour lancer eux-mêmes le processus. Et la police découvrira tout à coup qu’elle a trouvé le moyen de régler la situation sans se servir de la Loi sur les mesures d’urgence, et on la révoquera. Aux fins du compte rendu, je dirai que c’est mon pari. Sinon, je participerai volontiers à la prochaine étape. Merci.

L’honorable Paula Simons : Sénateur Tannas, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Tannas : Oui.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, sénateur Tannas. Comme vous, j’envie les certitudes de certains de nos collègues. Comme vous, je suis profondément troublée par le précédent établi par l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence. Comme vous, je suis encore en train de me faire une idée. Toutefois, je tenais à vous poser une question au sujet de votre affirmation selon laquelle vous n’avez vu aucun suprémaciste blanc impliqué dans l’occupation à Ottawa et de votre observation d’hier selon laquelle personne n’a été blessé à cause de la manifestation.

Les arrestations à la frontière de Coutts, qui ont eu lieu au sud de votre lieu de résidence, mais dans votre région élargie, m’ont certainement fait réfléchir. Je pense au fait que la police a saisi une grande quantité d’armes à feu et de munitions et que ces armes portaient le symbole du groupe suprémaciste blanc Diagolon. Je me demande si nous ne sommes pas un peu naïfs en disant que personne n’a été blessé et que seulement quelques détraqués se sont greffés à la manifestation. Selon moi, la manifestation a pour origine une tendance très sombre, très insidieuse et très inquiétante au Canada, à laquelle nous devons prêter beaucoup plus d’attention.

Le sénateur Tannas : Tout d’abord, je crois avoir dit que personne ne s’est retrouvé à l’hôpital. Je pense que nous avons tous vu une dame qui a été heurtée par un cheval, qui s’est relevée et a été interviewée. En passant, mon commentaire ne portait pas nécessairement sur la vertu de ceux qui étaient aux barricades. Il concernait plutôt la discipline de la police et les tactiques qu’elle a déployées pour mettre fin à la manifestation d’Ottawa en toute sécurité.

Vous pourriez avoir raison. Je ne connais pas les gens de l’Alberta qui ont été désignés comme les instigateurs de la manifestation. Je ne sais pas quelles étaient leurs motivations, mais je peux vous dire que les millions de personnes ayant exprimé, d’une manière ou d’une autre, leur sympathie et leur appui à ce mouvement y ont vu quelque chose qui exprimait leur insatisfaction, ou qui l’exprimait au moins en partie. Je ne sais donc pas, en réalité, si des Canadiens ordinaires éprouvant des difficultés réelles se sont approprié la manifestation, ou si le convoi composé de vrais Canadiens éprouvant des difficultés réelles a été quelque peu détourné par un très petit groupe de personnes. J’ai regardé en remontant et en redescendant le long de la manifestation. Je ne pouvais pas voir de drapeaux... J’ai bien vu beaucoup de drapeaux. D’abord, le drapeau canadien, qui était le plus visible. Ensuite, il y a eu un drapeau, avec une feuille d’érable, sur lequel figurait un commentaire sur le premier ministre. Mais on ne peut pas dire qu’on voyait vraiment autre chose ressortir en particulier. L’écrasante majorité des pancartes qui étaient placées le long de la clôture portaient sur les libertés individuelles et la vaccination. Je ne suis pas en mesure de commenter. Savoir si le nombre de suprématistes blancs augmente ou diminue ou si leur nombre est stable ne fait pas partie de mon domaine de spécialisation. Dans une société libre, nous aurons toujours des individus de ce genre. Ils seront toujours là, et nous devons les combattre en prenant tous les moyens nécessaires.

(1100)

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond : Est-ce que le sénateur Tannas accepterait de répondre à une autre question?

Je voudrais vous remercier pour vos commentaires et m’assurer que j’ai bien compris.

Vous avez expliqué plus tôt que l’on doit regarder la situation en date d’aujourd’hui. Si je comprends bien la loi et si, entre il y a neuf jours et aujourd’hui, on avait découvert qu’un million de comptes bancaires avaient fait l’objet d’une saisie et d’une interruption des opérations financières en vertu du décret sur les mesures économiques, il serait un peu surprenant que le Sénat confirme la déclaration pour engager un processus la semaine suivante afin d’annuler le règlement ou déclarer qu’on devrait mettre fin à l’application de la loi.

Si je comprends bien, on doit regarder la situation telle qu’elle est aujourd’hui, y compris les impacts qu’a eus la déclaration, qui a été positive dans certains sens et négative dans d’autres sens, avant de se prononcer.

Est-ce que j’ai bien compris, sénateur Tannas?

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Je comprends votre point de vue. Toutefois, certains sénateurs peuvent en être persuadés. Je suis sûr que le leader du gouvernement travaillera de manière acharnée à s’assurer que les gens sont persuadés que la déclaration doit être confirmée, et qu’il existe ensuite un processus par lequel nous pouvons la retirer et que nous ne devrions pas confondre les deux. Je crois que des gens en seront persuadés. Donc, si vous croyez et que vous admettez cela — et je crois que c’est sincère et que chaque sénateur a le droit de prendre sa décision sur n’importe quelle base —, une autre décision peut être prise lorsque nous voterons dans trois, quatre, cinq ou six jours si nous sommes toujours avec cette mesure d’urgence, si cela continue. Les sénateurs pourraient alors y réfléchir, peu importe qu’ils aient confirmé ou non la décision originale. Je l’ai fait dans mon intervention. J’ai confirmé la décision initiale, et je dis qu’il est temps maintenant d’y mettre fin. Je suis heureux que vous ayez dit que la loi est de mon côté dans cette affaire. Je ne le savais pas, mais je suis content que cela soit le cas. Merci.

L’honorable Kim Pate : Comme la sénatrice Simons, j’ai encore du mal avec cela, comme vous l’avez probablement constaté d’après mes commentaires d’hier. Parmi nous, beaucoup sont extrêmement préoccupés par ce qui peut se produire une fois qu’une telle décision a été prise dans ce genre de contexte — et je ne l’ai pas dit hier soir, mais je partage votre point de vue remarquablement bien exprimé sur la retenue dont la police a fait preuve dans ce cas, du moins dans tout ce que nous avons pu voir et dans ce qui a été filmé par la télévision. Certes, d’autres personnes m’ont dit que des choses se passaient qui n’ont pas été télévisées, mais d’après tout ce que nous avons pu voir, la retenue a été incroyable, contrairement à ce que nous avons vu dans de nombreuses manifestations dont les participants étaient des Canadiens d’ascendance africaine, des Autochtones de tout le pays et des protecteurs de la terre et de l’eau, et dans d’autres manifestations. Comme vous, je suis extrêmement préoccupée par le nombre de fois où l’on pourrait recommencer après une première fois, en particulier selon les gens qui peuvent se trouver au gouvernement et pourraient choisir d’abuser d’un tel pouvoir d’État.

J’aimerais savoir si vous pensez que l’enquête dont vous avez parlé suffit à garantir le type de responsabilisation que vous avez mentionnée et que nous devons avoir dans le pays lorsque nous envisageons d’utiliser des mesures aussi inhabituelles que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence, ou si vous pensez que nous devons réellement demander l’abrogation de la loi si elle devait être approuvée par cette Chambre — et je déduis de vos propos que vous pourriez participer à un groupe qui le ferait. Quelle est, selon vous, la voie à suivre? Je suis d’accord avec vous sur le manque de leadership. D’après vous, dont j’apprécie l’opinion, comment pouvons-nous rassembler ce pays à ce stade?

Le sénateur Tannas : L’une des choses qui doivent se produire, c’est celle qu’a décrite le sénateur Housakos. Il y a un moment où il faut cesser de compter les points politiques — et de se livrer à des calculs sur la manière de les marquer — le moment où nous faisons réellement le bilan de ce qui s’est passé. Les membres du comité doivent se concentrer sur ce qui s’est réellement passé et sur la nécessité de s’assurer que tous ceux qui ont eu un rôle à jouer et ne l’ont pas joué, ou que tous ceux qui ont joué un rôle qu’ils n’auraient pas dû jouer, sont cités, et que tout cela est mis au jour. Cela ne doit pas concerner uniquement le comité, mais également la sélection des membres du comité.

Les leaders ont une responsabilité. Ils auront la tâche de nommer les personnes qui feront partie de ce comité. Les caucus ont un certain rôle à jouer à la Chambre des communes — je parle spécifiquement de la Chambre des communes. Si vous envoyez votre spécialiste de l’image et de la communication politique dans ce comité pour vous assurer que tout tourne à votre avantage, nous sommes coulés dès le départ. Je pense que le leadership commence avant le début des travaux du comité. J’espère que le premier ministre, la cheffe de l’opposition, les caucus, le NPD, le Bloc québécois et nous tous ici ferons ce premier pas en faveur du leadership et que nous nommerons quelqu’un qui aura l’expérience requise, le courage et la volonté de travailler avec les autres pour s’assurer qu’un bilan sera fait de manière appropriée.

La sénatrice Pate : À court terme, tout à fait. Un certain nombre d’entre nous ont parlé des problèmes à plus long terme et du fait que la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui était en préparation depuis des décennies. Seriez-vous d’accord pour dire qu’il faut vraiment nous pencher — et l’un des prochains projets de loi que nous examinerons tentera de corriger cela — sur certains qui ont été laissés pour compte, comme les personnes âgées, pendant cette période? Croyez-vous que nous devons également examiner le tissu fondamental, c’est-à-dire les cadres social, économique et de la santé, qui soutient les gens partout au pays?

Le sénateur Tannas : Je pense que nous vivons une période très dangereuse. Au cours des six dernières années, nous avons passé énormément de temps à écouter, à considérer et à faire avancer les droits de nombreuses minorités qui attendaient d’être reconnues. Si j’étais chef d’une minorité, si j’étais dans cette position, je serais très inquiet, pour la simple raison que les gens qui composent la majorité sont en guerre les uns contre les autres. Ils sont divisés. Pour que les droits des minorités soient reconnus et protégés, c’est à la majorité qu’il revient de le faire. Si la majorité est dysfonctionnelle, que Dieu vienne en aide à la minorité.

Nous avons du travail à faire pour combler le fossé, ce grand fossé, peu importe comment vous voulez l’appeler, qui existe dans ce pays avant de faire quoi que ce soit. Nous sommes aussi bloqués que l’était la rue Wellington pendant la manifestation. Il faut d’abord s’attaquer à cette situation.

(1110)

Il faudra du temps et de la bonne volonté. Il y aura de nombreuses étapes en cours de route où, à mon avis, les minorités devront aider la majorité à trouver un terrain d’entente. Elles devront dénoncer les mauvais comportements de tous les côtés, et non seulement se rallier à ceux qui leur semblent les plus utiles dans l’immédiat. Nous devons rassembler la population.

Le sénateur Housakos m’a déjà dit, et j’espère qu’il ne m’en voudra pas de le répéter, mais il m’a dit : « Que voulez-vous, je suis Grec et c’est dans notre nature d’argumenter », et j’ai compris qu’il voulait dire par là que c’est ainsi en politique. Le Parlement est une institution politique. Nous sommes venus ici pour exprimer nos désaccords et pour discuter, mais toujours pour trouver un terrain d’entente et nous respecter les uns les autres. Nous devons commencer à modéliser ce comportement si nous voulons faire progresser notre pays et chacun de ses citoyens.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Pourriez-vous répondre à une question, sénateur Tannas?

Le sénateur Tannas : Oui.

Le sénateur Gold : Merci. Au moins, vous n’avez que 45 minutes. Sénateur Tannas, merci beaucoup de votre discours, prononcé comme toujours de manière sobre, raisonnable et réfléchie.

En tant que représentant du gouvernement, j’apprécie beaucoup ce que vous avez déclaré au cours de votre discours, en confirmant que le gouvernement avait pris la bonne décision d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence; ce n’était pas facile.

Dans vos commentaires, on a toutefois l’impression que vous supposez que, si le Sénat confirmait cette décision, la loi serait maintenue pendant 20 jours. Mais, en réalité, comme le dit le gouvernement et comme je l’ai signalé dans cette enceinte pas plus tard qu’hier, le gouvernement revoit la question heure après heure. C’est avec prudence et même avec réticence qu’il a invoqué la loi.

Si le gouvernement a pris, avec prudence et circonspection, la bonne décision en l’invoquant, et s’il s’est engagé à la réexaminer régulièrement, pourquoi douteriez-vous que le Cabinet ne prenne pas la bonne décision en suivant l’avis des professionnels du maintien de l’ordre, qui ont éclairé le processus à toutes les étapes, lorsqu’ils se demandent — comme ils le font régulièrement — s’il faut y mettre fin? Pourquoi pensez-vous que le gouvernement serait moins prudent et responsable à l’égard d’une décision qu’il a entrepris de revoir toutes les heures?

Le sénateur Tannas : Tout d’abord, les preuves disent le contraire. Les rues sont dégagées. Il n’y a plus de situation de crise ici, à Ottawa. J’admets qu’il était impossible que les services de police classiques, avec les lois et règlements en vigueur, aient pu faire ce qu’il fallait pour encercler 100 pâtés de maisons, empêcher les gens d’entrer et de sortir, et prendre les mesures nécessaires à l’égard de tous les autres cas qui ont été bien énumérés, afin de casser cette manifestation qui s’était métastasée pendant trois semaines. Je l’admets.

On formule beaucoup de reproches — et nous allons y venir — en cherchant à déterminer à qui incombe la faute. C’est sans importance. Comment ont-ils pu agir ainsi? Je pense que cette décision draconienne devait être prise.

Mais aujourd’hui, dire que nous devons maintenir une loi dont on a dit aux Canadiens qu’elle était invoquée en tout dernier ressort, maintenant, puis l’heure qui suit et l’heure d’après, alors que l’objectif clair pour lequel elle l’a été, ici à Ottawa, a été atteint : il est là, le problème.

Nous avons un service de renseignement qui fonctionne parfaitement. Nous avons la GRC. Dans cette province, il y a la police provinciale de l’Ontario et la police municipale. Tous ne sont pas rentrés chez eux. Ils ont travaillé dur. Ils disposent de lois et de ressources. Rien de ce que j’ai entendu ne me dit qu’ils ont encore besoin de cette loi.

Nous avons appris hier que plusieurs produits bancaires et financiers ont été gelés. Nous apprenons maintenant qu’ils commencent à être débloqués — non qu’il y en ait de nouveaux, il s’agit juste de ceux qui étaient gelés. Cela me conduit à penser que lorsqu’on dit que les mesures supplémentaires qui répugnent tant aux Canadiens — parce qu’on leur a dit que cette loi, avec les pouvoirs qu’elle prévoit, ne devait être utilisée qu’une fois peut-être par génération — doivent être maintenues, ce n’est pas logique. Je n’ai rien entendu qui me convainque du contraire.

Vous nous avez parlé, de même que d’autres personnes, de l’aspect financier des choses. Nous avons entendu parler d’un groupe de camionneurs qui tournent autour d’Ottawa ou qui sont garés dans un champ quelque part en attendant de revenir dès que la Loi sur les mesures d’urgence sera révoquée. On peut supposer que, cette fois-ci, la police a un plan si cela se produit. Si ce n’est pas le cas, je suppose que nous devrons l’invoquer de nouveau. Mais il n’est pas nécessaire de la maintenir aujourd’hui. Elle doit être rangée à sa place, dans le placard. Merci.

Le sénateur Housakos : Ou alors, bien entendu, le gouvernement peut simplement lever les obligations restantes, comme partout ailleurs, et les camionneurs ne reviendront pas, en tous cas, pas pour ce problème.

Vous avez tout à fait raison, sénateur Tannas. Vous et moi avons débattons ici depuis de nombreuses années. Parfois nous sommes d’accord, parfois non, mais nous respectons nos opinions mutuelles. Vous avez raison. Je suis Grec, et, comme on le sait, dans le mot démocratie qui vient du grec, « demos » signifie « peuple » et « cratia » signifie « pouvoir ». Le pouvoir du peuple — voilà ce qu’est la démocratie, et nous ne devrions jamais l’oublier.

J’apprécie vos interventions et vos commentaires, et je suis d’accord avec vous et avec la sénatrice Pate pour dire que c’était une énorme manifestation, mais très modérée et très pacifique. Nous devons féliciter la police et les forces de sécurité publique — et aussi les manifestants, parce qu’ils ont trouvé un moyen de protester. Toutefois, lorsque la police a dû faire ce qu’elle devait faire, ils ont reculé. Ils se sont repliés, ils ont reculé et ont accepté le dernier épisode tout en faisant passer leur message. Nous avons eu, comme l’a dit la sénatrice Pate, d’autres manifestations dans la ville par exemple Black Lives Matter, des manifestations autochtones, des manifestations parfaitement légitimes — et dans ma propre ville, il y a eu des violences contre les commerces et des statues ont été vandalisées.

Je crains que, si on n’établit pas dans le cas qui nous occupe de date de fin ou de paramètres et si on n’indique pas à l’actuel gouvernement et à ceux qui suivront que ce cas ne doit pas créer de précédent, afin d’éviter que, chaque fois que les gens, excédés, se soulèvent et qu’ils exercent une certaine violence mesurée ou transgressent quelque peu la loi et l’ordre tels que nous les connaissons dans ce pays parce qu’ils veulent exprimer leur frustration démocratiquement, les autres gouvernements se servent de ce cas comme un précédent pour réagir de manière aussi draconienne envers des groupes environnementaux, des groupes autochtones et d’autres groupes qui ont des raisons légitimes de manifester.

Enfin, nous sommes une grande fédération. Comme vous l’avez mentionné, la sécurité publique est la responsabilité collective des municipalités, des provinces et des gouvernements. Avons-nous eu une quelconque indication que les provinces et les autorités municipales réclamaient que le gouvernement agisse ainsi? Il semble qu’au moins sept gouvernements provinciaux sur dix aient été indignés par la mesure.

J’aimerais entendre vos observations sur le précédent que cela crée pour les manifestations futures. En outre, pourquoi le gouvernement interviendrait-il alors que les autres ordres de gouvernement du pays ne l’ont pas demandé?

Son Honneur le Président : Excusez-moi, sénateur Tannas. Je suis certain que vous souhaitez répondre à la question, mais votre temps de parole est écoulé, et d’autres sénateurs veulent poser des questions. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Tannas : Non.

L’honorable Salma Ataullahjan : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler de la Loi sur les mesures d’urgence. Le recours à cette loi témoigne de l’incapacité du gouvernement à contrôler les manifestations qui se déroulent à sa porte. Les Canadiens, qui s’attendent à du leadership pour les guider alors que s’entame une troisième année de pandémie et qu’ont lieu des manifestations partout au pays, ont été abandonnés pendant trois semaines, pour ensuite apprendre que le gouvernement invoquait une loi contre ses propres citoyens.

(1120)

À l’instar de la plupart des bureaux de sénateurs, mon bureau est inondé de courriels et d’appels à propos du convoi. Il y a des préoccupations croissantes sur les soi-disant manifestants du convoi de la liberté qui veulent défendre la liberté de leurs concitoyens canadiens, mais qui la leur enlèvent au passage. L’occupation de notre capitale nationale a fait les manchettes partout dans le monde, et cela a terni la réputation du Canada. Des êtres chers et des amis à l’étranger se sont empressés de prendre de nos nouvelles pour essayer de comprendre ce qui se passe dans notre pays.

À titre de défenseure des droits de la personne, je vais toujours soutenir le droit de manifester de façon pacifique. Cependant, cette manifestation, qui se déroulait de manière pacifique au départ, s’est rapidement transformée. On a vu des individus brandir des croix gammées, des drapeaux confédérés et le drapeau des Three Percenters, un groupe islamophobe que le gouvernement du Canada a inscrit sur la liste des groupes terroristes. On m’a fait part d’incidents où des membres du personnel parlementaire qui font partie des groupes des minorités visibles ont dû être escortés pour accéder à leur lieu de travail. J’ai aussi appris que des femmes ont enlevé leur masque en quittant leur domicile, car elles avaient très peur. Les manifestants ont crié haut et fort que leurs droits étaient bafoués, mais je ne peux pas m’empêcher de me demander si quelqu’un veille à la protection des droits des habitants d’Ottawa.

Ce qui m’inquiète surtout, c’est le précédent qui est ainsi créé. La Loi sur les mesures d’urgence permet au gouvernement fédéral de contourner les processus démocratiques qui s’appliquent normalement. Selon l’Association canadienne des libertés civiles, les conditions nécessaires pour invoquer la loi n’étaient même pas réunies. La directrice générale de cet organisme craint que la banalisation du recours à la Loi sur les mesures d’urgence ne compromette le démocratie et les libertés civiles au Canada. Le jeudi 17 février, cette association a annoncé qu’elle allait contester le recours à cette loi devant les tribunaux.

Je tiens à préciser que ces mesures d’urgence touchent tous les Canadiens. Contrairement à ce que nous assure le premier ministre, ces mesures ne se concentrent pas sur certains domaines précis; elles s’appliquent à l’ensemble du pays. Cette loi sert déjà à élargir la portée de lois financières et elle permet aux organismes gouvernementaux et aux institutions financières de communiquer l’information requise à la police. Ce n’est d’ailleurs que le début. Je crains aussi que la Charte des droits et libertés ne soit pas suivie et respectée. Oui, un comité spécial d’examen parlementaire se penchera sur les mesures prises par le gouvernement en vertu de la loi, mais les réflexions de ce comité pourraient arriver trop tard, car il semble s’agir d’une évaluation rétroactive. Il faut que toutes les mesures prises au titre de la loi soient pesées et scrutées et qu’elles fassent l’objet d’un débat afin de voir à ce qu’elles respectent la Charte.

Surtout, je crains que les vastes pouvoirs accordés par la Loi sur les mesures d’urgence ne se retournent contre les Canadiens racisés, comme la communauté musulmane canadienne, dont je fais partie. Depuis 2001, ma communauté a été excessivement ciblée par les autorités canadiennes et mes concitoyens. Les récentes attaques islamophobes n’ont fait que mettre en évidence que nous ne sommes pas en sécurité. À la suite de l’invocation de cette loi, le Conseil national des musulmans canadiens a déclaré que nous devons préserver notre droit de manifester tout en travaillant avec la société civile pour mieux comprendre ce que ces pouvoirs d’urgence signifient pour l’avenir des manifestations et pour renforcer les droits garantis par la Charte. Mustafa Farooq, directeur général du Conseil national des musulmans canadiens, a publié un communiqué de presse au sujet du recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Il a dit :

Les musulmans canadiens savent ce que c’est que d’avoir des organisations, des fonds et des initiatives communautaires considérés comme suspects par les services de sécurité [...] Beaucoup d’entre nous se posent des questions auxquelles il faut répondre dans le cadre d’un processus transparent qui n’est pas axé sur des intérêts partisans.

Gérer une manifestation au cœur de la capitale nationale n’est évidemment pas une mince affaire, mais la route choisie pour y parvenir ne mène pas à l’unité. De nombreuses provinces ont émis des réserves et ont clairement dit être contre ces mesures draconiennes. La Loi sur les mesures d’urgence accorde au Cabinet fédéral le pouvoir sans précédent d’assumer la compétence des provinces et des municipalités, ce qui va à l’encontre des principes fondamentaux d’un gouvernement responsable dans la tradition de Westminster. Les provinces canadiennes ont travaillé fort depuis la Confédération afin d’améliorer le statut et les spécificités de leur gouvernement provincial. Voilà maintenant qu’elles se retrouvent confrontées à une oligarchie et à la disparition de leurs pouvoirs durement acquis.

Le premier ministre avait le choix d’éteindre les flammes de la discorde et de désamorcer la situation il y a des semaines. L’absence de réaction de la part du gouvernement face aux manifestations et le recours à la Loi sur les mesures d’urgence risquent d’avoir des répercussions graves et durables sur la société canadienne. Seul le temps nous dira si notre démocratie en sortira gagnante. Entretemps, les manifestations ont pris fin et les routes sont dégagées. Alors, dites-moi, pourquoi la Loi sur les mesures d’urgence est-elle toujours nécessaire?

Tout comme le sénateur Tannas, j’ai été vraiment bouleversée par l’absence de leadership. Les Canadiens ont été laissés à eux-mêmes, se demandant où était passé leur gouvernement. Les Canadiens se tournaient vers le premier ministre Trudeau pour qu’il leur dise que tout allait bien aller, mais il était absent. Il n’a pas été là lorsque les Canadiens ont eu le plus besoin de lui. Tout ce qu’il a fait, c’est invoquer la Loi sur les mesures d’urgence.

Honorables sénateurs, pour ces raisons, je n’appuierai pas la Loi sur les mesures d’urgence et je vais voter « non ».

La sénatrice Pate : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Ataullahjan : Oui.

La sénatrice Pate : Dans son discours, le sénateur Housakos a un peu déformé ce que j’ai dit. J’ai parlé de mes inquiétudes au sujet des manifestations comme celles organisées par les mouvements autochtones et Black Lives Matter ainsi que de mes craintes par rapport à l’usage de la force par l’État pour les contenir. Vous avez aussi mentionné vos inquiétudes au sujet de la prise de parole par des groupes, que ce soit des musulmans, des personnes d’ascendance africaine ou des Autochtones. Je voudrais confirmer de quoi il s’agit exactement : la crainte n’est pas que ces manifestants causent des dommages, mais bien qu’ils subissent les torts découlant souvent des interventions de l’État lorsque de telles mesures d’urgence sont invoquées.

La sénatrice Ataullahjan : Honorable sénatrice, mes propos s’appuient sur ce que j’ai entendu des membres de la collectivité, qui craignent vraiment que la Loi sur les mesures d’urgence ne fasse rien pour protéger certaines minorités. Je ne crois pas que le sénateur Housakos a déformé ce qui a été dit. À mon avis, il a parlé de protéger tout le monde. Cela dit, je suis d’accord avec vous : nous devons faire preuve d’une grande vigilance.

L’autre problème — et je parle de ma communauté ici —, c’est que beaucoup de ces personnes viennent de pays où elles n’avaient pas nécessairement la liberté d’expression. Elles ne connaissaient pas leurs droits. Je sais que certaines situations se sont produites au cours desquelles une force excessive a été utilisée, mais le groupe visé ne savait pas quel était leur recours. Je suis ici pour représenter les Canadiens, mais les membres d’une certaine communauté communiquent avec moi et comptent sur moi pour leur donner des réponses. Ils m’ont fait part de leurs préoccupations. Que prévoit cette loi pour notre protection? Je pense notamment au Conseil national des musulmans canadiens. Nous devons aussi protéger le droit de manifester pacifiquement.

Je tiens à souligner que cette manifestation était pacifique. En cours de route, elle s’est transformée. Je veux aussi souligner que les forces policières ont fait preuve d’une grande retenue. Nous étions tous rivés à nos écrans en nous demandant ce qui se passait à Ottawa.

La sénatrice Pate : Comme bon nombre d’entre nous et sans égard au parti qui forme le gouvernement, vous craignez vous aussi que la loi puisse être utilisée contre des personnes d’une manière qui renforcerait en réalité les stéréotypes et les attitudes discriminatoires?

La sénatrice Ataullahjan : Oui.

La sénatrice Pate : Merci.

Le sénateur Housakos : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Ataullahjan : Oui.

Le sénateur Housakos : Merci. Je pense n’avoir dénaturé les propos de la sénatrice Pate d’aucune façon. Je pense que la sénatrice Pate et moi sommes d’accord. Je tiens à apporter des précisions à ce que vous dites, sénatrice Ataullahjan. Si je vous ai bien compris, tout groupe de manifestants au pays, qu’il s’agisse d’environnementalistes, de groupes autochtones, de membres du mouvement Black Lives Matter, de personnes contre les exigences liées à la vaccination, etc., aura le droit fondamental de manifester sans la menace de cette mesure draconienne. J’essaie de faire comprendre que cela créerait un dangereux précédent qui pourrait avoir des répercussions à l’avenir sur les groupes de minorités ou les groupes dont les idées ne correspondent pas à celles du gouvernement.

La sénatrice Ataullahjan : Sénateur, je suis d’accord avec vous. Cela crée effectivement un dangereux précédent. Je suis tout à fait en faveur des manifestations, comme je l’ai dit plutôt, dans la mesure où elles sont pacifiques. Nous devons permettre aux Canadiens d’exprimer leurs opinions. Comme la sénatrice Batters l’a mentionné hier, la communauté ukrainienne est très préoccupée. Je sais qu’à Toronto, on est sorti pour exprimer des préoccupations. Des gens sont allés manifester, mais ils ne peuvent pas venir dans la capitale fédérale, siège du gouvernement, alors je comprends ce que vous dites.

(1130)

En tant que militante pour les droits de la personne, j’appuie les manifestations pacifiques où personne ne se sent menacé et n’a l’impression de ne pas pouvoir accomplir ses tâches ou se rendre au travail. Cependant, cette fois-ci, il est arrivé que de jeunes filles portant un foulard doivent être accompagnées. C’est l’un de nos propres députés qui a soulevé cette question. Nous avons donc vu des personnes se sentir menacées. Je pense qu’il est préférable de nous attarder aux faits. Nous aurions souhaité que de tels événements ne se produisent pas. Nous aurions souhaité que la situation soit mieux gérée, mais le premier ministre a manqué à l’appel. Nous n’avons rien entendu de la part du gouvernement. Des partisans libéraux furieux m’ont téléphoné et m’ont demandé : « Où est notre premier ministre? »

Des manifestations pacifiques? Je suis tout à fait pour.

[Français]

L’honorable Michèle Audette : Honorables sénateurs, d’abord je tiens à remercier les nations wendat, innue, abénaquise, wolastoqey et atikamekw de m’accueillir sur leur territoire ici dans la région de Québec.

Bien que je me lève devant vous pour la première fois, ceci ne constitue pas mon discours inaugural. Je vous en ferai part sous peu en réponse au discours du Trône.

Toutefois, l’enjeu me semble trop important et m’interpelle de façon personnelle, mais aussi comme sénatrice du Québec, à partager avec vous mes réflexions et, bien sûr, des constats qui suscitent beaucoup de questionnements.

Comme vous le savez, j’ai appuyé la déclaration du Caucus des parlementaires noirs en lien avec les protestations ayant lieu à Ottawa en territoire anishinabe. J’ai également joint ma voix à celle de sénatrices et sénateurs autochtones sur ces mêmes événements. Je rappelle également que la Federation of Sovereign Indigenous Nations de la Saskatchewan, les Algonquins de Pikwakanagan, le Conseil tribal de la Nation algonquine Anishinabeg et la Nation anishinabe de Kitigan Zibi ont exprimé leurs préoccupations quant à la violation des protocoles des Premières Nations, et l’appropriation de mauvais usage d’objets et de cérémonies qui sont précieuses et sacrées pour nous.

Je continue de soutenir et de me ranger derrière ces déclarations.

Je crois fermement aux droits de manifester de façon pacifique. Voici quelques raisons : j’en fais partie, j’ai participé à des manifestations pacifiques, j’ai observé ou j’ai été témoin. Je veux en nommer quelques-unes : le Sommet des Amériques, Idle No More, la grève de la faim de Theresa Spence, la marche Amun de Wendake à Ottawa, maintes fois sur la Colline du Parlement, maintes fois sur la colline de l’Assemblée nationale, et même devant la Cour suprême du Canada pour dénoncer les injustices envers les femmes autochtones — surtout pour nous faire entendre et proposer des changements, en vue de les éliminer.

À quelques reprises, j’ai entendu dans cette Chambre des références à des manifestations autochtones en y associant des armes à feu; je puis vous rassurer que la seule arme, certains diraient, ou le seul outil que j’avais était ma voix et mes convictions à l’égard de toutes les démarches démocratiques.

Cela étant dit, je ne peux pas cautionner l’intolérance, la haine, l’utilisation de symboles haineux ou la violence de quelque nature que ce soit.

Plus fortement ces dernières semaines, comme certains le disent, pour l’avoir vu et entendu, j’ai mal à mon Canada. Un Canada qui laisse percoler le racisme et la discrimination dans les diverses institutions.

La question que je me pose et qui se pose, et qui fut maintes fois soulevée dans les dernières semaines est la suivante : si les manifestants avaient été autochtones, noirs ou d’une communauté culturelle, croyez-vous vraiment que cette mascarade aurait perduré?

Ma réponse est simple : non, cela n’aurait pas duré. La tolérance envers les manifestations pacifiques par les Autochtones ou la communauté noire est moindre et les preuves le démontrent. Ainsi, les interventions policières et autres mesures telles que des recours aux injonctions déployées s’opéreront à une vitesse grand V lorsqu’il s’agit de personnes racisées, autochtones et vulnérables.

Par ailleurs, tel qu’il est mentionné dans l’article d’Audra Diptée, professeure associée en histoire de l’Université Carleton, et je la cite :

[...] en 2016, au tout premier jour d’une manifestation pacifique à Toronto, des participants du Black Lives Movement ont été battus et gazés par la police. En 2020, à Ottawa, une manifestation à une intersection clé prônant la défense de la vie des Noirs et des Autochtones a malheureusement entraîné une inculpation de 12 personnes et le retrait de la manifestation en trois jours.

Comme le soulève Emilie Nicolas du journal Le Devoir, et je cite :

[...] pendant que des parents racisés font l’objet de signalements aux services de protection de la jeunesse pour des riens, des dizaines d’enfants sont dans le convoi d’Ottawa depuis plusieurs semaines dans des conditions douteuses.

Personnellement, j’ajoute : et qui va lever le petit doigt? Cette même journaliste, Emilie Nicolas rapporte ceci, et je cite :

[...] remémore les campements de sans-abri que les policiers ont agressivement rasés en invoquant le risque d’incendie. Alors qu’on ne compte plus les leaders autochtones qui ont fait l’objet d’une surveillance policière serrée, les autorités se préoccupent si peu des dangers posés par l’extrême droite qu’on s’est montré « surpris » des intentions d’occupation et de sédition (clairement énoncées en ligne) de plusieurs organisateurs du convoi.

Je pourrais aussi utiliser cette tribune qui m’est offerte aujourd’hui pour enflammer un discours politique. Je me contenterai d’exprimer que certains parlementaires tiennent malheureusement un double discours, un double standard devant les blocus tenus par les Autochtones et ceux qui ont pris d’assaut la Colline du Parlement.

Une personne que je respecte beaucoup, une ethnologue, Isabelle Picard, qui est Wendate, s’est aussi livrée dans un article il n’y a pas très longtemps :

Il y a deux ans jour pour jour, toute l’actualité était tournée vers les Wet’suwet’en et ce que les médias avaient appelé au mieux : la crise ferroviaire, au pire : la crise autochtone. Parce que cette crise était loin d’être entièrement autochtone. Les gens qui se trouvaient sur les rails provenaient de partout. Les personnes appréhendées, elles, étaient bien autochtones. Presque toutes. Du moins, sur le territoire traditionnel des Wet’suwet’en. Vingt-huit personnes avaient été arrêtées par la GRC à la suite de l’obtention d’une injonction par la compagnie Coastal GasLink pour un gazoduc important qui devait passer sur le territoire des Wet’suwet’en.

Depuis ces événements pré-covidiens, les négociations se sont enlisées dans un lit de statu quo. Sur le tableau, une cinquantaine d’arrestations supplémentaires. Presque tous des Autochtones. Des femmes et des aînés dans le lot. Il y a 10 jours, une plainte a d’ailleurs été déposée à l’ONU par les opposants du gazoduc pour violation de plusieurs articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Mme Picard ajoute que de nombreuses différences séparent les événements d’Ottawa et ceux de la Colombie-Britannique :

Les uns ont brûlé des milliers de litres de pétrole pour se faire entendre, les autres veulent empêcher le pétrole de couler sur leurs terres. Les uns parlent de liberté, peut-être parce qu’ils la connaissent trop, les autres ne peuvent que l’espérer, parce qu’ils ne la connaissent plus. Les deux camps (davantage si on compte les duplicatas régionaux) sont toutefois prêts à rester sur place aussi longtemps qu’il le faudra pour défendre leurs convictions.

Vous le savez, j’ai entendu des preuves lors de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Elles ont démontré clairement des atteintes aux droits de la personne et aux droits des Premières Nations, des Métis et des Inuits commises ou tolérées par l’État canadien. Ces atteintes perpétuent un environnement où la violence banalisée vient se nicher et où les auteurs des crimes agissent avec impunité. Notre confiance envers les institutions est quasi inexistante, mais nous continuons d’espérer cette confiance — je continue d’espérer cette confiance. Cependant, devant de tels événements, avec la clémence de ces mêmes institutions, on ne peut s’étonner, voire s’offusquer de nos réactions, de notre questionnement ou de notre stupéfaction.

Je me trouve donc devant vous perplexe… Pourquoi dans le texte de cette proclamation d’urgence d’ordre public, ne fait-on pas état de racisme ou de l’utilisation de symboles haineux? Pourquoi les outils et les mesures ne sont-ils pas appliqués de la même façon pour tous et pour toutes?

(1140)

Sans aucun doute, il est important d’assurer à tous le droit de vivre de façon sécuritaire et paisible. Les gens d’Ottawa ont certes retrouvé leur ville, mais on ne peut négliger ni faire fi des menaces qui planent toujours à Ottawa ou ailleurs au pays. Comment pouvons-nous nous assurer que le quotidien de la majorité silencieuse n’est plus entravé de la sorte? Surtout, comment peut-on permettre à des groupuscules de miner et de fragiliser la démocratie?

En revanche, une inquiétude m’habite. Le recours à la Loi sur les mesures d’urgence pourra-t-il justifier, dans le futur, une restriction au droit de manifester? J’espère que non.

À cette fin, je vous exhorte, chers collègues, à vous assurer qu’un sénateur membre des communautés métisses, inuites, des Premières Nations et du Caucus parlementaire noir fait partie des examens parlementaires et de toute autre mesure devant être déployée pour étudier la façon continue dont les mesures ont été prises par le gouvernement en vertu de cette loi. Cet enjeu pour moi est important : celui d’avoir des lunettes différentes et diverses lentilles.

De plus, le même principe doit s’appliquer à ceux qui devront mener une enquête et déposer un rapport auprès de chacune des Chambres du Parlement, dans les 360 jours suivant la fin ou la révocation de l’état d’urgence. Il sera alors important, encore une fois, d’avoir des lunettes métisses, inuites et des Premières Nations.

Comme le dit si bien l’ethnologue Isabelle Picard :

Revenons à l’amour et à la paix. Cela ne semble pas être notre plus grand problème. Pour parler d’amour, il faut savoir parler de haine et de guerre. Pour parler de liberté, il faut savoir parler de servitude, d’esclavage.

Depuis aussi longtemps que je me souvienne, je porte dans mon cœur et je « portage » la justice sociale, l’égalité et l’équité. Je rêve moi aussi d’une société juste et ouverte où nous trouverons tous notre place dans le respect de nos langues, de nos cultures et de nos histoires.

Je crois que le débat est important et je demeure attentive en attendant de prendre position très bientôt.

Merci.

[Traduction]

L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, la question soumise à notre attention est celle-ci : les événements qui se sont produits à Ottawa au cours des trois dernières semaines satisfont-ils aux critères établis pour recourir à la Loi sur les mesures d’urgence, un geste extraordinaire?

Une autre question demeure aujourd’hui : pourquoi le recours à la loi se poursuit-il? L’urgence a été réglée; il n’y a plus de barrages. Les autorités ne se laisseront sûrement pas prendre au dépourvu aussi gravement une autre fois. Il semble donc improbable que les manifestants puissent revenir en force. Les agents du renseignement et les policiers mènent des activités de surveillance et des enquêtes pour rester à l’affût de crimes, de complots ou de nouvelles actions en préparation.

Ils avaient déjà ces pouvoirs avant le recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

Dans une lettre adressée aux parlementaires, le groupe de réflexion non partisan Advocates for the Rule of Law soutient ce qui suit :

Le fait que le gouvernement et les forces policières ne fassent pas le nécessaire pour faire respecter les lois et les injonctions en vigueur n’est pas un fondement valable pour élargir les pouvoirs de l’État au moyen d’une déclaration d’état d’urgence quand aucune urgence n’a, en fait, été démontrée. Un manquement à la primauté du droit ne devrait pas en engendrer un autre.

La lettre dit aussi ceci :

[...] cela risque d’entraîner une érosion graduelle du rôle du Parlement en faveur du pouvoir exécutif. On pourrait y voir un accablant constat d’échec concernant les capacités de l’État. Pour demeurer une démocratie libre et fonctionnelle, le Canada doit être en mesure de résoudre les problèmes en utilisant les lois habituelles et les institutions établies, et en n’ayant recours aux mesures les plus extrêmes qu’en cas d’absolue nécessité.

Nous convenons tous, je crois, de l’importance de la primauté du droit et de l’objectivité des tribunaux au Canada, qui constituent le fondement de toute société juste. La Loi sur les mesures d’urgence demande aux Canadiens de renoncer à ce qui constitue le socle même de la démocratie.

Pour tout dire, nous avons été témoins d’un manque colossal de leadership, et ce, à tous les niveaux. Je ne crois pas exagérer en disant que le convoi et la manifestation se sont transformés en campement parce que les autorités ont été incapables de s’organiser, puis de réagir.

Il n’y avait pas un seul barrage. Les manifestants étaient dirigés vers la rue Wellington, c’est-à-dire vers l’accès principal au Parlement. Il existe des lois qui auraient permis de déplacer les camions, de faire taire les klaxons, d’éviter les émanations de diésel et de dégager les rues, mais elles n’ont pas été utilisées. C’est donc difficile d’accepter maintenant qu’une loi réservée aux pires crises de sécurité nationale ait été invoquée à cause des mauvaises décisions et de l’inaction des autorités.

Cette loi a été conçue dans le but de ne jamais être utilisée. Je m’explique : sa mise en vigueur requiert des autorités qu’elles soupèsent, qu’elles jugent bien la situation et déterminent si le jeu en vaut la chandelle. Or, cette décision est forcément politique si le gouvernement du jour se substitue au Parlement ou à l’objectivité des tribunaux. La loi est invoquée, et ensuite, le gouvernement doit demander l’autorisation. Dans ce contexte, l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence est devenue un enjeu partisan — et le premier ministre a seulement exacerbé le problème en faisant du vote aux Communes un vote de confiance.

Voilà la raison primordiale pour laquelle il est si risqué et dangereux d’invoquer des lois d’urgence. Le droit de manifester, dans une société libre et démocratique, nécessite que la loi soit appliquée à tous de la même façon. Le premier ministre a déjà jugé que certaines manifestations au Canada étaient des gestes démocratiques; il participe même à certaines. Aucune mesure n’a été prise à l’encontre de ceux qui incendient des églises ou qui déboulonnent des statues. De tels gestes ont été considérés comme étant légitimes. En revanche, le premier ministre a déclaré que les camionneurs qui manifestaient à Ottawa étaient des gens racistes, des suprémacistes blancs, des misogynes, et des gens qu’il n’aimait pas et à qui il ne parlerait jamais.

Toutefois, est-ce que le fait d’être frustré, en colère ou en désaccord avec le gouvernement fait de quelqu’un un ennemi?

Voilà le problème : qui devrait décider si un rassemblement militant est un geste de revendication légitime ou une occupation illégale? Qui devrait décider à qui s’applique la loi? Qui devrait décider les gestes de quels groupes nécessitent l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence?

C’est pour ces raisons que nous vivons sous la primauté du droit et que, pour obtenir tout pouvoir supplémentaire, il faut passer par les tribunaux et non simplement demander qu’on fasse confiance au jugement du gouvernement actuel.

Pourquoi a-t-on invoqué la Loi sur les mesures d’urgence dans ce cas-ci? On ne l’a fait ni lors du G10, ni à Oka, ni à la suite de l’attaque au Parlement en 2014. On ne l’a même pas fait à la suite des événements du 11 septembre. Je vivais à New York, à l’époque, et j’ai été témoin de la peur qui s’est installée et de la véritable crise qui s’en est suivie, et même dans ces circonstances exceptionnelles, il y a eu des débats houleux sur une situation que l’on considérait comme une véritable bombe à retardement. On se demandait jusqu’où on pouvait et on devait aller pour combattre le terrorisme. Par exemple, on se demandait s’il était justifié d’employer la simulation de noyade afin d’obtenir de l’information pour désamorcer cette bombe à retardement.

L’histoire nous enseigne que, trop souvent, les mesures qui ont été prises sous l’impulsion du moment, même pour combattre une vraie forme de terrorisme, se sont avérées malavisées, et elles ont fini par être rejetées lorsqu’on a appris leur existence, mais seulement plusieurs mois, voire plusieurs années plus tard.

Dans le cas qui nous occupe, ce que je trouve particulièrement troublant, c’est qu’on justifie le recours à cette loi en se basant sur l’ingérence et le financement de la part d’intérêts étrangers. Cela fait des années qu’il y a au Canada du financement provenant de l’étranger qui sert à soutenir des causes politiques ou à s’attaquer à des problèmes, qu’il s’agisse de mettre fin à un projet de pipeline, de sauver une baleine ou de soutenir un convoi de camionneurs. Je me demande donc pourquoi le financement de l’étranger est acceptable pour certaines causes, mais pas pour d’autres.

La ministre des Finances a indiqué que de nouvelles règles du CANAFE, que la nouvelle loi prévoit, relèveront les obligations de déclaration financière des sites de sociofinancement et des plateformes de cryptomonnaie, et que ces règles deviendront légalement permanentes. Dans l’état actuel des choses, je conviens que le CANAFE ne dispose pas des outils nécessaires pour surveiller les finances des criminels ou des groupes extrémistes, mais de profiter de l’occasion pour mettre de nouvelles lois à l’épreuve s’avère profondément non parlementaire, en plus d’abuser de la situation pour mettre en avant des politiques et peut-être même des objectifs politiques. Si l’on souhaite obtenir une version améliorée du CANAFE, il faut présenter une mesure à cet effet, en débattre, puis la soumettre au vote. Là aussi, on voit que des pouvoirs extraordinaires ont été accordés avant la tenue d’un vote par les parlementaires.

Si l’on est en désaccord avec le gouvernement, peut-on être exclu de l’activité économique au pays? Nos avoirs financiers peuvent-ils être gelés ou essentiellement saisis? Les recours pour ceux qui ont été ciblés injustement exigent des ressources, étant donné que les banques et les institutions financières ont obtenu l’immunité juridique dans le cadre de cette nouvelle loi. Le fait d’en appeler à une banque, à la police ou aux tribunaux ne résoudra probablement pas la question. Tout cela est très coûteux, et si nos ressources sont gelées, c’est hors de question. Nombreux sont ceux qui se retrouvent dans cette impasse.

Bien entendu, personne ne souhaite que notre mode de vie, nos droits et libertés démocratiques et notre système de gouvernement soient mis en péril. À part l’imposition d’une loi draconienne, quelles options s’offrent à nous?

(1150)

Comme nous l’avons vu à Coutts, à Emerson et au pont Ambassador, à Windsor, la discussion et, surtout, l’écoute ont contribué à mettre fin aux barrages et aux manifestations. Des criminels ont été arrêtés et des accusations ont été portées. Des armes ont été saisies en vertu des lois en vigueur.

Mais ici, à Ottawa, cela ne s’est pas passé ainsi. Pourquoi? Comme l’a dit le ministre de la Protection civile, Bill Blair, « nous ne pouvons pas donner à quiconque l’impression que notre démocratie est négociable ou qu’elle peut faire l’objet d’une politique d’apaisement ».

Les discussions à Coutts, à Emerson et à Windsor n’ont pas érodé la confiance envers les institutions publiques. Elles n’ont pas mis non plus notre démocratie en péril. Ces conversations, de même que l’écoute, ont aidé à dénouer l’impasse. Ces méthodes auraient également pu faire diminuer les tensions, apaiser les craintes et concilier les différentes positions ici, à Ottawa.

Chers collègues, je viens d’une région au pays où il est normal de porter des vêtements de camouflage, de conduire un semi-remorque pour gagner sa vie et d’amener nos enfants avec nous à des activités parce que nous n’avons pas de gardienne. Dans mon coin de pays, le scepticisme à l’égard de pratiquement toutes les interventions du gouvernement dans notre vie quotidienne, y compris les exigences relatives à la vaccination, est considéré comme normal.

De nombreux camionneurs ont travaillé pendant toute la durée de la pandémie. Ils nous ont livré tous les articles dont nous avions besoin ou que nous souhaitions nous procurer. Faute d’endroit où aller manger, ils étaient contraints de s’arrêter en bordure de la route. Ce sont ces gens qui étaient le noyau dur du convoi, et non pas ces agitateurs opportunistes qui ont pris le devant de la scène, envahi l’espace médiatique et ont justifié, au bout du compte, l’invocation de cette loi.

En fin de compte, ce débat est un test décisif. Son résultat reflétera votre expérience, vos croyances et votre vision du monde. J’étais avec des collègues au restaurant l’autre soir quand le résultat du vote à la Chambre a été annoncé. Cette annonce a été accueillie avec des applaudissements retentissants. On dirait que ces personnes réagissaient à une victoire sportive et ne se rendaient pas compte que notre pays venait de prendre une décision majeure et très risquée.

La démocratie n’est pas facile. La liberté d’expression, c’est tolérer que les gens ayant des croyances différentes des nôtres s’expriment pour que nous puissions nous aussi être libres d’exprimer nos croyances. Nous acceptons tous les jours de subir des risques, des inconvénients et des désagréments pour participer à notre démocratie et la protéger. Cela fait partie du prix que nous devons payer pour défendre nos droits et nos libertés.

On ne peut pas et ne doit pas normaliser le recours à des pouvoirs d’urgence, surtout à un moment où de plus en plus de Canadiens perdent leur confiance dans nos institutions.

Les défenseurs du projet de loi disent qu’il faut faire confiance au gouvernement, qu’il n’ira pas trop loin. Nous n’avons qu’à lui faire confiance. Eh bien, les mots « Just watch me » ne m’ont offert aucun réconfort, et les mots « Just trust me » m’en offrent encore moins.

Les retombées politiques de l’invocation de la Loi sur les mesures de guerre se font encore sentir. Cette décision a façonné la politique et l’altère depuis un demi-siècle. Elle a eu des conséquences que personne n’aurait jamais pu prédire.

Je crains que la même chose se reproduise. Que, même si l’on a mis fin aux manifestations et arrêté des gens, le mouvement se taise peut-être, mais qu’il continue d’exister. Je crains que les personnes qui ont été ciblées et dénigrées ou dont le gagne-pain a été menacé cessent de participer à la vie civique. Je crains que d’autres décident que la séparation est la seule solution. Nous avons vu les précédents.

Lorsque les gens perdent confiance en notre institution nationale, les liens qui nous unissent s’effritent. Le Canada en soi est un acte de foi. Notre configuration est-ouest est mise à l’épreuve quotidiennement par la force d’attraction nord-sud de nos réalités géographiques communes, de nos intérêts communs et de nos échanges commerciaux. Si nous fermons les yeux sur la réalité de nos différends politiques, si nous prétendons d’un air suffisant que la division partisane est en quelque sorte un phénomène américain et que les responsables sont des acteurs étrangers, alors, nous nions l’essence même de notre démocratie. S’opposer au gouvernement de l’heure fait partie de la démocratie. C’est ainsi que cela fonctionne. C’est la raison pour laquelle nous avons des élections. C’est la raison pour laquelle nous tenons des débats et des votes, ici et à l’autre endroit. C’est l’essence même de notre démocratie parlementaire.

Si n’importe quel autre pays faisait taire la critique ou la dissidence en invoquant des lois extraordinaires, nous serions les premiers à le décrier et à le dénoncer. Voilà pourquoi je voterai contre cette loi. Merci, chers collègues.

L’honorable Bev Busson : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la Loi sur les mesures d’urgence. Notre capitale, et par conséquent tout notre pays, ont été pris en otage et continuent d’être en danger.

Au début de la semaine dernière, il a malheureusement fallu se rendre à l’évidence que les dispositifs habituels de la police municipale étaient dépassés, comme l’a annoncé le chef de la police. La chasse aux coupables est remise à plus tard et nous devons prendre nos responsabilités.

Vendredi dernier, grâce au recours à la Loi sur les mesures d’urgence, toute la force de l’État a été déployée pour mettre fin à l’occupation de notre capitale, et nous devons aujourd’hui décider si nous sanctionnons le recours à cette loi. Les sénateurs, en tant que membres de la Chambre de second examen objectif, sont appelés à agir pour défendre, non pas leurs allégeances politiques, mais l’intérêt supérieur du pays.

Tout comme pour la pandémie, nous voilà rendus à un moment historique où nous devons agir de manière décisive et non partisane afin de soutenir notre démocratie et ceux qui ont pris des risques pour la défendre.

Ce n’est pas terminé, comme certains d’entre nous l’ont affirmé. Je vous implore de réfléchir au message que nous enverrions si nous choisissions, à ce stade de notre histoire, de faire usage de cette liberté qui a été reconquise le week-end dernier pour voter contre le recours à la loi qui nous a justement permis de retrouver notre liberté. Je le répète, ce n’est pas terminé.

Ceux qui ont orchestré l’occupation de la capitale de notre pays et les barrages routiers partout au Canada seront d’autant plus enhardis si nous, chers collègues, n’appuyons pas nos institutions nationales, nos services de police et la primauté du droit. Je le dis et je le répète, cela n’est pas terminé.

Je suis extrêmement fière des policiers de tout le pays. Au cours des derniers jours, ils ont employé des techniques policières professionnelles de façon exemplaire en recourant de façon mesurée à leurs pouvoirs, sans faire usage de gaz lacrymogène, sans déclencher d’émeutes ni de pillages, et sans aucune perte de vie humaine. La Loi sur les mesures d’urgence continue de permettre à la police d’intervenir avec vigueur et d’assurer le rétablissement de notre démocratie. Si nous votons contre, cela reviendra à envoyer un mauvais message. Les suggestions formulées aujourd’hui selon lesquelles nous pouvons simplement l’invoquer de nouveau si nous nous fourvoyons ne sont pas viables. Nous ne souhaitons plus jamais devoir l’invoquer de nouveau.

Les camionneurs et leurs partisans se sont rassemblés à Ottawa autour du 29 janvier pour manifester contre le port du masque obligatoire, les confinements, les limites imposées aux rassemblements et autres mesures visant à empêcher la propagation de la COVID-19. Ces manifestants pacifiques, des citoyens canadiens exerçant leurs droits, ont rapidement vu leur cause accaparée par un segment beaucoup plus sombre de notre société. Appelez-les comme vous le voulez, mais sachez qu’ils prônent le renversement de notre gouvernement et la dissolution de notre démocratie.

Le Canada est fier de reconnaître et de soutenir les droits de la personne enchâssés dans la Charte des droits et libertés. La Charte décrit les droits des Canadiens, ainsi que ce à quoi ils peuvent s’attendre et ce qu’ils peuvent exiger dans la société civile. La Charte nous amène également à comprendre que ces droits viennent avec une obligation correspondante de respecter les droits des autres. La liberté n’est pas à sens unique et les droits de l’un ne doivent pas empiéter sur ceux de l’autre. Cet équilibre est essentiel pour vivre en société dans le respect.

Un de ces droits est le droit de se prononcer contre le gouvernement et de s’opposer aux lois que nous n’approuvons pas. Cependant, chose troublante, des groupes d’extrême droite ont noyauté la manifestation contre le port obligatoire du masque inspirée par les camionneurs et l’ont transformée en un mouvement qui non seulement empiétait sur les droits des citoyens d’Ottawa, mais en plus faisait complètement fi de la règle de droit et créait un environnement haineux pour les gens qui habitent et travaillent dans la capitale nationale.

Des manifestations connexes ont eu lieu et se poursuivent partout au pays, aux postes frontaliers et aux aéroports. Les membres purs et durs de ces groupes ont contrecarré tous les efforts de négociation en vue de leur départ et ils se sont installés; ils ont fait un pied de nez aux policiers et se sont moqués du droit de se sentir en sécurité du reste de la population.

Les personnes qui habitent à Ottawa ont été les plus durement touchées, mais tout le pays a été piqué en voyant le non-respect des lois et le manque de respect de ceux qui ont transformé la capitale nationale en parc d’attractions pour anarchistes. Ne vous y trompez pas, leur objectif demeure de renverser le gouvernement et de le remplacer par le leur. Je suis désolée, honorables sénateurs, mais nous ne sommes pas prêts de diriger le pays avec la gouverneure générale. Ces gens-là, par définition, sont des anarchistes. Ils sont dirigés par des professionnels; ils sont bien financés et ils planifient habilement la chute de la démocratie canadienne. Ils se servent d’enfants comme boucliers humains pour faire obstacle aux forces de l’ordre.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice Busson, je suis désolé. Il est midi. Je dois vous interrompre. Nous reprendrons le débat à 13 heures.

La sénatrice Busson : Merci. Je suis impatiente de poursuivre.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(1300)

Motion tendant à ratifier la déclaration d’état d’urgence—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson,

Que, conformément à l’article 58 de la Loi sur les mesures d’urgence, le Sénat ratifie la déclaration d’état d’urgence proclamée le 14 février 2022.

L’honorable Bev Busson : Ces occupants sont par définition des anarchistes. Ils sont bien financés et dirigés de manière professionnelle et ils avaient habilement planifié l’effondrement de notre démocratie. Ils utilisent des enfants comme boucliers humains pour faire obstruction aux forces de l’ordre. L’État doit disposer de pleins pouvoirs pour s’assurer que ces éléments perturbateurs ne défient pas de nouveau ceux qui tentent de nous protéger. Cette manifestation à caractère politique s’est révélée un échec à maints égards, mais il incombe à la police de dégager les rues et de dissuader tous ceux qui souhaiteraient refaire l’exercice ailleurs au pays. Le problème n’est pas réglé et ceux qui sont d’avis contraire rêvent en couleur.

Si le gouvernement avait réprimé les manifestations proactivement dès le deuxième jour, certains gérants d’estrade lui auraient reproché d’avoir adopté une approche brutale. Par ailleurs, d’autres se plaindront du fait qu’elles sont allées trop loin. Dans ma vie antérieure, j’ai appris que personne n’est gagnant quand il faut recourir aux forces de l’ordre pour maîtriser une manifestation. Le rôle de la police ne consiste pas à prendre partie mais plutôt à assurer le maintien de la paix. À mon avis, compte tenu de la dynamique des occupants et du nombre de contre-manifestants forcés de se protéger, c’est un miracle que personne n’ait été tué ou que la situation n’ait déclenché ni violence ni pillage.

Cela nous amène à aujourd’hui. Que sommes-nous prêts à faire pour protéger notre démocratie? C’est essentiellement la question qu’il faut se poser. Certains disent que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence est un abus de pouvoir. J’estime que c’est exactement le genre de situation pour laquelle cette loi a été conçue. Elle a été adoptée par le gouvernement Mulroney et on n’y avait encore jamais eu recours. La situation actuelle exige une réponse efficace et ferme. Des gens, retranchés dans notre capitale, ont insulté les personnes qui portaient le masque, proféré des remarques racistes et homophobes, tenté d’incendier des immeubles où des gens dormaient et ni plus ni moins pris le contrôle des rues. Ils ont imposé leur volonté à d’autres qui avaient le droit de vivre leur vie, d’aller travailler, de se promener dans la rue et de dormir en paix chez eux sans entendre les hurlements de voyous et la cacophonie des klaxons des semi-remorques. Si de telles circonstances ne nécessitent pas le recours à cette loi, je ne vois pas ce qui le pourrait.

Nous pouvons débattre des dérapages, des personnes qu’il faut blâmer et de la façon d’éviter ce genre de situations à l’avenir — en fait, la loi exige que nous le fassions —, mais, pour l’instant, nous devons soutenir ceux qui ont repris le contrôle des rues. Sans ces pouvoirs, la police municipale était en position d’infériorité numérique et sous-équipée et elle ne recevait aucun soutien du système. À mon avis, les services de police de la capitale ne sont pas agiles ni intégrés et ils sont foncièrement réactifs au lieu d’être proactifs. Toutefois, j’ai bon espoir que l’enquête officielle permettra de corriger ces lacunes.

Entretemps, la loi accorde à la police le pouvoir de s’attaquer à ce problème de façon proactive et efficace. Comme les policiers ont repris le contrôle de la ville, ils doivent maintenant s’occuper des instigateurs de la manifestation afin qu’il soit tout à fait clair que reprendre le Canada en otage n’est pas une option. Nous devons soutenir la police en lui accordant les pouvoirs dont elle a besoin pour faire le nécessaire afin de nous rendre notre liberté. Nous demandons... Non, nous exigeons que les policiers se mettent en danger pour nous, notre capitale et notre pays. Ils méritent de pouvoir le faire en toute sécurité et avec tous les outils disponibles.

Les manifestations sont des situations extrêmement difficiles et complexes à gérer dans le meilleur des cas. Elles sont à la fois dangereuses et imprévisibles pour la police, qui doit intervenir et composer avec les erreurs systémiques du passé. Ce sont des échecs politiques qui ont créé cette situation. Si nous voulons que la police fasse respecter nos droits et protège notre démocratie en cette période exceptionnelle, nous devons faire tout notre possible pour qu’elle réussisse. Nous n’avons pas le droit à l’échec en cette période difficile. En réalité, c’est notre pays et notre mode de vie qui sont en jeu.

Les policiers savaient dès le départ qu’ils devaient réussir et ils l’ont fait conformément à la tradition canadienne, soit en employant seulement la force nécessaire, en ne causant aucune perte de vie et en envoyant le message clair selon lequel les occupations de ce genre ne seront pas tolérées. La police n’y serait pas arrivée sans la Loi sur les mesures d’urgence.

Le Canada est un pays diversifié — le meilleur pays du monde — et les Canadiens devraient s’unir au lieu de laisser cette question devenir une question partisane qui les divise. Nous devrions faire front commun pour renforcer le Canada au lieu de nous servir de cette question comme un ballon politique pour gagner des faveurs et des votes. Nous devrions défendre la loi et l’ordre. La grande majorité des Canadiens veulent que cette crise prenne fin et, bien sûr, nous voulons tous qu’elle se termine de manière pacifique. Ce n’est pas un problème local; c’est une crise nationale. Je n’arrive pas à comprendre comment nous pouvons jouer des jeux politiques avec notre démocratie et avec la vie non seulement des policiers, mais aussi des citoyens canadiens, y compris les manifestants eux-mêmes.

Je répète : ce n’est pas fini. Il est difficile pour nous d’accepter qu’il existe dans ce grand pays des groupes organisés qui souscrivent à une philosophie suprématiste blanche et antigouvernementale dans le but de faire tomber le gouvernement, mais c’est malheureusement la réalité à laquelle nous devons faire face. Ces groupes ont utilisé notre amour de la liberté et de la diversité contre nous. Ils se sont servis comme d’une arme des préoccupations valables de gens ordinaires, en l’occurrence les camionneurs, qui essayaient simplement d’exprimer leur mécontentement à l’égard des politiques gouvernementales liées à la COVID-19 et aux exigences relatives à la vaccination. Ces groupes sont stratégiques et intelligents et ils sont passés maîtres dans la manipulation et la désinformation.

J’espère que le Sénat pourra trouver un moyen de faire la différence entre les manifestations valides, qui caractérisent le mode de vie canadien, et le mouvement international visant à déstabiliser le Canada et d’autres pays par la tromperie et la haine. Nous devons aider la police et les autres autorités à utiliser cette loi pour faire ce que nous leur avons demandé, c’est-à-dire mettre fin à cet affront à l’ordre public et à notre mode de vie avant qu’il ne s’étende à d’autres régions de notre pays. Il nous incombe à tous d’avoir le courage de dénoncer l’anarchie en approuvant la Loi sur les mesures d’urgence. Une telle situation ne doit jamais se reproduire. Merci, meegwetch.

L’honorable Vernon White : Honorables sénateurs, je n’avais pas l’intention de parler cette semaine, puis j’ai changé d’idée et rechangé encore. Bref, me voici aujourd’hui.

Je dirais que, comme la plupart des Canadiens, je suis actuellement exaspéré, à bout, fatigué de ces deux pénibles années de COVID que nous avons vécues. Je reconnais toutefois que mes deux années pénibles n’étaient en rien aussi pénibles que celles de la plupart des gens. J’ai la chance d’être en santé, d’avoir une famille en santé et de faire un travail qui a été relativement peu ébranlé par la COVID. Je le dis simplement en guise d’introduction avant d’arriver au sujet à l’étude. Mon discours sera plus court que celui d’autres sénateurs qui sont déjà intervenus, principalement parce que plusieurs d’entre eux ont déjà décrit ce que j’ai moi-même vu, entendu et parfois senti pendant que je marchais au centre-ville d’Ottawa.

Je ne chercherai pas à dire s’il est légal ou non d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, puisque le Sénat compte beaucoup d’anciens juges et d’anciens avocats qui peuvent se prononcer sur ce point. Je ne m’aventurerai donc pas sur ce terrain.

Je me concentrerai plutôt sur deux points. Premièrement, le recours à la loi était-il souhaitable? Et deuxièmement, est-il encore nécessaire? En ce qui concerne le premier point, j’ai pu voir l’occupation d’Ottawa prendre de l’ampleur tandis que s’installaient, à divers postes frontaliers du pays, des barrages qui ont dans certains cas nui grandement aux échanges commerciaux et paralysé des secteurs de l’économie, dont l’industrie de l’automobile. Certaines personnes soutiendront, comme je l’ai moi‑même fait pendant les premiers jours, qu’il fallait plus de ressources, de toute évidence. Je dirais que ce besoin a été clairement exprimé par les forces policières et les dirigeants politiques d’Ottawa, et qu’il fallait y donner suite à ce moment-là.

Il a été dit, comme nous le savons tous, que les policiers d’un bout à l’autre du Canada — plus de 60 000 agents au pays — ont déjà eu a répondre à des demandes de ressources policières par le passé, par exemple, lors des sommets du G7 ou du G20, des conférences internationales et des visites présidentielles ou papales. Cependant, ces manifestations ne sont pas un sommet, ni une visite présidentielle, ni une visite papale. En fait, je dirais que ces manifestations sont devenues un amalgame de tous ces événements simultanément : un sommet du G7 à Ottawa où il faut déployer 5 000 policiers, un barrage ferroviaire où il faut envoyer 1 000 policiers. Les manifestations ont nécessité ces deux types de déploiements, jusqu’à ce qu’elles continuent de grossir, sans fin. Ces manifestations sont comme une pieuvre avec de multiples tentacules qui ne cessent de se multiplier chaque fois que les policiers les enlèvent. Selon moi, le message était très clair : l’accumulation des incidents, le manque de ressources et de moyens pour gérer les incidents et les inquiétudes à propos de la violence extrême potentielle — par exemple, les arrestations qui comportent la saisie d’armes à feu et les complots pour assassiner des policiers — montraient clairement que la situation s’aggravait et qu’il y avait un risque grandissant de violence et de mort.

Parallèlement, on constatait un mouvement aussi évident que systématique destiné à semer le désordre dans la ville d’Ottawa, par exemple en inondant d’appels les services de la ligne 911. C’est une tentative très dangereuse et sans précédent. Puis, les manifestants ont recouru à la méthode des barrages spontanés un peu partout dans la ville pour disperser les forces policières. Ils ont déplacé leurs véhicules pour bloquer des quartiers résidentiels, des zones scolaires, l’accès à l’aéroport, et ce, chaque fois que les forces policières resserraient leurs rangs au lieu principal des manifestations.

(1310)

Essentiellement, j’estime que nous avons franchi un cap où le gouvernement fédéral se devait de jouer un plus grand rôle et, dans le cas qui nous occupe, c’était sous la forme de l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence.

D’aucuns voudront savoir s’il aurait été possible de procéder autrement. Il y a toujours d’autres options envisageables, mais on ne s’en est pas prévalu pour des raisons qui, j’en suis persuadé, deviendront plus évidentes.

Parfois, la meilleure façon de juger de la nécessité de quelque chose est d’en observer les résultats, et ici, ils sont patents. On a mis un terme au siège. Depuis l’invocation de la Loi, il n’y a pas eu de grand barrage à un poste frontalier. Donc, ce que la population canadienne a demandé s’est maintenant concrétisé.

En ce qui me concerne, il est plus facile de répondre à la deuxième question, à savoir s’il est toujours nécessaire de recourir à cette loi. Voyez-vous, je dirais que nous ne savons pas ce que nous ne savons pas. La police et nos leaders gouvernementaux nous disent que c’est encore nécessaire et que la menace demeure importante. Mais plutôt que d’en juger aujourd’hui, je propose de le faire ultérieurement, quand les tribunaux et nous-mêmes examinerons leurs actions.

En gros, j’appuie l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence et, pour l’heure, j’appuie son maintien parce que les autorités me disent qu’elles ont toujours besoin des outils associés à son invocation.

Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, j’interviens aussi dans le débat sur la motion de ratification de la déclaration de situation de crise que le gouvernement a présentée.

Je tiens d’abord à dire, honorables sénateurs, que le Parti conservateur du Canada défend la loi et l’ordre. C’est ce qu’il a toujours fait et c’est ce qu’il continuera de faire.

Je me réjouis — comme vous tous, sans doute — que les barrages aient été démantelés de manière assez pacifique et sans trop de dommages matériels. Je félicite les forces policières de leur excellent travail et je remercie la vaste majorité des manifestants de la retenue dont ils ont fait preuve. Nous pouvons tous pousser un soupir de soulagement maintenant que c’est terminé.

Cela dit, on nous demande maintenant de nous prononcer sur une motion du gouvernement. Je suis d’accord avec la plupart des juristes, des constitutionnalistes, des provinces et des observateurs canadiens et étrangers : le gouvernement Trudeau n’a pas réussi à défendre son recours à la Loi sur les mesures d’urgence. De plus, les mesures qu’il a prises ne sont ni justifiées, ni mesurées, ni nécessaires.

Par ailleurs, même si la déclaration de situation de crise était justifiée et les mesures, pertinentes, la condition dont je viens de parler — l’état d’urgence — ne s’applique plus. C’est pour cette raison, et pour d’autres que je vais expliquer, que j’ai l’intention de voter contre la motion du sénateur Gold.

Avant de dire pourquoi nous ne devrions pas, selon moi, appuyer cette motion, j’aimerais revenir un peu en arrière pour rappeler pourquoi nous en sommes là.

La COVID-19, honorables sénateurs, a été très difficile pour tout le monde. Le virus a eu des effets terribles sur notre santé et notre bien-être. On n’insistera jamais assez sur la douleur et la souffrance vécues par certains.

Pour combattre le virus, les autorités du pays ont pris une série de mesures sanitaires visant à prévenir les morts inutiles. Et même si je considère que ces mesures ont été prises de bonne foi, nous sommes encore loin de savoir avec certitude si elles étaient pondérées, réfléchies et efficaces.

Ce qui fait l’unanimité, en revanche, c’est l’effet qu’elles ont eu sur les Canadiens. Trop souvent, les personnes aimées mouraient, et mouraient seules. Qu’il s’agisse des grands-parents avec leurs petits-enfants, des enfants d’âge adulte avec leurs parents, des frères et sœurs entre eux ou d’autres personnes, certaines familles ont été séparées durant des mois, et parfois même pendant plus d’un an.

Nous avons tous nos histoires personnelles à raconter, et moi aussi. Pendant près d’un an, j’ai fait des signes de la main à ma mère, au deuxième étage de sa résidence. Aujourd’hui, je peux aller la voir. J’irai justement en fin de semaine, et j’ai très hâte.

Nous ne pouvions plus voir nos amis, chers collègues. Nous ne pouvions plus aller au restaurant ou assister aux matchs de nos équipes favorites. Les cérémonies visant à marquer la fin du secondaire ont perdu leur signification, car même si de nombreux bals de finissants ont eu lieu en ligne, les élèves n’ont jamais pu participer à la fête dont ils rêvaient depuis 12 ans.

Des mariages ont été reportés et, lorsqu’ils ont lieu, seule une poignée de personnes ont pu être présentes pour les célébrer. Les funérailles, ces adieux définitifs, ont été réservées à la famille immédiate et, même dans ce cas, le nombre de personnes était souvent limité.

Des entreprises ont été fermées. Les provinces ont été en confinement. Des revenus ont été perdus. Ceux qui se situent dans la moitié inférieure de la fourchette des salaires se sont endettés. Maintenant, l’inflation ronge le pouvoir d’achat qui nous reste.

Lorsque les vaccins sont devenus disponibles, des millions de Canadiens ont fait la queue et ont retroussé leur manche. À ce jour, plus de 80 millions de vaccins ont été administrés dans tout le pays et plus de 30 millions de personnes ont reçu deux doses de vaccin. C’est fantastique, chers collègues. Avec plus de 90 % de sa population adulte ayant reçu au moins deux doses de vaccin, le Canada affiche l’un des taux de vaccination les plus élevés au monde.

Mais, à 90 %, cela signifie que 10 % ne sont toujours pas vaccinés. Ne pas se faire vacciner est rarement un choix pour ceux qui demeurent non vaccinés. Pour ces personnes, cette décision est souvent motivée par des croyances profondément ancrées. Je serai le premier à admettre que certaines de ces croyances relèvent carrément du camp des complotistes, mais pas toujours, loin de là.

Parfois, c’est une question de croyances religieuses. Parfois, on se méfie des figures d’autorité. Parfois, c’est pour des raisons médicales. Parfois, la réticence vient de connaissances qui ont éprouvé de graves effets secondaires après la vaccination. Et la liste est encore bien longue. Mais peu importe ce que vous pensez de ces raisons, elles sont toujours ancrées dans des convictions profondes. Bafouer ces convictions et croyances serait malavisé.

Chers collègues, j’ai reçu trois doses de vaccins et je suis donc pleinement vacciné. J’invite d’ailleurs tout le monde à faire de même. Cela dit, je trouve extrêmement choquant d’obliger les gens à se faire vacciner, puis de les pénaliser s’ils refusent. Je trouve préoccupant que le pays ait adopté si aisément un tel degré de coercition.

L’idée que nous puissions pousser les gens à se faire vacciner à force de cajoleries et de mesures coercitives, voire d’intimidation, n’est pas seulement déplorable, mais aussi dangereuse. Elle nourrit l’utopie d’une société canadienne homogène. C’est absurde. Elle ne l’a jamais été.

Nous devons accepter que, en ce XXIe siècle, avec la présence d’Internet et l’omniprésence des médias sociaux, nous ne pourrons jamais avoir une approche universelle par rapport à bon nombre de choses au pays, ce qui signifie que nous devons nous efforcer de protéger les droits de la population à la liberté de conscience, de religion, d’association, de croyance et, j’ajouterais, de vaccination.

Autrement, notre seule option est de recourir à un totalitarisme toujours plus affirmé où les gens sont progressivement forcés à se conformer à des choses qu’ils désapprouvent. Chers collègues, non seulement il serait tragique d’en arriver là, mais le pays s’en trouverait déchiré.

Pourtant, c’est exactement ce que nous devrions faire selon le premier ministre. Il croit que tout le monde devrait être vacciné et que ceux qui ne le sont pas devraient être méprisés, humiliés et punis. Justin Trudeau est frustré depuis les élections de 2019. Le fait de former seulement un gouvernement minoritaire et de terminer derrière ceux qu’il considère comme d’indignes opposants conservateurs au vote populaire l’a d’abord déprimé, puis l’a mis en colère. Ensuite, la pandémie est arrivée. Il a dépensé des centaines de milliards de dollars. Il a dit aux Canadiens qu’ils pouvaient compter sur lui au moins mille fois. Comme il pensait qu’il méritait d’être récompensé pour avoir dépensé l’argent des autres, notre argent, il a déclenché avec désinvolture des élections inutiles en pleine pandémie.

(1320)

Après les deux premières semaines de la campagne électorale, l’alarme a commencé à sonner dans la salle de contrôle des libéraux. Les Canadiens se montraient ingrats envers leur chef et les libéraux risquaient de perdre au profit de ces damnés conservateurs. Ils se sont alors tournés vers le bon vieux manuel libéral pour trouver une solution : diviser le Parti conservateur du Canada. Trouver un bouc émissaire quelque part et se présenter comme les opposants à ce concept. Ils ont essayé l’avortement pour la énième fois, mais ça n’a pas fonctionné. Ensuite, ils ont trouvé un groupe avec lequel se mettre en opposition : les non-vaccinés. Les politiques du gouvernement, d’abord basées sur des données scientifiques dans l’objectif de réduire la transmission du virus, sont devenues des tentatives parfois subtiles et parfois évidentes de punir les personnes non vaccinées. Le gouvernement a décidé de diviser les Canadiens simplement pour obtenir des gains politiques. À un certain point, il a franchi la ligne entre des mesures limitées, efficaces et raisonnables et des mesures qui ne visent qu’un petit groupe de personnes dans le but de faire basculer les sondages en sa faveur.

Les Canadiens en avaient assez de la pandémie et des restrictions, et ils ont déversé leur colère sur les gens non vaccinés. Le gouvernement Trudeau s’est fait un plaisir d’en rajouter. Si on se penche sur l’histoire, on voit que les gens ont toujours essayé de trouver un bouc émissaire, qu’il s’agisse des étrangers ou des minorités religieuses; maintenant, avec la pandémie de COVID-19, ce sont les personnes non vaccinées.

Le député libéral Joël Lightbound a souligné cette situation il y a quelques semaines lorsqu’il a ouvertement critiqué l’approche du premier ministre en disant ceci :

[...] [L]e ton et les politiques du gouvernement ont changé de façon draconienne juste avant et pendant la dernière campagne électorale [...] On a décidé de semer la division et de stigmatiser les gens. Je crains que cette politisation de la pandémie finisse par miner la confiance de la population à l’égard des institutions de santé publique.

Il a tout à fait raison, chers collègues. Le gouvernement Trudeau devrait avoir honte de se servir, à des fins politiques, des quelque 2 millions de Canadiens adultes qui ont choisi de ne pas se faire vacciner. Au lieu d’essayer de les convaincre de se faire vacciner, Justin Trudeau a tenté de les insulter, comme si cela allait contribuer à faire grimper le taux de vaccination. Nombre d’entre nous peuvent être en désaccord avec ces gens et désapprouver leurs revendications, mais ce n’est pas une raison pour vilipender des concitoyens.

Il faut néanmoins souligner que malgré toutes les mesures sanitaires et les exigences relatives à la vaccination, la goutte qui a fait déborder le vase est la décision du gouvernement fédéral de rendre la vaccination obligatoire pour les camionneurs qui traversent la frontière des États-Unis, puis sa menace d’imposer la même mesure aux frontières provinciales. Même s’il ne pouvait fournir aucune donnée scientifique pour appuyer sa décision, le gouvernement n’en a pas démordu.

Ironiquement, les camionneurs sont devenus la cible du gouvernement. Or, c’est le travail de ces mêmes camionneurs que le premier ministre avait applaudi dans les premiers jours de la pandémie, comme en témoigne ce gazouillis :

Alors que plusieurs d’entre nous travaillent de la maison, d’autres n’en sont pas capables, comme les camionneurs qui travaillent jour et nuit pour s’assurer que nos étagères sont bien remplies. Si vous en avez la chance, dites-leur merci et aidez-les comme vous le pouvez.

Ce gazouillis, chers collègues, a été publié le 31 mars 2020, il y a moins de deux ans. Chers collègues, l’instrumentalisation crasse de cette affaire à des fins politiques devrait tous nous inquiéter.

Les camionneurs sont des hommes et des femmes qui travaillent fort, pour qui la ligne a été franchie lorsque le gouvernement a décidé que toutes les mesures prises depuis les deux dernières années n’étaient pas suffisantes. Ce même gouvernement s’apprêtait en outre à imposer des mesures sans fondement scientifique.

Les camionneurs, qui passent leur journée seuls dans leur véhicule, sont soudainement devenus une menace pour la santé publique s’ils n’étaient pas vaccinés. Or, lorsqu’on a demandé au gouvernement de fournir les données scientifiques justifiant cette décision qui allait priver encore plus de gens de leur gagne-pain, le gouvernement n’en avait aucune.

Honorables sénateurs, ces hommes et ces femmes ont quitté leur maison et ont conduit jusqu’à Ottawa non pas pour participer à une insurrection, mais bien à une manifestation contre une intervention excessive du gouvernement qui devient endémique.

Au début, ils n’étaient que quelques camionneurs à prendre la route et ils espéraient recueillir quelques milliers de dollars pour couvrir une partie de leurs dépenses. Toutefois, le convoi a tôt fait de s’étirer sur des kilomètres, et les dons ont atteint des millions de dollars. À chaque collectivité, plus de gens se joignaient au convoi. Dans toutes les villes sur leur chemin, les participants étaient acclamés. Des gens brandissaient le drapeau canadien et exprimaient leur reconnaissance en s’entassant sur chaque viaduc au moment du passage des camionneurs. Aux intersections dans les villes et même longtemps après leur départ, des gens se stationnaient sur le côté de la rue pour les acclamer et les remercier.

Après deux ans de souffrance, l’espoir était en train de renaître. Les camionneurs rassemblaient notre pays. Une des choses à comprendre est que le « convoi de la liberté » d’Ottawa en 2022 est né de nulle part. Les médias n’ont cessé de répéter qu’il n’y avait pas de leader unique ni deprogramme défini. Comme cela se produit toujours avec les mouvements populaires, les gens se sont ralliés au mouvement pour des raisons très diverses. Il est aussi indéniable que certains éléments très malfaisants leur ont emboîté le pas.

Il n’en fallait pas plus pour que le premier ministre et son caucus décrètent que les camionneurs et les millions de Canadiens qui les encourageaient étaient de mauvaises gens. La façon dont le premier ministre les a décrits — racistes, misogynes, insurgés et minorité marginale — était déplorable. Il les a dépeints comme de dangereux individus, potentiellement violents et éventuellement terroristes. Il a dit qu’ils avaient tous des opinions inacceptables. « Comment pouvons-nous tolérer ces gens? » a-t-il demandé. C’est à peine croyable. Le premier ministre du Canada s’exprime à la télévision à propos de millions de citoyens et s’exclame « Comment pouvons-nous tolérer ces gens? ».

Oui, on trouvait dans ce mouvement des idiots faisant preuve de racisme. Personne dans cette enceinte ne devrait tolérer l’étalage de symboles racistes, mais on se fourvoierait grandement en mettant tout le monde dans le même panier, soit tous ceux qui ont participé aux manifestations, tous ceux qui ont applaudi le convoi sur la route, tous ceux qui ont admiré le courage des camionneurs et demandé la levée des exigences vaccinales. Quelqu’un dans cette enceinte — n’importe qui — peut-il m’expliquer pourquoi le propre frère de Jagmeet Singh aurait versé un don de 17 000 $ à un mouvement raciste d’extrême droite? Je ne pense pas que ce soit le cas.

En effet, certains manifestants défendaient des théories bizarres, mais si vous pensez que tous les habitants d’Ottawa et les Canadiens qui en ont assez de l’approche autoritaire de Trudeau portent un entonnoir sur la tête, c’est que vous êtes vous aussi devenu un adepte des théories complotistes.

Bien entendu, des incidents se sont produits entre des manifestants et des résidants d’Ottawa, mais si on considère la manifestation comme violente, c’est que l’on a oublié des dizaines d’autres situations qui ont eu lieu au cours des 25 dernières années, notamment quelques émeutes suivant des événements aussi hautement politisés que les séries éliminatoires de la coupe Stanley. Bien entendu, on a parlé de l’expulsion du premier ministre, sans qu’il y ait toutefois de complot crédible d’insurrection. Ceux qui voudraient renverser le gouvernement ne viendraient pas ici avec leur propre camion arborant le nom de leur entreprise en annonçant leur arrivée dans tous les médias sociaux, puis en passant trois semaines devant le Parlement à se prélasser dans un spa ou à préparer un méchoui. Ils ne transformeraient pas le coin de rue se trouvant juste au-dessous du bureau du premier ministre en « boîte de nuit la plus courue à Ottawa », comme des journalistes l’ont rapporté.

Le convoi des camionneurs a représenté l’espoir d’une solution pour des millions de Canadiens, qui en avaient assez d’être mis de côté et qui voulaient que leur message soit entendu.

(1330)

Chers collègues, vous et moi retournons chaque semaine dans nos collectivités et y entendons des gens qui en ont assez que le gouvernement dise « Que pouvons-nous faire? ». Les gens se sentent impuissants. Si l’on commence à les priver de leurs droits fondamentaux, leur sentiment d’impuissance se transforme en désespoir. Les gens finissent par en avoir assez de se faire contrôler et finissent par tenter d’y échapper.

Voici la réponse que le premier ministre leur a donnée le 31 janvier :

[...] les préoccupations exprimées par quelques personnes rassemblées à Ottawa en ce moment n’ont rien de nouveau ni de surprenant. Nous les avons entendues. Toutefois, elles perpétuent malheureusement la désinformation qui se propage en ligne, comme des théories du complot au sujet de puces électroniques ou Dieu sait quelle autre idée paranoïaque.

Ces personnes sont venues pour exprimer leurs préoccupations. Or, tout ce qu’a fait le premier ministre, c’est les insulter. Il a préféré faire de l’intimidation que d’agir d’une manière digne d’un véritable homme d’État.

Cela fait partie du problème avec lequel nous sommes aux prises. Nous n’avons pas fait un bon travail pour écouter la voix de ceux qui ont une opinion différente de la nôtre en matière de vaccination et relativement aux mesures de santé publique les plus restrictives.

L’objet principal du débat n’est pas de déterminer si ces mesures sont une bonne ou une mauvaise idée. C’est plutôt de déterminer si les gens ont le droit d’avoir des opinions différentes, pour quelque raison que ce soit, sans être censurés; s’ils peuvent vivre leur vie selon leurs valeurs et croyances, même si elles sont différentes de la norme sociale. Les gens ont des opinions et des croyances qui ne correspondent pas toujours à la version de la réalité prônée par Radio-Canada. Or, s’ils les expriment, ils se font critiquer et ostraciser.

Honorables collègues, nous devons faire mieux. Nous devons améliorer notre capacité d’écoute. Nous devons tolérer davantage les croyances différentes. C’est le prix que nous devons payer pour vivre dans une société civilisée au XXIe siècle. Tenter d’imposer le conformisme ne fait que détruire notre tissu social, et il pourrait falloir plusieurs générations pour réparer les dommages causés.

C’est en partie pourquoi il est si désolant que le premier ministre n’ait même pas voulu parler aux participants du convoi. Son impertinence n’a fait que les convaincre davantage qu’il ne se souciait pas d’eux. Tout ce qui compte pour lui, c’est qu’ils obéissent à ses décrets.

C’est à cause de cette impertinence que le convoi à Ottawa a inspiré d’autres convois dans des villes partout au pays, puis l’érection de barrages à Coutts, en Alberta, à Emerson, au Manitoba, à Surrey, en Colombie-Britannique; et sur le pont Ambassador, en Ontario. Si le premier ministre avait désamorcé la situation en entamant un dialogue avec les participants du convoi initial, la situation serait fort différente aujourd’hui.

Certains disent que le premier ministre ne pouvait pas rencontrer les dirigeants du convoi, que ces personnes étaient dangereuses et avaient des idées farfelues. Peut-être. Mais Justin Trudeau aurait pu demander à un tiers d’agir comme médiateur pour écouter les préoccupations des manifestants. Tout comme Robert Bourassa l’a fait en 1990 en désignant le juge Alan B. Gold, le père du leader du gouvernement au Sénat, comme médiateur dans la crise d’Oka. Il aurait pu faire ce que des premiers ministres provinciaux comme François Legault, Doug Ford, Scott Moe ou Jason Kenney ont fait : dire aux Canadiens qu’il les a entendus. Nous dire qu’il avait un plan pour mettre fin aux mesures obligatoires liées à la COVID-19 et autres restrictions. Nous dire qu’il y avait de l’espoir.

Au lieu de cela, l’approche du premier ministre a été de dénigrer les manifestants et de les mettre tous dans le même panier.

Le 31 janvier, le premier ministre a déclaré, à propos de la manifestation d’Ottawa :

[…] Nous ne sommes pas intimidés par ceux qui profèrent des insultes aux travailleurs des petites entreprises ou qui volent la nourriture des sans-abri. Nous ne céderons pas à ceux qui arborent des drapeaux racistes. Nous ne céderons pas à ceux qui se livrent au vandalisme ou qui déshonorent la mémoire de nos anciens combattants.

Comme je l’ai déjà fait remarquer, ce n’est pas une description juste des gens qui sont venus manifester devant la Chambre. Pourtant, il n’a jamais modéré ses propos. Le premier ministre a préféré se livrer à la politicaillerie plutôt que de se conduire en homme d’État.

La semaine dernière, en réponse à une question de la députée conservatrice Melissa Lantsman, le premier ministre a déclaré :

[...] les députés conservateurs peuvent s’afficher aux côtés de gens qui arborent la croix gammée et qui brandissent le drapeau confédéré. De notre côté, nous préférons défendre les intérêts des Canadiens qui méritent de pouvoir se rendre au travail et de reprendre une vie normale. Ces manifestations illégales doivent cesser, et elles vont cesser.

À l’évidence, dire une telle chose à une députée juive était ironique et tout à fait pathétique de la part du premier ministre. On a demandé à plusieurs reprises à Justin Trudeau de s’excuser, mais il a refusé de le faire. Il est prêt à s’excuser pour des événements survenus il y a 100 ans, mais pas pour ce qu’il a lui-même dit. Pendant trois semaines, le premier ministre s’est contenté d’insulter les gens. Il a même quitté la ville et laissé la crise s’envenimer et dégénérer.

Il est censé être le premier ministre de tous les Canadiens, même ceux qui sont en désaccord avec lui. À l’évidence, il ne voit pas les choses de cet œil, et le résultat est qu’il prend des décisions qui divisent énormément les Canadiens. Puis, après trois semaines d’inaction, Justin Trudeau est apparu et il s’est servi de l’outil le plus puissant de son arsenal, l’arme nucléaire des lois, la Loi sur les mesures d’urgence.

Il est difficile de nier que le premier ministre est en guerre ouverte contre bon nombre de ses concitoyens, comme certains l’en accusent. Au lieu de chercher à comprendre les préoccupations des gens et l’incidence des mesures prises par son gouvernement, le premier ministre recourt à tous les pouvoirs à sa disposition pour les écraser. Il s’est servi des vastes pouvoirs que confère la Loi sur les mesures d’urgence pour museler des gens qui ne demandaient qu’à se faire entendre.

L’actuel premier ministre n’apprécie guère l’opposition. Il admire la dictature chinoise. Il n’écoute pas; il prêche. Il ne débat pas; il insulte. Il ne convainc pas; il impose.

Voici où cette attitude nous a menés : nous sommes maintenant saisis d’une motion visant à confirmer que le gouvernement peut continuer à appliquer — pendant encore trois semaines environ — les mesures qu’il a invoquées la semaine dernière.

Chers collègues, je partage l’avis du sénateur Dalphond, qui a déclaré dans son intervention que nous ne votons pas pour établir si la Loi sur les mesures d’urgence a été utile depuis le 14 février. Nous ne nous prononçons pas non plus pour établir si cette loi serait utile advenant un événement imprévu dans un avenir rapproché. En fait, le gouvernement nous demande plutôt, compte tenu de la situation actuelle, si nous estimons que ces mesures exceptionnelles doivent rester en place jusqu’au 16 mars.

Cette déclaration de l’état d’urgence est sans précédent. C’est la première fois qu’on applique la Loi sur les mesures d’urgence au Canada, la première fois depuis plus de 50 ans qu’on utilise ce type de loi au Canada, et seulement la troisième fois dans l’histoire canadienne. Il est essentiel de tenir compte de ces faits au moment de prendre notre décision à l’égard de la motion à l’étude.

En invoquant la Loi sur les mesures d’urgence, le gouvernement soutient en fait que les événements dont nous avons été témoins sur la rue Wellington et d’autres rues adjacentes à Ottawa ont constitué la pire situation de crise à laquelle notre pays a fait face au cours des 34 dernières années.

Le gouvernement dit également que cette situation de crise nécessite l’utilisation de cette loi extraordinaire. Il dit que les pouvoirs ordinaires de l’État canadien ne permettent pas de faire face à quelques milliers de manifestants et quelques centaines de camions et de semi-remorques. Ce sont des affirmations extraordinaires, chers collègues.

(1340)

Rappelons-nous les nombreuses situations d’urgence que le Canada a connues depuis 1988 et pour lesquelles la Loi sur les mesures d’urgence n’a pas été invoquée. J’ai déjà parlé de la crise d’Oka, en 1990. L’affrontement armé avait alors duré 78 jours. Un policier avait été tué. La fermeture d’une infrastructure essentielle, le pont Honoré-Mercier, a obligé bien des gens à faire jusqu’à quatre heures de route chaque jour pour se rendre au travail. L’armée avait alors été déployée parce que l’ampleur de la situation dépassait la capacité d’intervention de la police. Or, la Loi sur les mesures d’urgence n’a pas été invoquée.

Il y a eu aussi les attentats du 11 septembre contre l’Amérique du Nord. Ces attentats avaient entraîné l’interruption de tous les vols aériens en Amérique du Nord. On craignait alors beaucoup un nouvel attentat terroriste dans le secteur du transport aérien ou ailleurs. La Loi sur les mesures d’urgence n’a toutefois pas été invoquée.

Le 22 octobre 2014, un homme armé a fait irruption dans l’édifice du Centre. Pendant plusieurs heures, personne ne savait s’il agissait seul. L’opération policière avait alors duré 12 heures. La Loi sur les mesures d’urgence n’a pas été invoquée.

En 2001, 50 000 personnes ont envahi la ville de Québec pendant le Sommet des Amériques, et des actes de violence ont eu lieu sans arrêt pendant quatre jours. En 2010, lors du Sommet du G7, plus de 1 000 personnes ont été arrêtées après que plus de 10 000 manifestants eurent causé des émeutes dans le centre-ville de Toronto. En 2012, pendant le printemps érable au Québec, les services de police ont dû gérer 1 370 manifestations, et certaines se sont terminées par de violents affrontements et des arrestations massives. Aucun de ces événements n’a justifié le recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

Depuis 16 ans, chers collègues, il y a un affrontement pour des terres à Caledonia, en Ontario. Des gens ont été forcés de quitter leur maison, des routes et des corridors de transport ont été bloqués, et la situation n’est toujours pas réglée. Le maire du comté d’Haldimand, Ken Hewitt, a déclaré ceci plus tôt au cours du mois :

Nous avons connu la violence, l’intimidation, nos routes ont été bloquées [...] on pourrait croire que le gouvernement fédéral aurait réagi, mais non. Il n’a rien fait.

On n’a jamais eu recours à la Loi sur les mesures d’urgence pour régler cette situation, même temporairement, et même pas pendant les pires moments de cet affrontement.

Depuis 1988, les barrages routiers, ferroviaires et de pipelines ont été nombreux — et souvent longs —, ont parfois eu lieu à plusieurs endroits en même temps, par toutes sortes de groupes et pour toutes sortes de raisons. Pourtant, on n’a jamais eu recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

La Loi sur les mesures d’urgence englobe également les sinistres, comme les incendies, les inondations et autres catastrophes naturelles. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, combien d’incendies, d’inondations et de tempêtes le Canada a-t-il connus? Dans combien de cas peut-on dire qu’il s’agissait d’une situation de crise comportant le risque de pertes humaines et matérielles, de bouleversements sociaux ou d’une interruption de l’acheminement des denrées, ressources et services essentiels, telle que définie dans la loi? Combien de fois la Loi sur les mesures d’urgence a-t-elle été invoquée? La réponse, chers collègues, est : jamais.

La Loi sur les mesures d’urgence n’a même pas été utilisée pendant l’actuelle pandémie mondiale de COVID-19. Nous devons y réfléchir. La crise sanitaire actuelle dure maintenant depuis deux ans. Il y a certainement eu des occasions où la capacité du gouvernement à intervenir efficacement semblait être remise en question. Pourtant, aucun recours à la Loi sur les mesures d’urgence n’a été nécessaire. Cela va au cœur des raisons pour lesquelles la loi n’a jamais été invoquée au Canada auparavant. Elle n’a pas été invoquée parce que les pouvoirs normaux des organismes d’application de la loi du Canada sont suffisants pour surmonter des défis comme celui que nous voyons et les critères juridiques qu’il faut satisfaire pour recourir à la Loi sur les mesures d’urgence sont assez exigeants.

Depuis 1988, tous les politiciens estiment que le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités disposent de suffisamment de pouvoirs et de ressources pour régler l’ensemble des problèmes et des crises qu’ils affrontent. À lui seul, ce fait illustre à quel point les gouvernements disposent de ressources et de pouvoirs importants. Il n’est pas facile d’aller au-delà de ces pouvoirs et de ces ressources. Toutefois, nous devons maintenant croire que ce qui se déroule à l’extérieur du Sénat constitue une menace si grave que nos forces de sécurité sont submergées. Le gouvernement soutient qu’il s’agit d’une urgence d’une telle ampleur que les outils normaux dont la police et les gouvernements disposent sont tout simplement inadéquats pour contrer la menace. Quelle est la menace qui pèse sur nous actuellement et qui justifie une prolongation de l’état d’urgence au moins jusqu’au milieu du mois prochain?

En me rendant au bureau cette semaine, je n’ai croisé aucun manifestant. Aucun. Pourtant, le gouvernement prétend qu’il y a toujours un état d’urgence extraordinaire. Il prétend essentiellement que nous vivons en ce moment une situation sans précédent. Il a probablement raison. Une manifestation qui ne rassemble au total aucun manifestant et qui est tellement dangereuse qu’elle constitue une menace pour la sécurité nationale est certainement une situation sans précédent et extraordinaire.

Chers collègues, ce n’est pas pour rien que tous les gouvernements depuis 1988 ont refusé de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence : une fois le génie sorti de la lampe, bien malin celui qui arrivera à l’y renvoyer. J’ai l’intime conviction que, si le Sénat adopte la motion du gouvernement, les soi-disant progressistes, quand ils verront de futurs gouvernements employer des mesures draconiennes ancrées dans la loi contre des mouvements qu’ils appuient, pleureront le jour où les députés libéraux et néo-démocrates et leurs alliés au Sénat auront créé un précédent le justifiant.

Je crois que la sénatrice Pate y a en quelque sorte fait allusion dans son discours ou ses questions à l’intention du sénateur Tannas. Pensez ce que vous voulez du convoi et de ses sympathisants. En permettant au gouvernement de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence, ce groupe a maintenant établi un seuil bien bas pour son application future.

Permettez-moi de passer au point suivant, soit les modalités de la loi. La question que nous devons nous poser est la suivante : est-ce que le gouvernement a satisfait aux critères définis dans la Loi sur les mesures d’urgence? Je ne crois pas que la preuve confirme l’argument du gouvernement voulant que l’invocation de la Loi s’imposait. Il est utile de consulter la définition d’un état d’urgence dans la loi.

Voici ce que l’on peut y lire :

état d’urgence Situation de crise causée par des menaces envers la sécurité du Canada d’une gravité telle qu’elle constitue une situation de crise nationale.

Premièrement, pour qu’il y ait état d’urgence, il doit y avoir des « menaces envers la sécurité du Canada ». Le sens de menaces est défini à l’article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité :

a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;

b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visant à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.

La loi précise ensuite que cette définition ne vise pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités décrites juste avant.

À première vue, si les sénateurs veulent bien se rappeler ce qui s’est passé à l’extérieur du Parlement et ailleurs au pays, je vois mal comment nous pourrions affirmer de manière crédible que ces activités constituent des menaces soutenues contre la sécurité, dans le sens où le définissent les lois.

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Tous les Canadiens vaquent à leurs activités quotidiennes. Il n’y a pas de menace ni d’activité sérieusement susceptible de correspondre à cette définition.

Un autre point concerne la définition de crise nationale énoncée à l’article 3 de la Loi sur les mesures d’urgence.

Aux termes de la loi, une crise nationale est :

[...] un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire [...] qui, selon le cas :

a) met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces;

b) menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays.

Par ailleurs, la loi précise qu’il doit s’agir d’une crise à laquelle « il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada ».

Je le répète, je ne vois vraiment pas comment nous pourrions considérer que la situation actuelle met sérieusement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens, et ce, dans des proportions telles qu’une province ne peut pas la gérer.

S’il y a une menace à la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays, je ne la vois pas.

Il ne fait aucun doute que si l’on tient compte du libellé de la Loi sur les mesures d’urgence, le gouvernement n’a pas satisfait aux critères établis pour invoquer cette loi.

Depuis le 14 février, le premier ministre et les membres de son Cabinet ont présenté une liste d’arguments pour justifier la déclaration d’état d’urgence, y compris la déclaration elle-même. Évaluons un peu chacun de ces arguments.

Premièrement, le premier ministre a dit que les mesures ne s’appliquaient qu’à des domaines ciblés. Cette affirmation était fausse, comme on le sait, et elle a été corrigée par l’un des ministres.

D’après le gouvernement, la situation d’urgence est d’envergure nationale. Dans les faits, quand la déclaration a été faite, les seules barricades qui étaient toujours en place étaient celles du centre-ville d’Ottawa. Je sais qu’il s’agit de la capitale du pays, mais un problème qui ne touche qu’Ottawa n’est pas d’envergure nationale. Le gouvernement aurait pu restreindre l’application des mesures à l’Ontario ou à la région de la capitale nationale. Il a choisi de ne pas le faire, pour une raison inconnue.

Le gouvernement soutient qu’il a besoin de la Loi sur les mesures d’urgence pour coordonner les interventions avec les provinces. Eh bien, comme on le sait, sept des provinces ont dit non à l’utilisation de la loi. Le paragraphe 19(3) de la loi dit qu’il faut viser à une concertation aussi poussée que possible avec chaque province concernée. De toute évidence, le gouvernement a échoué sur ce point.

La déclaration dit qu’il y a des blocages continus à différents endroits au Canada. Comme nous le savons tous, à l’heure actuelle, il n’y a aucun barrage au Canada. Cet argument n’est plus valide.

Selon le gouvernement, les barrages :

[...] ont un lien avec des activités qui visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens, notamment les infrastructures essentielles, dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique au Canada.

Le gouvernement n’a jamais fourni une quelconque preuve de cet argument. Souvenez-vous que la saisie à Coutts a été faite avant cette déclaration du gouvernement. Cette saisie était un événement isolé. De plus, contrairement à ce que le gouvernement nous a fait croire, il n’y avait aucun groupe violent dans la manifestation à Ottawa. Il y a eu de la bousculade aux premières lignes la fin de semaine dernière, mais il n’y a eu aucun signe de groupe violent organisé.

Le gouvernement affirme que les barrages ont des « effets néfastes sur l’économie canadienne » et d’importants « effets néfastes [...] sur les relations qu’entretient le Canada avec ses partenaires commerciaux, notamment les États-Unis ».

Je ne sais pas pour vous, mais je ne pense pas que cela était vrai une fois que le seul barrage qui restait était celui du centre-ville d’Ottawa, et c’est encore moins vrai maintenant que les barrages ont été levés.

De plus, le gouvernement a prétendu que la rupture des chaînes de distribution et de la mise à disposition de ressources, de services et de denrées essentiels se perpétuerait, car les blocages continueraient et augmenteraient en nombre. Nous savons maintenant que cela n’importe plus.

On dit que l’urgence comporte :

[...] le potentiel d’augmentation du niveau d’agitation et de violence qui menaceraient davantage la sécurité des Canadiens.

Encore une fois, nous n’avons vu aucune preuve de cela. On ne peut pas invoquer la Loi sur les mesures d’urgence en se basant sur des théories du complot au sujet d’une supposée armée secrète de militants d’extrême droite dont nous entendons souvent parler, mais que nous ne voyons jamais à l’œuvre.

Soyons sérieux. Le gouvernement ne peut pas suspendre les droits de la population en se fondant sur des rumeurs et des fabulations propagées par les gens qui l’appuient.

Lorsqu’un camion rempli d’armes à feu a été volé à Peterborough, la semaine dernière, la twittosphère libérale a aussitôt avancé que c’était la preuve qu’on était sur le point d’assister à coup d’État armé. Or, lorsqu’on a récupéré le camion ainsi que toutes les armes à feu, personne n’a dit un mot.

Quoi qu’il en soit, je me demande ce qui posait vraiment problème à Ottawa. Le premier ministre lui-même est allé à la Chambre à plusieurs occasions, sauf vendredi dernier, les deux Chambres du Parlement ont fonctionné normalement, et il n’y a pas eu de violence.

Le Parti conservateur du Canada a même réussi à changer de chef pendant qu’il y avait encore un barrage. Encore une fois, à part vendredi dernier, la GRC et le Service de protection parlementaire n’ont jamais dit aux députés et aux sénateurs qu’il y avait le moindre danger.

L’autre semaine, j’ai marché à plusieurs reprises parmi les manifestants pour me rendre de l’édifice du Sénat du Canada jusqu’à l’édifice de l’Ouest afin de participer à des réunions. Croyez-vous sérieusement que nos services de sécurité auraient permis cela s’ils avaient eu des preuves que des gens aussi violents se trouvaient à proximité?

Lorsque le premier ministre a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, il a affirmé : « À l’évidence, les forces de l’ordre ne disposent pas des moyens nécessaires pour appliquer efficacement la loi. »

Nous savons maintenant que c’était faux. Selon le ministre Mendicino, la police avait besoin des pouvoirs que le gouvernement Trudeau lui a accordés pour définir une zone sécuritaire, ou une « zone rouge », comme le ministre l’a appelée. Il est courant pour tous les services de police du Canada de diriger la circulation et de limiter les déplacements des gens. Dans le cas précis des manifestations menées par les camionneurs, la police a réussi à limiter leurs déplacements et à imposer des restrictions à Québec, à Toronto, à Winnipeg, à Regina, à Saskatoon, à Edmonton, à Calgary, à Vancouver et dans d’autres villes. Tout cela avant même l’application de la Loi sur les mesures d’urgence.

Selon le ministre Lametti, des pouvoirs d’urgence sont requis pour réquisitionner des dépanneuses. Voilà la première chose que le premier ministre a mentionnée quand on lui a demandé quels étaient les pouvoirs nécessaires accordés à la police dans le cadre de la déclaration d’état d’urgence.

Le problème, c’est que l’on aurait pu se servir du Code criminel pour y arriver. Franchement, je n’arrive pas à m’imaginer que les gouvernements de l’Ontario et du Canada doivent se servir des mesures extraordinaires de la Loi sur les mesures d’urgence pour réquisitionner cinq ou six dépanneuses. Si c’est le cas, il faut se questionner sur la fragilité de nos gouvernements.

Le gouvernement affirme que la police a besoin des mesures d’urgence pour pouvoir coordonner les opérations entre les différentes administrations. Je suis sûr que vous conviendrez qu’au cours des 34 dernières années, nous avons connu plusieurs opérations policières qui ont touché différentes administrations. Aucune n’a nécessité le recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

Le gouvernement insiste sur le fait qu’il doit geler les actifs financiers des manifestants et de quiconque a participé au financement des barrages et que seules les mesures adoptées la semaine dernière lui permettent de le faire. C’est le même gouvernement qui prétend avoir tous les outils nécessaires pour combattre les groupes terroristes internationaux et nationaux, le crime organisé et autres activités de blanchiment d’argent. Dans ce contexte, il voudrait nous faire croire qu’il est nécessaire d’invoquer des mesures spéciales pour le convoi des camionneurs? Laissez-moi vous dire que je n’en crois pas un mot.

Le gouvernement n’est pas parvenu à faire valoir ses arguments sur deux points. Il n’a pas réussi à expliquer pourquoi il est absolument nécessaire de geler, sans ordonnance d’un tribunal, les avoirs de certains de ses citoyens pour mettre fin à un barrage à Ottawa. Il n’a pas pu expliquer non plus pourquoi les outils employés contre des organisations beaucoup plus grandes et plus beaucoup dangereuses ne sont pas suffisants maintenant pour traiter avec des gens qui, visiblement, ne sont pas des experts dans le domaine.

(1400)

Le gouvernement véhicule l’idée voulant que le mouvement soit financé par des forces étrangères malveillantes. Je cite le ministre Blair :

Nous ne laisserons pas des entités étrangères tenter de causer du tort au Canada, ou des Canadiens, éroder la confiance envers les institutions démocratiques ou mettre en question la légitimité de la démocratie au pays.

Il a ajouté :

Nous avons des preuves solides que les individus qui ont érigé des barrages à nos points d’entrée dans le cadre d’une attaque financée en grande partie par l’étranger, ciblée et coordonnée, avaient manifestement l’intention criminelle de causer du tort au Canada et aux Canadiens et d’entraver des voies d’approvisionnement cruciales, de paralyser nos travailleurs et de fermer nos usines.

Pourtant, le gouvernement n’a pas prouvé ces allégations. Les barrages ont été enlevés. Tous les indices portent à penser que tout cela n’est rien d’autre qu’une théorie du complot inventée par un ministre.

Je trouve passablement ironique de voir le gouvernement libéral se préoccuper du financement étranger et de la menace d’une attaque par une puissance étrangère contre notre démocratie.

Des groupes environnementaux américains ont envoyé des millions de dollars à des mouvements au Canada — lesquels sont tous férocement anti-conservateurs — et l’implication de la Chine dans les dernières élections fédérales a coûté au Parti conservateur de quatre à sept circonscriptions au profit des libéraux, mais la question devient soudainement problématique parce que les fonds étrangers pourraient maintenant favoriser l’autre côté de l’échiquier politique.

Le gouvernement a aussi prétendu que les barrages étaient organisés par des extrémistes :

Nous parlons d’un groupe qui est organisé, souple, bien informé et motivé par une idéologie extrémiste où règne la loi du plus fort.

C’est ce qu’a dit le ministre Mendicino.

Pour soutenir cette affirmation, le gouvernement s’est principalement appuyé sur un seul incident : les accusations de complot en vue de commettre un meurtre qui ont été déposées contre quatre individus en Alberta. Le gouvernement fait valoir que ces accusations indiquent que des individus potentiellement violents participent aux manifestations.

Il s’agit certainement de graves accusations. Personne ne dira le contraire. Je pense que nous sommes tous reconnaissants du fait que les services de police ont pu agir de façon décisive pour gérer une situation qui aurait pu être très dangereuse. Cependant, nous n’avons encore vu aucune preuve, ni même des affirmations crédibles, selon lesquelles ces individus avaient quelque chose à voir avec la grande majorité des manifestants pacifiques qui sont venus ici ces dernières semaines ou qui étaient présents au poste frontalier en question, en Alberta.

En fait, voici comment un article de La Presse canadienne décrit l’interaction entre les policiers et les manifestants le jour même où les arrestations ont été effectuées.

Il y a eu des célébrations quand la manifestation a commencé à se terminer lundi en fin de journée. Une vidéo diffusée sur les médias sociaux montre des membres de la GRC serrant la main de manifestants et les étreignant. Des gens avec leur chapeau ou la main sur la poitrine ou les bras sur les épaules des uns et des autres chantaient l’Ô Canada

Une fois que les organisateurs de la manifestation à Coutts ont appris que leur manifestation pacifique avait été infiltrée par une faction violente, ils ont rapidement décidé de se disperser.

Cela ne semble pas suggérer que la vaste majorité des participants au blocage du poste frontalier de Coutts était impliquée dans des complots pour renverser violemment le gouvernement constitutionnellement établi.

Le gouvernement affirme aussi que la police ne disposait pas des outils nécessaires pour régler la situation. Cet argument serait risible si les conséquences du recours à la Loi sur les mesures d’urgence n’étaient pas si graves.

Plus tôt, j’ai parlé de nombreux événements qui sont survenus au Canada au cours des 34 dernières années, événements qui étaient tous bien plus graves et menaçants que l’érection de barrages par des camionneurs à Ottawa. Nos courageux policiers ont réglé ces incidents sans que la Loi sur les mesures d’urgence ait à être invoquée. Chris Lewis, ancien commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, soutient que la police avait tous les outils dont elle avait besoin pour agir, et qu’il n’était donc pas nécessaire d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence.

Pendant tout ce temps, les libéraux n’ont cessé de répéter que la Charte des droits et libertés s’applique encore, donc où est le problème? Je sais fort bien ce qui est inscrit dans cette loi, mais comment le gouvernement peut-il sérieusement prétendre que l’ensemble des droits des Canadiens ne sont pas menacés par les mesures qu’il a prises la semaine passée? La saisie de biens sans ordonnance du tribunal constitue une violation flagrante de l’article 8 de la Charte; et les restrictions du droit de réunion vont à l’encontre de l’article 2.

Je ne vais pas faire une plaidoirie ici; certaines contestations sont déjà devant les tribunaux. Je voudrais juste vous demander de ne pas croire que les droits de la Charte sont protégés, sous prétexte que c’est le gouvernement qui l’affirme.

Les sénateurs noteront que le ministre de la Justice a refusé que son ministère remette l’évaluation relative à la Charte. Il a refusé de transmettre les avis juridiques préparés par le ministère de la Justice. J’espère que certains sénateurs ont demandé au ministre Lametti de s’expliquer à ce sujet lors de la séance d’information qu’ils ont eue avec lui l’autre soir.

La semaine dernière, le Service de police d’Ottawa a publié un gazouillis disant qu’ils n’autoriseraient personne à passer pour exercer une activité illicite comme celle de participer à des manifestations.

Il est clair que la police n’a pas reçu les notes du gouvernement, qui affirme que les droits des citoyens n’ont pas été suspendus. Il est maintenant illicite de manifester dans la capitale du Canada. Si vous ne deviez vous appuyer que sur une seule raison pour voter contre la motion, c’est bien celle-là.

Enfin, on nous dit que les Canadiens doivent faire confiance au gouvernement, que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence n’est qu’affaire courante, « il n’y a rien à voir ici, circulez ». Sérieusement, je n’arrive pas à croire que le gouvernement tente de minimiser l’importance du recours, pour la première fois en 34 ans, à la Loi sur les mesures d’urgence pour gérer le blocage du centre‑ville d’Ottawa.

Vous remarquerez que le premier ministre n’a pas fait son annonce à la Chambre des communes ni dans le cadre d’un discours officiel à la nation. Non, une simple conférence de presse suffit pour annoncer que les droits de ces concitoyens sont maintenant suspendus.

Chers collègues, il est évident que le gouvernement n’a pas prouvé que les critères justifiant le recours à la Loi sur les mesures d’urgence ont été satisfaits.

J’estime que le gouvernement se trompe royalement en minimisant l’importance du recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Sénateurs, si nous acceptons la position du gouvernement, nous normaliserons et banaliserons le recours à ces pouvoirs extraordinaires.

L’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence par le premier ministre est une tentative désespérée de sa part pour sauver son emploi, et cela se retourne maintenant contre lui. Il est évident qu’aucune de ces mesures n’était nécessaire pour dégager les rues d’Ottawa de tous ces camions.

Chers collègues, lorsque la motion sera mise aux voix, pensez à ceci : vous allez créer un précédent. La barre sera très basse pour les prochains gouvernements qui voudront invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. Votre décision aura des répercussions bien longtemps après que vous, Justin Trudeau et moi aurons quitté la scène politique.

Je n’entends pas aborder en détail les mesures mises en œuvre par le gouvernement, mais je vais parler de celles qui me dérangent particulièrement.

D’abord, le gouvernement a mis en place des mesures pour étrangler financièrement les manifestants et ceux qui les soutiennent. Pensez à ce que cela implique, chers collègues. Les pouvoirs conférés par le décret comprennent la possibilité de geler, sans mandat, les comptes financiers de toute personne soupçonnée — il n’est pas nécessaire d’en avoir la preuve — d’avoir participé aux manifestations ou de les avoir soutenues.

Cette mesure a déjà amené des Canadiens à retirer les fonds de leurs comptes d’institutions financières. Il y a eu une augmentation des retraits, et certains experts pensent qu’il pourrait y avoir des effets à court et long terme sur la confiance des Canadiens envers le système financier canadien.

Il y a beaucoup d’incertitude quant à la possibilité que le compte bancaire d’une personne qui a donné 20 $ à la campagne sur GoFundMe soit soudainement gelé. Le gouvernement a refusé à maintes reprises de rassurer les milliers de Canadiens qui ont défendu une cause qui était alors parfaitement légale et légitime. Comment le gouvernement peut-il rétroactivement déclarer qu’une cause n’est plus défendable et que quiconque participe ou contribue à sa défense peut faire l’objet d’un gel d’actifs financiers?

(1410)

Je n’arrive pas à comprendre que quiconque puisse trouver cela acceptable dans un pays comme le Canada. Le gouvernement dit aux Canadiens « Faites-nous confiance. Nous n’utiliserons pas ces mesures pour pénaliser les gens ordinaires. » Cependant, du même souffle, les libéraux font valoir le principe selon lequel tout acte entraîne des conséquences.

Que signifie ce discours? Si le gouvernement voulait vraiment inclure des dispositions de sauvegarde dans ces mesures exceptionnelles, il les aurait inscrites dans le règlement. Or, en restant volontairement vague à cet égard, il fait exactement ce qui lui convient : il fait peur aux dissidents et fait taire ceux qui ne partagent pas ses vues, notamment les gens qui ont donné 20 $ à une cause que le premier ministre estime inacceptable.

Si par erreur votre compte bancaire est gelé parce que vous portez le même nom qu’un manifestant je vous souhaite bonne chance, mes amis. La loi prévoit une protection pour les institutions bancaires, mais pour demander une indemnisation qui n’a même pas encore été prévue, les gens ordinaires devront faire la file, remplir un formulaire qui sera disponible on ne sait trop quand.

Je trouve consternant de voir les députés libéraux et néo‑démocrates applaudir une loi qui donne aux grandes banques — le NPD qui soutient les grandes banques — le pouvoir de saisir des fonds sans ordonnance du tribunal tout en bénéficiant de l’immunité contre toute action en justice ultérieure.

De plus, comment une banque peut-elle savoir si une personne est impliquée dans un barrage? Lors de la séance d’information à l’intention des parlementaires, les fonctionnaires n’avaient pas de réponse. La police peut-elle prendre en note les numéros de plaque et les envoyer aux banques pour leur demander de fermer les comptes? Il n’y a pas de préavis ou d’ordonnance du tribunal, il y a juste un policier qui prend en note un numéro et — pouf — un compte bancaire est gelé. Ce n’est pas ainsi que devrait fonctionner le système bancaire d’un pays où règnent l’ordre et la primauté du droit. Je serais également curieux de savoir comment cet échange d’information est acceptable en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Bien franchement, les avocats des résidants d’Ottawa et du gouvernement de l’Ontario ont déjà atteint les objectifs que le gouvernement Trudeau prétend avoir rendus possibles avec ces mesures. Je me demande si les recours judiciaires habituels, comme les injonctions conservatoires et les ordonnances de blocage, sont déployés avec succès pour geler les fonds. Pourquoi les pouvoirs extraordinaires de gel de comptes qui sont accordés par la Loi sur les mesures d’urgence sont-ils nécessaires?

Le gouvernement fédéral doit demander l’autorisation d’un tribunal avant de saisir les actifs financiers d’un trafiquant de drogue ou de membres d’une organisation criminelle ou terroriste, mais il se donne le pouvoir de saisir, sans aucun contrôle judiciaire, les comptes bancaires de personnes accusées uniquement de méfaits. Le gouvernement n’a fourni aucune explication crédible sur la raison pour laquelle il avait besoin de ces outils sans précédent et potentiellement dangereux, pour reprendre les paroles de notre collègue le sénateur Gignac.

Le fait que le gouvernement a adopté délibérément un libellé vague pour les règles entourant la saisie d’actifs financiers, probablement pour se donner une marge de manœuvre, est très dangereux. Nous savons tous que le système financier repose sur la confiance des Canadiens. Les banques ne survivraient pas si une grande partie de leurs clients décidaient de retirer l’argent de leurs comptes. Cependant, en restant vague au sujet des personnes qui peuvent se faire saisir leurs comptes et des motifs de ces saisies, le gouvernement a permis à toutes sortes d’histoires et de rumeurs de continuer à circuler.

Voici ce qu’a déclaré la ministre Freeland lundi dernier :

[...] [L]es personnes qui craignent que leurs comptes aient pu être gelés parce qu’elles participent à l’occupation et aux blocages illégaux doivent savoir que c’est en cessant d’y participer qu’elles pourront faire débloquer leurs comptes.

Pourtant, il n’y avait plus de blocage lundi. Où la vice-première ministre veut-elle en venir?

Parlons aussi des règles financières. Le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada a été créé pour lutter contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. Le gouvernement s’en sert maintenant pour contrer les groupes dont le premier ministre juge les idées inacceptables. Comment le Sénat peut-il accepter cela? Honorables sénateurs, nous devons prendre conscience de la brèche que nous ouvrirons si nous votons en faveur de cette mesure. Un jour, un gouvernement considérera cette décision comme un précédent l’autorisant à militariser les infrastructures de sécurité pour contrer les idées auxquelles il s’oppose.

La semaine dernière, Evan Solomon a demandé au ministre de la Justice jusqu’où le gouvernement comptait aller avec ces mesures. Le ministre, qui est censé défendre les droits des Canadiens, lui a alors répondu ceci :

Si vous êtes membre d’un mouvement pro-Trump qui donne des centaines de milliers de dollars ou des millions de dollars pour ce genre de chose, alors vous devriez être inquiets.

Je vous le demande encore, honorables sénateurs : que faut-il en conclure? Le ministre est-il en train de nous dire qu’il s’en prendra aux actifs de quiconque ne partage pas son aversion pour l’ancien président des États-Unis? Il est très troublant que le ministre de la Justice du Canada puisse ainsi menacer ses compatriotes. C’est profondément inquiétant. Il n’a pas non plus cru nécessaire de se rétracter depuis.

Le député Joël Lightbound nous avait justement mis en garde contre ce genre de politique de division, qui vient de la bouche même du soi-disant ministre de la Justice. Cette fonction s’est vraiment dégradée depuis l’époque de la ministre Jody Wilson-Raybould.

Le règlement permet aussi aux policiers et à d’autres organismes d’application de la loi de faire annuler la police d’assurance d’une personne si on croit qu’elle participe à des manifestations illégales ou qu’elle les appuie. Il reste encore beaucoup de questions sans réponse concernant cette mesure. Comment la compagnie d’assurance ou l’institution financière d’une personne est-elle censée savoir que celle-ci participe à une manifestation en particulier? Va-t-elle se fier à la parole des policiers qui patrouillent dans la zone protégée et les environs et relèvent les numéros des plaques d’immatriculation? Lorsque la police d’assurance est annulée, comment la personne visée pourra-t-elle déplacer son véhicule? A-t-on aussi annulé les assurances des personnes qui ont déplacé leur véhicule avant l’intervention des policiers, cette semaine?

Nous sommes en terrain juridique inconnu, et il n’y a tout simplement pas de réponse à bien des questions en ce moment. Ce qu’on sait, toutefois, c’est qu’on exercera ces pouvoirs sans mandat et que les possibilités d’appel demeurent très vagues.

Le règlement accorde aussi aux autorités le pouvoir d’interdire toute assemblée publique susceptible, de l’avis des policiers, d’avoir pour effet de troubler la paix. Une fois de plus, on accorde aux policiers un incroyable pouvoir discrétionnaire. Comme je l’ai dit, le Service de police d’Ottawa considère maintenant que toute manifestation est illégale.

Manifestement, le règlement n’est ni raisonnable, ni proportionnel, ni nécessaire.

Le seuil à atteindre pour recourir à la Loi sur les mesures d’urgence est délibérément élevé puisque, à l’époque de sa rédaction, on estimait que la loi antérieure, soit la Loi sur les mesures de guerre, avait été mal utilisée et que les erreurs et les ingérences commises lors de l’application de cette loi devaient être corrigées.

La Loi sur les mesures de guerre n’a été invoquée que trois fois. Pas deux fois, comme l’a dit plus tôt aujourd’hui la sénatrice Coyle, mais bien trois fois. C’était d’abord en raison des Première et Deuxième Guerres mondiales. Lors de ces deux guerres, des mesures discutables ont été adoptées, y compris l’internement des Canadiens d’origine japonaise pendant la Deuxième Guerre mondiale.

En temps de paix, la loi n’a été invoquée qu’une seule fois, par le père du premier ministre actuel, durant la crise d’Octobre de 1970. Cette dernière application de la Loi sur les mesures de guerre demeure controversée à ce jour. Pour beaucoup de gens, elle représente un abus de pouvoir inacceptable et sans précédent en réaction à ce qui était, nous le savons aujourd’hui, un très petit groupe d’éléments radicaux, certes violent, mais peu structuré, au Québec.

Avec le recul, nous savons que ce groupe était bien loin de bénéficier d’un soutien généralisé, comme le craignaient beaucoup de gens à l’époque.

Pourtant, on a invoqué la Loi sur les mesures de guerre, procédé à quelque 500 arrestations, et la majorité des personnes visées n’avait absolument rien à voir avec le FLQ.

(1420)

À l’époque, en octobre 1970, Tommy Douglas s’était opposé au recours à la Loi sur les mesures de guerre en temps de paix. S’adressant au Parlement, il avait déclaré :

Nous sommes prêts à permettre au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde des vies humaines et de maintenir l’ordre et la paix dans le pays. Toutefois, [...] nous ne sommes pas prêts à accepter qu’on utilise la préservation de l’ordre et de la paix comme un écran de fumée pour détruire les libertés et les droits du peuple canadien.

Il a comparé le recours à la Loi sur les mesures de guerre à l’utilisation d’une masse pour écraser une cacahuète. Je pense que l’histoire a permis de juger que les propos de M. Douglas à l’époque étaient sages et prudents. Je pense que l’histoire jugera aussi les décisions de Jagmeet Singh, mais sans en arriver aux mêmes conclusions.

Je sais que le Parti conservateur du Canada de l’époque avait appuyé le recours à la Loi sur les mesures de guerre. Le chef, Robert Stanfield, avait donné le bénéfice du doute au gouvernement Trudeau. C’est une décision qu’il a regrettée plus tard, soulignant qu’il avait été exagéré de soutenir le recours à la Loi sur les mesures de guerre en 1970. Deux ans après ces jours sombres, M. Stanfield a dit qu’il était alors convaincu que la situation aurait pu être réglée avec des moyens moins draconiens. Il a reconnu que la Loi sur les mesures de guerre n’aurait jamais dû être appliquée. Il a avoué qu’avoir appuyé le gouvernement sur cette question avait été le plus grand regret de sa carrière politique, durant laquelle il a été premier ministre de la Nouvelle-Écosse et chef de l’opposition officielle.

Plus de 50 ans plus tard, nous en avons appris beaucoup à propos de la crise d’Octobre. Il est maintenant clair que les motifs invoqués par le gouvernement Trudeau pour justifier l’utilisation de la Loi sur les mesures de guerre ne s’appuyaient pas sur des données probantes. Certains provenaient directement de l’imagination de membres du gouvernement. Ils ont exagéré la menace, ont inventé des conspirations visant à renverser le gouvernement et ont soutenu que des milliers de terroristes imaginaires se cachaient. On pourrait comprendre que certains voient une ressemblance avec les événements dont nous sommes actuellement témoins.

L’utilisation de la Loi sur les mesures de guerre a engendré du ressentiment dans de nombreux segments de la population au Québec et a vraisemblablement renforcé le nationalisme et le soutien à la souveraineté au Québec. Seulement six années plus tard, honorables sénateurs, la province de Québec a élu un gouvernement séparatiste. Plutôt que d’aider, cette loi a nui à l’unité nationale et a fait en sorte que certains Québécois se sentent « moins canadiens ». Si la loi n’avait pas été invoquée, les libertés civiles de centaines, voire de milliers de personnes, n’auraient pas été violées, et le ressentiment qui a suivi, qui a eu d’importantes répercussions politiques, aurait pu être évité.

Je sais que la Loi sur les mesures d’urgence est différente de la Loi sur les mesures de guerre. Cela dit, un premier ministre élu au Québec et portant le nom de « Trudeau » aurait dû être conscient du symbolisme historique qui serait attaché au recours à la Loi sur les mesures d’urgence, puisqu’elle a succédé à une loi qui, lorsqu’elle a été invoquée en 1970, a terriblement traumatisé les Québécois. Il est irresponsable de jouer avec un outil aussi explosif simplement pour sauver sa carrière politique. Un tel geste montre, une fois de plus, que Justin Trudeau est prêt, par opportunisme politique, à se servir de symboles dangereux pour semer la division parmi les Canadiens. L’histoire n’a pas été tendre quand elle a jugé l’abus de pouvoir et les atteintes aux libertés civiles qu’a commis le père en invoquant la Loi sur les mesures de guerre, et elle ne sera pas tendre envers le fils quand elle jugera son recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

Je suis loin d’être le seul à soutenir qu’il s’agit d’un geste exagéré, surtout dans un contexte où rien ne démontre que les critères à satisfaire pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence ont effectivement été satisfaits. Voici ce qu’a dit Noa Mendelsohn Aviv, directrice générale de l’Association canadienne des libertés civiles :

[La Loi sur les mesures d’urgence] crée une norme élevée et claire pour une bonne raison : la loi permet au gouvernement de contourner les processus démocratiques ordinaires. Cette norme n’a pas été respectée.

Faisant écho aux propos tenus par Tommy Douglas il y a plus de 50 ans, l’Association canadienne des libertés civiles ajoute :

La législation d’urgence ne devrait pas être normalisée. [Elle] menace notre démocratie et nos libertés civiles.

Voici maintenant ce que dit Aaron Wudrick, avocat à l’Institut Macdonald-Laurier :

Cette loi est réservée aux moments où aucune autre option ne peut être envisagée pour juguler une crise.

[...] jusqu’à ce qu’il décide d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence, le gouvernement fédéral — mais on pourrait en dire autant des autorités provinciales et municipales — n’a pas fait grand-chose pour tenter de disperser les manifestants qui se trouvaient à Ottawa. Il est donc mal placé pour affirmer qu’aucune autre option ne s’offrait à lui.

Leah West, qui est professeure adjointe en affaires internationales et en droit de la sécurité nationale à l’Université Carleton, a déclaré ceci :

Les critères à remplir pour invoquer la loi sont très stricts, et je doute sérieusement qu’ils aient été atteints [...]

Il faut d’abord miser sur les lois et les règlements existants et les appliquer comme il se doit, et il est là, le problème [...]

Selon le professeur Ryan Alford, la loi :

[...] peut seulement être activée si aucune autre loi ne permet de protéger adéquatement la sécurité des Canadiens et l’intégrité territoriale du Canada. Le fait que cinq premiers ministres provinciaux ne jugent pas nécessaire sa mise en vigueur nous fait nous demander, avant même de chercher à savoir si les critères juridiques énoncés dans le texte sont remplis, si la promulgation de l’état d’urgence était rationnellement justifiée.

Le professeur Patrick Taillon de l’Université Laval a déclaré que le gouvernement n’a pas réussi à prouver que les mesures extraordinaires n’étaient nécessaires qu’à la troisième semaine de la crise. Il nous rappelle que le gouvernement doit faire la preuve que ces mesures d’urgence sont non seulement utiles, mais aussi qu’elles sont absolument nécessaires ou indispensables pour dénouer la crise.

La semaine dernière, notre ancien collègue, l’honorable André Pratte a écrit :

Malgré les efforts du gouvernement libéral pour brosser un tableau très dramatique des événements actuels, il devient évident que nous n’avons pas affaire à une « urgence nationale », telle que définie dans la Loi sur les mesures d’urgence.

Il y a certainement des juristes pour s’opposer à ces arguments. Mais, manifestement, la grande majorité se demande sérieusement si ce que le gouvernement fait est légal ou constitutionnel.

De la Chine à l’Iran, les dictatures du monde entier critiquent le Canada pour son recours à des mesures d’urgence extraordinaires. L’Inde a souligné l’hypocrisie du premier ministre Trudeau, qui a déclaré l’an dernier qu’il appuyait les manifestations des agriculteurs en Inde et a fustigé le gouvernement indien pour avoir utilisé la force afin de réprimer les manifestations.

Des journaux de partout dans le monde, comme ils ne font pas partie de la bulle d’Ottawa et ne prennent pas les discours du gouvernement comme parole d’évangile, ont vu le geste maladroit du premier ministre pour ce qu’il était : une ingérence inutile et dangereuse. Le New York Times, le Wall Street Journal, le Financial Times et The Economist font partie de la longue liste de médias qui n’arrivent pas à comprendre pourquoi le gouvernement canadien aurait besoin de recourir à des mesures si extraordinaires simplement pour faire lever des barricades sur trois ou quatre rues à Ottawa. N’oubliez pas que les Américains ne comprenaient pas pourquoi il nous a fallu autant de temps pour libérer le pont Ambassador et ont offert d’envoyer les forces de l’ordre américaines pour nous venir en aide. Encore une fois, la réputation du Canada comme pays champion des droits de la personne se fait démolir par l’incompétence de Justin Trudeau.

Il ne faut pas oublier que, lorsqu’il invoque la loi, le gouvernement doit consulter chaque province où les effets de l’état d’urgence s’appliquent. Comme je l’ai déjà dit, le gouvernement a décidé que les mesures d’urgence auraient une portée nationale et non limitée à une zone précise. Sept des premiers ministres provinciaux ont exprimé leur désaccord quant à la nécessité de cette mesure, mais le gouvernement a tout de même invoqué la loi en visant le pays en entier malgré l’absence manifeste de consensus.

L’Assemblée nationale du Québec a adopté à l’unanimité une motion dénonçant l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence. Le premier ministre Jason Kenney a annoncé la semaine dernière que l’Alberta comptait contester l’invocation de la loi devant les tribunaux.

(1430)

Lorsque Tommy Douglas a parlé avec éloquence de la Loi sur les mesures de guerre, en 1970, il a dit que personne ne remettait en question l’obligation du gouvernement de maintenir l’ordre et d’utiliser les pouvoirs habituels qui sont à sa disposition.

Personne n’a remis cela en question en 1970, et personne ne remet en question le droit du gouvernement de recourir à ces pouvoirs aujourd’hui.

Cependant, dans ce cas-ci, ce que nous devons contester, comme certains députés l’ont fait en 1970, c’est l’idée selon laquelle le gouvernement aurait besoin de pouvoirs exceptionnels pour dénouer cette crise.

Ce que je crains, c’est que l’actuel premier ministre commette une erreur encore plus grave que celle de son père.

Le professeur Ryan Alford, de la Faculté de droit Bora Laskin de l’Université Lakehead, a dit ceci :

Il est inconcevable que le premier ministre du Canada réponde aux manifestants qui se plaignent des violations des libertés civiles en prenant des mesures qui sont probablement inconstitutionnelles et qui avaient précédemment été décrites comme telles par des organisations de défense de libertés civiles et des spécialistes en la matière.

Ce qui me préoccupe plus particulièrement, c’est que, du côté ministériel, peu de gens semblent poser ce genre de questions ou songer aux conséquences à long terme du recours à des pouvoirs gouvernementaux qui vont beaucoup trop loin.

La question est donc de savoir comment nous devrions réagir en tant que sénateurs. Nous devons rejeter la motion du gouvernement.

Le paragraphe 58(7) de la Loi dit ceci :

En cas de rejet de la motion de ratification de la déclaration par une des chambres du Parlement, la déclaration, sous réserve de sa cessation d’effet ou de son abrogation antérieure, est abrogée à compter de la date du vote de rejet et l’autre chambre n’a pas à intervenir sur la motion.

En rejetant la motion, le Sénat jouera son vrai rôle. Nous mettrons ainsi un terme aux mesures d’urgence. Bien entendu, cela ne se fera pas de façon rétroactive. Comme le sénateur Dalphond l’a dit, à juste titre, toutes les accusations portées jusqu’à maintenant demeureront, mais l’intervention excessive du gouvernement cessera.

Nous devons rejeter la motion pour diverses raisons. D’abord, je dirais que tous les sénateurs doivent se rappeler qu’en utilisant cette loi de cette façon, le gouvernement a créé un précédent. Il nous incombe maintenant de décider si cela place la barre correctement quant à l’utilisation de la Loi sur les mesures d’urgence.

Nous ne pouvons pas revenir en arrière, mais nous pouvons indiquer aux futurs gouvernements ce qu’ils doivent démontrer avant d’utiliser cette loi.

Le prochain groupe de manifestants pourrait très bien avoir des demandes différentes. Ce pourrait être des Autochtones, des environnementalistes ou des partisans du mouvement Black Lives Matter. Le sénateur Gold l’a admis en répondant aux questions. Tous les groupes, y compris ceux que je viens de nommer, pourraient maintenant être ciblés par le gouvernement fédéral.

Chers collègues, lorsque les femmes se sont battues pour obtenir le droit de vote, il y a de cela de nombreuses années, elles ont commis des actes de désobéissance civile et organisé des manifestations. Il y a une statue, chers collègues, à l’entrée du Sénat, qui commémore les Célèbres cinq. Il est douloureux de penser qu’au titre de la Loi sur les mesures d’urgence, ces femmes n’auraient pas pu venir à Ottawa pour défendre leurs idées comme elles l’ont fait il y a environ un siècle.

Si nous soutenons la motion du gouvernement, nous créerons un précédent, en 2022, quant à l’emploi de la Loi sur les mesures d’urgence. Nous aurons à vivre avec cela.

Le Sénat a l’occasion de prendre un peu de recul et de dire aux gouvernements futurs que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence exige d’autres justifications que les désagréments causés par des barrages à un seul emplacement au Canada.

Rappelons-nous aussi que nous votons sur la motion en fonction des preuves dont nous disposons et de l’état de la situation au moment du vote. On ne nous demande pas si le gouvernement avait raison en invoquant la Loi sur les mesures d’urgence. Ce point sera élucidé par un comité mixte de parlementaires, par l’enquête que le gouvernement doit lancer et par les tribunaux.

Le sénateur Cotter a soulevé une préoccupation dans sa question au sénateur Tannas, ce matin, lorsqu’il a dit :

Le problème avec le fait de voter non [...] c’est qu’il est impossible de savoir si nous envoyons un message selon lequel l’urgence n’aurait jamais dû être déclarée ou s’il était légitime de la déclarer, mais qu’elle devrait être annulée maintenant.

Chers collègues, avec tout le respect que je vous dois, la Loi sur les mesures d’urgence indique clairement ce sur quoi nous devrons nous prononcer. Ce n’est pas un exercice de communications. Notre tâche relève de la surveillance parlementaire. On ne nous demande pas d’envoyer un message, mais d’étudier la motion dont nous sommes saisis et de répondre aux questions suivantes. Les raisons évoquées dans la déclaration sont-elles valides? Les mesures adoptées par le gouvernement sont-elles toujours raisonnables, proportionnelles et nécessaires compte tenu de la situation au moment du vote, chers collègues?

On a mis fin au dernier barrage à Ottawa la fin de semaine dernière. Hier, on nous a informés que des gens voyaient leurs comptes bancaires être dégelés. De toute évidence, l’état d’urgence est terminé, et les mesures d’urgence ne sont plus nécessaires, si elles l’ont déjà été.

Vendredi dernier, avant que les forces policières procèdent au démantèlement du barrage d’Ottawa, on pouvait lire ce qui suit dans le Globe and Mail :

Des gens raisonnables peuvent ne pas s’entendre sur la pertinence d’appliquer la Loi sur les mesures d’urgence, et toute la gamme d’outils juridiques que le gouvernement a ensuite établis, il y a sept jours. Toutefois, peu importe la force des arguments à ce moment-là, les circonstances actuelles, qui se sont améliorées, les affaiblissent considérablement.

Imaginez à quel point l’argumentaire du gouvernement est faible maintenant que tout est rentré dans l’ordre.

Le Sénat doit voter non à la motion parce que le gouvernement n’a pas démontré que l’utilisation de la loi est justifiée sur le plan juridique, que le seuil établi pour le recours à la Loi sur les mesures d’urgence a été atteint.

Il doit voter non à la motion parce que, même si ce seuil avait été atteint, les mesures adoptées par le gouvernement ne sont pas raisonnables, proportionnelles ou nécessaires.

Il doit voter non à la motion parce que l’invocation de cette loi nuit à l’unité nationale et pourrait aviver les divisions qui existent déjà au pays.

Il doit voter non à la motion parce que, autrement, la barre pour invoquer la Loi sur les mesures d’urgence sera si basse que cette dernière deviendra juste un autre outil que le gouvernement peut utiliser régulièrement.

Il doit voter non à la motion parce que notre rôle consiste à protéger les droits des minorités, même si nous ne partageons pas leurs croyances. Le recours à la Loi sur les mesures d’urgence est une attaque frontale contre les droits des Canadiens.

Or, chers collègues, si nous croyons sincèrement qu’un Canadien est toujours un Canadien, nous devons empêcher maintenant le gouvernement de priver déraisonnablement certains Canadiens de leurs droits. « Je désapprouve ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire », a dit Evelyn Beatrice Hall, résumant ainsi la philosophie de Voltaire, une philosophie à laquelle devraient adhérer toutes les personnes qui croient à la liberté d’expression.

Pour finir, le Sénat doit voter contre cette motion, car les sénateurs ont le devoir de défendre les droits des provinces au Parlement, et que les provinces ne sont clairement pas en faveur du recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

Chers collègues, notre pays est aujourd’hui très divisé. Nous devons tenter de rétablir l’unité nationale. Le premier ministre devrait rester à l’écoute des Canadiens. Chers sénateurs, s’il est une question pour laquelle nous devons mettre de côté nos partis pris et nos affiliations politiques, c’est bien celle-là. Comme l’a dit le sénateur Housakos au début de son discours — qui est probablement un des discours les plus importants qu’il ait donné en 13 ans — ce vote passera à l’histoire.

Assurément, dans cette Chambre, nous ne devrions pas voter pour des motions susceptibles d’attiser les antagonismes. C’est ce dont j’ai bien peur si nous votons en faveur de cette motion.

Je vous implore tous de ne pas tomber dans ce piège. J’espère que tous les sénateurs voteront contre cette motion. Merci.

Des voix : Bravo!

[Français]

L’honorable Leo Housakos : Le sénateur Plett accepte-t-il de répondre à une question?

Je vous remercie, sénateur Plett, de votre excellent discours. Au Canada, il existe trois paliers de gouvernement qui, comme nous le savons tous, partagent la responsabilité de la sécurité publique. Pendant la période de crise au Canada, plusieurs manifestations ont eu lieu à Québec, à Montréal, à Calgary et à Toronto. Dans toutes ces régions du pays, ces manifestations ont été très chargées et très dynamiques.

(1440)

À aucun moment, à ma connaissance, un gouvernement municipal ou provincial n’a demandé au premier ministre de poser un geste aussi excessif que celui-ci.

Comment expliquez-vous que le gouvernement, tout d’un coup, sans consulter aucun autre ordre de gouvernement, a décidé de poser un geste aussi excessif et draconien?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Merci, sénateur Housakos.

Évidemment, je ne saurais dire quels appels le premier ministre a effectués ou n’a pas effectués, mais je sais que la loi l’oblige clairement à consulter, et je doute qu’envoyer aux premiers ministres des provinces une note qui leur dicte quoi faire constitue de la consultation.

Comme je l’ai dit dans mon discours, sept provinces ont exprimé sans équivoque leur opposition à cette mesure. L’assemblée législative de votre province, le Québec, a voté à l’unanimité contre l’invocation de cette loi et le premier ministre de l’Alberta la conteste en cour. Pourtant, bon nombre des pires manifestations ont eu lieu en Alberta. Si cela n’est pas la preuve... Tous les services de police ont réussi à intervenir pour rétablir l’ordre. Il semble que c’était possible partout, sauf ici, sur la rue Wellington.

Je trouve cela très étrange, car les manifestations sur le pont Ambassador, à Emerson et à Coutts étaient beaucoup plus graves et beaucoup plus dangereuses que celle qui se tenait ici, sur la rue Wellington. À en croire les reportages dans les médias, c’était une grande fête de quartier. C’était bruyant, cela a causé des inconvénients, mais ce n’était pas dangereux.

Ainsi, quand sept provinces disent non, je ne comprends pas comment le premier ministre peut, de son propre chef, simplement procéder à l’invocation de cette loi sans la moindre consultation, ni auprès des provinces, ni auprès des manifestants.

J’espère que cela répond à votre question, sénateur.

L’honorable Salma Ataullahjan : Sénateur Plett, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Plett : Certainement.

La sénatrice Ataullahjan : Sénateur Plett, on nous a dit ici même que, si le compte bancaire d’une personne est gelé à tort, celle-ci peut aller devant le tribunal. Je ne sais pas si vous êtes en mesure de répondre à cette question, mais à quel point est-ce facile d’aller devant le tribunal pour M. Tout-le-Monde qui ne comprend pas tout à fait ses droits, qui ne connaît pas les recours qui s’offrent à lui et qui n’a pas les moyens d’entreprendre des démarches? Qu’est-ce que je peux répondre à une personne racisée ou qui a un nom à consonance racisée qui m’appelle et me pose des questions dans un anglais approximatif? Dois-je lui suggérer d’aller devant les tribunaux?

Je ne sais pas si vous avez la réponse, parce que, moi, je ne l’ai pas.

Le sénateur Plett : Merci, sénatrice Ataullahjan. Ce que je répondrais — je ne connais pas tous les faits concernant les recours auxquels ont accès les manifestants —, c’est que l’une des principales organisatrices, la femme qui faisait partie du groupe d’organisateurs, s’est vu refuser sa mise en liberté sous caution. Au moment des plaidoyers pour la mise en liberté sous caution, on a informé le tribunal que les comptes bancaires de la femme étaient gelés et qu’elle n’avait donc pas les moyens d’embaucher un avocat. La plupart des avocats que je connais n’ont pas choisi cette carrière parce qu’ils se sentaient l’âme d’un missionnaire; ils l’ont choisie parce qu’ils voulaient gagner de l’argent et ils s’attendent à ce que leurs clients paient leurs honoraires. Par conséquent, sénatrice, la personne dont le compte bancaire est gelé aura bien de la difficulté, à mon avis, à se trouver un bon avocat.

Effectivement, je n’ai pas la réponse; j’en suis désolé. La première chose serait assurément d’embaucher le meilleur avocat possible, mais le meilleur avocat que puisse trouver une personne sans argent n’est probablement pas très bon.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Le sénateur Plett est-il prêt à répondre à une question?

Le sénateur Plett : Après la journée d’hier, il me serait difficile de vous le refuser, sénateur Gold.

Le sénateur Gold : Merci pour votre discours, prononcé avec la passion et la conviction que nous vous connaissons et dont nous vous sommes très reconnaissants.

Merci d’avoir fait l’éloge des efforts des forces de l’ordre à Ottawa et de la retenue dont elles ont fait preuve — je crois que nous sommes tous d’accord là-dessus — et merci de nous avoir rappelé que votre parti, tout comme nous tous, prône la paix, le bon gouvernement et l’ordre public.

Ma question comporte trois volets. Étant donné que vous avez la parole depuis un moment, il vous suffit de répondre par oui ou par non. J’ai appris des meilleurs éléments. Je pense connaître assurément la réponse aux deux premiers, mais je serais curieux et intrigué d’entendre votre réponse au troisième volet de ma question.

Premièrement, faites-vous confiance à nos services et nos institutions de maintien de l’ordre?

Deuxièmement, croyez-vous que le gouvernement devrait consulter les organismes d’application de la loi et leur demander conseil lorsqu’il se heurte à une situation de crise ou à des problèmes de maintien de l’ordre?

Troisièmement, si vous répondez par l’affirmative aux deux premiers volets de ma question, pouvez-vous nous expliquer pourquoi le gouvernement a eu tort d’accepter l’avis des forces de l’ordre — et qui est toujours d’actualité — selon lequel ces dernières avaient besoin d’outils supplémentaires pour faire leur travail, et pourquoi le gouvernement, qui a indiqué aux Canadiens qu’il surveillait régulièrement la situation et demandait l’avis des forces de l’ordre, a eu tort de faire fi de l’avis de l’Association canadienne des chefs de police et de l’Association canadienne des policiers, selon lesquelles, du moins au moment où elles en ont fait part, soit récemment, elles avaient encore besoin de temps supplémentaire pour faire leur travail?

Le sénateur Plett : La réponse à votre première question est certainement oui.

Quant à la deuxième question, je ne suis pas entièrement sûr de ce que vous voulez savoir.

Le sénateur Gold : Devrais-je la répéter?

Le sénateur Plett : Certainement.

Le sénateur Gold : Convenez-vous que le gouvernement devrait demander conseil aux organismes d’application de la loi?

Le sénateur Plett : Merci. Est-ce que je crois que le gouvernement devrait consulter les organismes d’application de la loi? Oui, bien sûr.

Mais en réponse à cette question, j’avoue ne pas avoir été très présent à Ottawa pendant les manifestations. Je n’ai été ici qu’à certains moments. Cependant, d’autres collègues étaient ici et ils se sont entretenus avec des policiers sur la rue Wellington. Nous avons parlé à des agents de la GRC au Manitoba qui sont intervenus à Emerson où la situation a été bien gérée. La police a également bien mené les choses à Coutts.

À Ottawa, le chef de police a dû remettre sa démission à cause de cette crise, pour une raison quelconque, peut-être parce qu’il était dépassé — je ne veux pas faire de conjectures en ce qui concerne les motifs de cette démission, mais il est certain qu’elle est liée aux manifestations. En fait, la police ne faisait guère plus que veiller, entre autres, à ce que personne ne soit blessé. La police assurait le maintien de l’ordre. Bon nombre de policiers à qui nous avons parlé n’étaient de toute évidence pas opposés au point de vue des manifestants. Je ne vais pas le dire mais j’étais l’un de ceux qui, après deux semaines, ont dit aux manifestants qu’il était temps de rentrer chez eux.

Je pense que de nombreux policiers voyaient les choses du même œil, mais ils n’ont jamais vraiment fait un effort, sénateur Gold.

Vous me demandez si j’estime qu’il faut consulter les forces de police? Oui, il le faut, mais la loi prévoit également qu’il faut consulter les premiers ministres des provinces, ce que le sénateur Housakos a souligné.

Donc, je vous répondrais qu’on ne peut pas simplement faire fi des uns et de leurs conseils, mais consulter les autres et accepter leurs conseils. Selon moi, cela n’a pas de sens. Devraient-ils consulter la police? Devraient-ils tenir compte de leurs conseils? Devraient-ils tenir compte des conseils des premiers ministres provinciaux? Dans les deux cas, je vous dirais que oui.

Le sénateur Gold : Merci. Vous m’avez appris des choses, et je vous en ai appris, car vous n’avez pas répondu à ma troisième question. Je vais donc vous donner une seconde chance.

Je vais répéter ma troisième question, mais avec un préambule. Comme les collègues le savent et comme je l’ai déclaré au Sénat, dans les faits, le gouvernement du Canada a consulté toutes les provinces, comme le précise le document qu’il devait déposer et qui nous a été soumis.

(1450)

Vu la faveur accordée au soutien aux forces de l’ordre, au professionnalisme, vu qu’il est adéquat pour un gouvernement de suivre leur avis, ma troisième question était simplement la suivante : les chefs de police du Canada ont appuyé l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence, déclarant qu’ils n’auraient pas pu faire leur travail sans les outils que leur accorde la loi. C’était il y a un moment déjà.

Plus récemment, ils ont déclaré appuyer le maintien de la loi pendant un peu plus de temps afin de terminer leur travail. C’est l’avis qu’ils ont donné au gouvernement du Canada. C’est l’avis dont le gouvernement du Canada a tenu compte, car il agit de façon responsable. Il ne veut pas maintenir cette loi plus longtemps, mais il se fie aux forces de l’ordre.

Donc, je ne comprends pas, sénateur Plett, compte tenu de l’admiration que nous avons tous pour nos forces de l’ordre et de la considération adéquate de leur avis par le gouvernement, pourquoi vous n’en tenez pas compte, ni pourquoi vous n’êtes pas interpellé par leur avis voulant que le gouvernement a bien fait d’invoquer la loi et qu’elle doit continuer de s’appliquer.

Le sénateur Plett : Comme je l’ai dit plus tôt, on peut faire valoir que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence était nécessaire et on peut valoir l’inverse. Le vote consiste à se prononcer sur sa nécessité à l’heure actuelle.

Bien franchement, sénateur Gold, peu importe ce que dit un chef de police ou ce qu’a dit mon bon ami Vernon White plus tôt aujourd’hui, il n’y a aucune raison de recourir à la Loi sur les mesures d’urgence à l’heure actuelle, qu’un chef de police le veuille ou non. À mon avis, il faut écouter ce conseil. Il faut mener une consultation.

Cependant, la majorité des provinces, des premiers ministres, des ministres de la Justice et des solliciteurs généraux disent que ce n’est pas nécessaire. Je ne devrais pas vous poser de questions, c’est à vous de m’en poser, je le sais. Cependant, croyez-vous que ces solliciteurs généraux ne parlent pas aussi aux chefs de police?

Que signifie la consultation? Est-ce que cela signifie que le premier ministre leur téléphone et leur dit ce qu’il fait? Est-ce qu’il n’y a pas de problème s’il a demandé l’avis de Jason Kenney? Jason Kenney a dit non. Le premier ministre Legault a dit non. Le premier ministre Stefanson du Manitoba et Scott Moe ont dit non.

Alors, qu’est-ce qu’une consultation? A-t-il parlé aux chefs de police de Saskatoon et de Regina? A-t-il parlé au chef de police de Winnipeg? Ou a-t-il parlé uniquement au premier ministre?

Le premier ministre a parlé au chef de police d’Ottawa, j’en suis sûr. Toutefois, il ne s’agit que d’une seule ville. La Loi sur les mesures d’urgence s’applique à l’ensemble du Canada, et non uniquement à Ottawa. Ce serait différent si le premier ministre avait déclaré l’état d’urgence à Ottawa. Dans ce cas-là, parler au chef de police d’Ottawa aurait certainement suffi.

Néanmoins, sénateur Gold, je ne pense pas — et je ne vais pas m’avancer. En fait, je suppose que je m’avance parce que je viens de dire « je ne pense pas ». Je ne pense pas que le premier ministre ou qui que ce soit au sein du gouvernement fédéral ait appelé les chefs de police de toutes les villes dans chacune des provinces qui se sont opposées à la mesure pour leur dire : « Votre premier ministre a dit non, mais voulez-vous que nous allions tout de même de l’avant? » Je ne pense pas que le gouvernement ait fait une telle chose.

L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Plett : Certainement, madame la sénatrice.

La sénatrice Bernard : Sénateur Plett, merci de votre discours. De nombreuses formes de violence ont été recensées pendant l’occupation. Les principaux organisateurs ont des antécédents d’extrémisme de droite : il y a notamment des preuves qu’ils ont adhéré à une idéologie raciste et islamophobe. Nous avons parlé de résidants d’Ottawa qui ont été victimes de violence dans le centre‑ville au cours des trois dernières semaines. Nous avons vu des symboles haineux être brandis et nous avons entendu parler de violence et de harcèlement envers les médias et les journalistes.

Nous convenons que les Canadiens ont le droit de se réunir et de manifester pacifiquement. Cependant, suffisamment de preuves montrent que l’occupation n’a été ni sûre ni pacifique.

Sénateur Plett, ma question est la suivante : pourquoi les droits et les libertés des participants au « convoi pour la liberté » ont-ils préséance sur ceux des résidants du centre-ville, qui n’ont pas pu vivre en toute sécurité dans ce secteur, ainsi que sur ceux des journalistes, qu’on a empêchés de faire des reportages sur le convoi?

Le sénateur Plett : Je vous remercie, sénatrice Bernard. Votre question ne porte pas vraiment sur la Loi sur les mesures d’urgence. Vous me demandez si je pense que les droits d’une personne peuvent avoir préséance sur ceux d’une autre personne. Non, je ne le pense pas. Si une personne fait quelque chose d’illégal, si elle détruit la propriété d’autrui, des accusations doivent être portées contre elle.

Si une personne renverse une statue, si elle passe une corde autour du cou de sir John A. Macdonald et renverse sa statue, elle mérite d’être inculpée. Si une personne met le feu à une église, elle commet un acte criminel et elle doit être inculpée. Si une personne propage la haine à Ottawa, elle doit être inculpée.

Cependant, vous me présentez une série de situations hypothétiques fondées sur des ouï-dire. Oui, il y a eu une personne qui a brandi un drapeau orné de la croix gammée, et cette personne aurait dû être chassée de la ville ou je ne sais quoi, mais cela ne signifie pas pour autant que la manifestation était organisée par des racistes. Il est injuste d’affirmer une telle chose.

Alors à moins qu’une personne commette un geste illégal... je regrette, sénatrice Bernard. Vous et moi voyons souvent les choses différemment, mais comme je le disais tout à l’heure, je serais prêt à mourir pour que vous puissiez continuer à exprimer votre opinion, même si ce n’est pas la mienne. Eh bien, c’est la même chose ici.

Ce qui ne manque pas d’ironie, c’est que c’est une Ottavienne ordinaire et non la police — et tout le monde sait, puisque je le répète à qui veut l’entendre, que la police a tout mon soutien — qui a obtenu une injonction interdisant les coups de klaxon.

Si une personne fait quelque chose d’illégal, elle doit être inculpée. Si elle fait la promotion du racisme, elle doit être inculpée. Mais ce n’est pas le cas de tous ces gens. Je refuse de condamner les gens qui ne sont accusés de rien.

La sénatrice Bernard : Je veux soulever la question du privilège racial. Selon ce qui ressort de plusieurs discours prononcés jusqu’à présent dans le cadre de ce débat, on dirait que le profond sentiment de division qui règne au pays est nouveau. Ce n’est pas le cas. Beaucoup de gens ressentent une profonde division depuis des générations dans ce pays.

Je me pose des questions au sujet du rôle du privilège, de l’invisibilité du privilège et de la façon de le rendre plus visible.

Vous et plusieurs autres personnes avez aussi parlé de l’absence de mesures concrètes. Cela m’a incitée à songer à la façon dont le privilège a mené à cette escalade, à la situation dans laquelle nous sommes et au débat que nous tenons en ce moment.

Je ne crois toutefois pas qu’on ait analysé la question du privilège. Je crains qu’on ait recours au privilège pour faire fi du privilège qui est en réalité en jeu et qui l’a été pendant ce barrage.

Je crois que le privilège a permis aux participants du convoi d’agir en toute impunité, que les droits que se sont arrogés ces participants ont permis à l’occupation d’aller en crescendo jusqu’à dépasser le point d’une manifestation et d’atteindre un niveau où la démocratie était effectivement menacée et où on violait les droits des habitants.

Sénateur Plett, j’aimerais connaître votre opinion au sujet du rôle qu’a joué le privilège, et comment le privilège a mené au recours à la Loi sur les mesures d’urgence dans le but de mettre fin aux barrages. Merci.

Le sénateur Plett : Encore une fois, sénatrice Bernard, j’essaie d’établir un lien entre votre question et la Loi sur les mesures d’urgence. Répondre à votre question ne me pose pas de problème, mais à mon avis, ma réponse n’aura aucun lien avec la Loi sur les mesures d’urgence.

Je vais quand même tenter ma chance. Comme je l’ai déjà dit, j’ai vu la plus grande partie des événements d’Ottawa depuis mon poste de télévision, comme la plupart des gens ici, je crois. Je ne pense que nous étions ailleurs la majeure partie du temps. Nous regardions les événements à la télévision. Et nous pouvions compter sur les reportages impartiaux et objectifs de CBC/Radio-Canada, pour notre plus grand bonheur.

(1500)

Or, quand je regardais ces reportages, ce que je voyais, ce sont des hommes, des femmes, des Noirs, des Autochtones. J’ai constaté que des gens de toutes les origines ethniques ont pris part à la manifestation. Alors je regrette, mais je ne suis pas d’accord avec vous, sénatrice Bernard. Selon moi, cela n’a rien à voir... le premier ministre a traité les manifestants de marginaux et de misogynes, mais il y avait autant de femmes que d’hommes — bon d’accord, peut-être pas autant, mais il y avait néanmoins des hommes, des femmes et des enfants. Il s’agissait d’une foule bigarrée.

Il y avait toutes sortes de gens à bout des confinements et de la COVID. Je sais que le premier ministre n’est pas à blâmer pour la pandémie, mais les manifestants étaient fatigués de tout ce qu’elle a entraîné et ils avaient besoin de l’exprimer.

Alors non. Je regrette, sénatrice Bernard, mais je ne vois pas du tout les choses du même œil que vous.

[Français]

L’honorable Claude Carignan : Le leader de l’opposition accepterait-il de répondre à une autre question?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Certainement.

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénateur Plett, j’ai posé une question cette semaine au sénateur Gold sur l’indice de la démocratie en 2021. J’ai dit alors que le Canada avait chuté de sept rangs en un an seulement et qu’il était passé au 12e rang parmi les pays du monde pour ce qui est de l’indice de la démocratie. Les indicateurs qui servent à déterminer l’indice de la démocratie sont notamment le fonctionnement du gouvernement, la participation politique, la culture politique et les libertés civiles.

Le recours à la Loi sur les mesures d’urgence — qui s’accompagne de pouvoirs exceptionnels — dans le but de limiter les droits et les libertés des gens et de procéder au gel de comptes bancaires, et ce, sans ordre de la cour, vous fait-il craindre que la position du Canada chute encore une fois d’au moins cinq autres rangs en 2022, et que le Canada se retrouve ainsi parmi les pays où l’indice de la démocratie est le plus bas?

[Traduction]

Le sénateur Plett : À n’en pas douter, sénateur Carignan. Je suis tout à fait de votre avis. J’ai l’impression que nos droits et libertés sont bafoués — gravement, même — par ce genre de mesure.

La ministre Freeland et le premier ministre Trudeau ont beau parler du Canada comme d’une démocratie libérale, mais je crois qu’ils sont les premiers à faire reculer notre pays sur ce plan.

La sénatrice Bernard disait que la dissension est présente au Canada depuis des années, et je suis d’accord avec elle. J’estime toutefois que les choses ont énormément empiré depuis six ans.

C’est en bonne partie la faute du premier ministre actuel, et la tendance ne s’inversera pas tant qu’il sera là, car il ne projette pas l’image d’un type qui accorde aux gens les droits qu’ils méritent. Je rappelle qu’il a déjà dit qu’il admirait la dictature totale de la Chine. Or, c’est précisément le genre de propos qui vont nous faire baisser dans le classement dont vous parlez, sénateur Carignan. Alors oui, j’ai l’impression que la note du Canada va continuer de baisser.

[Français]

Le sénateur Carignan : Le professeur Andrew Potter, de l’Université McGill, a commenté cette chute du classement du Canada en ce qui a trait à l’indice de la démocratie dans un article publié sur le site Web de Radio-Canada. Je le cite :

[...] M. Trudeau est donc « directement responsable de ce qui arrive » [...]. « Son attitude envers le Parlement a été méprisante et dédaigneuse, soutient le chercheur. Ce qui se passe actuellement dans les rues d’Ottawa en est, dans une large mesure, une conséquence directe. Quand les gens sentent qu’on ignore leur opinion ou qu’on la méprise, cela risque d’engendrer de la colère. »

J’imagine que vous êtes d’accord avec le professeur Potter?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je suis certainement d’accord avec vous, sénateur Carignan. Je crois qu’il méprise toute personne qui, selon lui, est d’un rang un peu inférieur au sien. Je trouve cela difficile, car s’il y a une personne qui incarne l’idée que l’on se fait du privilège, c’est bien le premier ministre.

Pourtant, des gens l’appuient alors qu’ils disent, du même souffle, qu’ils condamnent l’attitude du tout m’est dû. Or, le premier ministre manifeste cette attitude tous les jours. C’est ce qu’il faisait avant la COVID. Il a montré qu’il ne voulait pas être présent au Parlement.

Revenons un peu en arrière. Je ne dis pas cela pour marquer des points sur le plan politique. Je suis sérieux, même si certains ne me croient pas. Le premier ministre qui a précédé Justin Trudeau, sénateur Carignan — vous savez qu’il détestait assister à une réunion tenue à l’étranger lorsque la Chambre siégeait. Parce qu’il avait un profond respect pour la Chambre, il estimait devoir être présent les jours de séance de la Chambre.

L’actuel premier ministre, lui, fait tout pour ne pas être présent parce qu’il méprise totalement le Parlement et a, selon moi, un mépris total pour la démocratie et, franchement, un mépris total pour plus de la moitié du pays.

L’honorable Patti LaBoucane-Benson : Honorables sénateurs, j’ai entendu le sénateur Housakos dire un peu plus tôt que le gouvernement aurait dû lever les mesures sanitaires, comme le réclamait le convoi, afin de faire dégager les rues d’Ottawa.

Voici ma question, sénateur : est-ce qu’un gouvernement — le présent gouvernement ou un autre — devrait récompenser des personnes qui se livrent à des activités illégales en modifiant les politiques comme elles le souhaitent, en dépit de l’avis des experts de la santé?

Le sénateur Plett : Je n’ai pas entendu le sénateur Housakos s’exprimer en ces termes.

Madame la sénatrice, je crois que des négociations auraient dû avoir lieu. Non. Est-ce que je pense que c’était une bonne idée pour ce convoi de venir ici et de préparer un protocole d’entente, ne serait-ce qu’en partie?

Il faut garder en mémoire, honorables sénateurs, que ce convoi est devenu une créature ayant une vie propre. Quand il est arrivé à Ottawa, de nombreux groupes s’y étaient greffés. Un groupe est parti de l’ouest du Canada, mais il est devenu tentaculaire au fil de sa traversée du pays et a pris de l’ampleur avec la formation de nouveaux convois.

Ce n’est pas le convoi initial de l’Ouest qui avait le protocole d’entente. C’est un autre groupe du convoi qui l’a présenté. Est-ce que je suis d’accord avec cela? Non.

Aujourd’hui, j’ai reçu l’appel d’un habitant du Manitoba. Il m’a demandé : « Comment est-ce possible? Don, que pouvons-nous faire, comme simples citoyens, pour présenter une motion de défiance envers le gouvernement afin de renverser le gouvernement? »

Je lui ai répondu : « La seule chose à faire, cher ami, c’est de voter pour le Parti conservateur du Canada à la prochaine élection. Ainsi, vous aurez le bon gouvernement, et nous pourrons nous débarrasser de celui-ci. La seule manière de renverser un gouvernement est de voter aux élections. » Voilà ce que je pense.

Je n’approuvais pas ce protocole d’entente, qui m’apparaissait stupide. Personne ne croyait qu’il pourrait se concrétiser. Il était ridicule et absurde, et il ébranlait la légitimité d’un concept qui était, au départ, tout à fait légitime.

(1510)

Je crois dans le concept général des élections, et je suis prêt à affirmer aujourd’hui que cette organisation-ci et celle-là ont nui à nos chances de gagner les élections. Je passerai les prochaines années à bâtir nos forces dans le but de défaire les libéraux à la prochaine élection. Je continuerai de travailler en ce sens, mais je crois en la démocratie, madame la sénatrice.

Je parle, je parle, mais je n’ai peut-être pas répondu à votre question. Je vais donc suivre l’exemple du sénateur Gold et vous demander de répéter votre question. Peut-être que j’y répondrai directement, cette fois-ci. Quoi qu’il en soit, ces propos s’ajouteront au compte rendu.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je viens de l’Alberta. L’enjeu n’est pas de savoir si les gens sont vaccinés ou non — j’ai dans ma famille des personnes vaccinées et non vaccinées. Au début, le convoi militait contre les exigences liées à la vaccination. Une personne de votre caucus a dit qu’on aurait dû éliminer ces exigences et que tous les manifestants seraient alors retournés chez eux. Voici donc ma question : est-ce vraiment ainsi que doit agir un gouvernement? Doit-il plier devant des gestes illégaux? Doit-il donner aux manifestants ce qu’ils désirent, donc la fin des exigences liées aux vaccins, pour régler la situation, au lieu d’avoir recours à la Loi sur les mesures d’urgence? Est-ce ce qui aurait dû être fait?

Le sénateur Plett : Je dirai ceci : je pense que le gouvernement aurait dû abandonner les exigences relatives à la vaccination avant même le départ des camions en Alberta. Ainsi, rien de tout ceci ne serait arrivé. Si votre question est de savoir si je suis d’avis que le gouvernement devrait fonctionner sous la menace, ma réponse est non. Cela dit, le premier ministre aurait-il dû essayer de communiquer avec les organisateurs, que ce soit directement ou par l’entremise d’un intermédiaire comme je l’ai suggéré et comme il a été fait lors de la crise d’Oka? Il aurait certainement pu le faire. Il n’aurait pas dû qualifier les manifestants de marginaux. Il n’aurait pas dû aiguillonner des centaines de milliers, voire des millions de personnes qui appuyaient la manifestation. Il aurait dû chercher à faire la paix.

Les provinces avaient déjà commencé à lever les mesures obligatoires. Au lieu de se débarrasser des mesures obligatoires que les provinces abandonnaient, le premier ministre s’est tout simplement montré intransigeant. Suis-je d’avis que c’était la bonne attitude à adopter? Non. C’est toutefois, madame la sénatrice, ce que le premier ministre a fait à mon avis. Il s’est montré intransigeant et il a dit : « Il n’y a aucune chance que je vous accorde quoi que ce soit. Je vais seulement rendre les choses plus difficiles pour vous. » Ce n’était pas non plus approprié.

L’honorable Brent Cotter : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Plett : Bien sûr.

Le sénateur Cotter : J’ai beaucoup aimé votre discours, sénateur Plett. Je l’ai trouvé réfléchi, sérieux, éloquent et sincère. Ma question est technique, et je crois qu’elle est importante. C’est au sujet de l’échange que j’ai eu avec le sénateur Tannas plus tôt au sujet du moment où nous prenons cette décision.

Je suis avocat. C’est parfois un avantage, et parfois une malédiction. Ma question n’est vraiment pas un piège juridique, mais je veux décrire ce que considère comme la signification et l’intention de la loi et je vous invite à présenter vos observations. Je ne poserai pas de question complémentaire.

Le gouvernement fait la déclaration. Il a ensuite l’obligation de la déposer. Il doit aussi déposer la justification — le rapport, les renseignements sur les consultations effectuées et tout cela — entourant la déclaration. Tout cela nous est soumis. On pourrait penser, en temps normal, que c’est cela qu’il faut juger : si le gouvernement a assez bien présenté ses arguments.

La raison pour laquelle cela me semble logique, et je pense que le sénateur Tannas et moi sommes en désaccord là-dessus, c’est que, d’un autre côté, il y a une autre option. S’ils le souhaitent, un groupe de sénateurs pourrait lancer un processus pour révoquer la déclaration qui a déjà été faite par le gouvernement.

À mon avis, on nous invite à simplement approuver ou rejeter la publication de la déclaration par le gouvernement ainsi que sa justification, pas en fonction des circonstances actuelles, mais plutôt en fonction de celles de mardi ou mercredi dernier, peu importe le jour que nous devrions examiner. Je ne poserai aucune question complémentaire. J’aimerais beaucoup connaître votre opinion sur l’intention réelle de la loi à cet égard.

Le sénateur Plett : Certainement, sénateur Cotter. Je vous remercie de la question. Je pensais y avoir répondu en partie dans mon discours, mais je vais m’expliquer davantage.

Je rétorquerais que je ne suis évidemment pas d’accord pour dire qu’il y avait une raison d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. Cependant, supposons qu’il y ait eu une raison valable de le faire, et que je suis même d’accord pour dire que c’était le cas. Une fois cette situation d’urgence résolue, le gouvernement aurait dû révoquer l’état d’urgence de son propre chef. Il aurait pu le faire, et s’il l’avait fait, nous n’aurions pas cette discussion en ce moment. Cela aurait été la bonne décision à prendre. Si le gouvernement convient qu’il n’y a plus de situation d’urgence, alors il ne devrait pas insister pour qu’on adopte cette mesure. Je trouve cela complètement absurde. Il n’aurait pas dû faire cela.

Analysons la situation très simplement. Disons que des gens commettent un vol dans une banque, et que les autorités croient qu’il pourrait aussi y avoir des terroristes dans la banque, alors elles feront appel à l’armée, qui commencera à se mobiliser. Ensuite, si les voleurs sortent de la banque, se rendent et se font mettre en prison, on annulerait probablement l’intervention de l’armée. On ne lui dirait pas de venir quand même, d’aller dans la banque et d’y faire tout ce qu’elle veut. Non, on annulerait tout simplement l’intervention de l’armée.

Eh bien, le même principe s’appliquerait ici. S’il n’y a plus de motif, je ne crois pas que nous devrions utiliser la lettre dont vous parlez et dont, j’espère, vous seriez signataire, sénateur Cotter, étant donné que vous en avez parlé à deux reprises. Peut-être d’autres sont-ils en train de rédiger une lettre, mais bien plus de 10 personnes de différents groupes et de différents caucus de cette enceinte l’ont proposée. J’espère que vous soutiendrez cette lettre si la mince chance que la motion à l’étude soit adoptée se concrétise. Je suis encore très optimiste, et j’aime être positif et penser que nous rejetterons la motion. Mais si nous n’y arrivons pas, cette lettre est assurément en cours de rédaction. Devrions-nous prendre cette mesure si nous perdons le vote?

Je crois toutefois que le gouvernement doit prendre la décision raisonnée et mature de révoquer le recours à cette loi puisqu’elle n’est plus nécessaire.

L’honorable Patrick Brazeau : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Plett : Bien sûr.

Le sénateur Brazeau : Comme vous le savez, sénateur Plett, j’étais autrefois membre de votre parti. Je vous ai entendu dire des choses ici aujourd’hui, qui m’incitent à prendre la parole pour vous poser deux questions très simples.

Vous avez dit que cette occupation illégale bénéficiait d’un soutien autochtone, ce qui a été dénoncé par de nombreux dirigeants et organismes autochtones partout au pays. Soyons francs : nous avons vu des personnes prétendant être des Autochtones en entonnant la chanson « Yabba-Dabba-Doo! ». Si c’est là votre interprétation du soutien autochtone de cette manifestation, je vous demanderais de faire très attention à votre description des participants.

Cela étant dit, pourriez-vous me dire, de mémoire récente, quand remonte la dernière fois où votre parti a accordé un tant soit peu de soutien à une manifestation autochtone comparativement à ce qui s’est produit au cours des quatre dernières semaines?

J’ai aussi entendu dire de nombreux membres de votre parti, y compris un candidat à sa direction, qu’ils avaient appuyé les « camionneurs ». Le discours que vous tentez d’établir suppose que tout a commencé par de bonnes intentions avec de bonnes personnes, puis que le monstre s’est échappé pour tout gâcher.

Voici la question que je vous pose : avez-vous des preuves que vous pourriez présenter au Sénat qui expliqueraient pourquoi vous affirmez qu’au départ, tout cela ne devait être qu’une simple manifestation pacifique? J’appuie cette motion parce que je n’en ai pas encore vues et que nous pourrions aller au fond des choses. N’est-ce pas ce que vous souhaitez?

Le sénateur Plett : Le sénateur Gold m’a dit que je pouvais répondre par « oui » ou par « non ». Je dirai donc « oui » à une partie de votre question et « non » à l’autre partie.

[Français]

L’honorable Michèle Audette : Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une question?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Absolument.

[Français]

La sénatrice Audette : J’ai remarqué que je peux certainement poser ma question en français, grâce aux interprètes. Je les remercie pour leur travail incroyable.

Vous le savez, car je vous l’ai dit en privé, et je l’ai peut-être dit auparavant lors de différents échanges : je suis nouvelle. Il me faudra donc plusieurs années avant d’être bien à l’aise dans ces mocassins très importants. Comme mère, grand-mère, citoyenne et sénatrice, j’ai certaines préoccupations.

(1520)

Comment pouvez-vous me rassurer, sénateur Plett, alors que je vois, au Québec comme dans d’autres régions, de petits groupes très puissants? On ne les voit pas nécessairement, mais on comprend, on voit ou on lit des choses. Il y a une puissance économique incroyable derrière les mouvements récents.

Le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, un homme pour qui j’ai beaucoup de respect, a dit dans les médias qu’au Québec, même des membres des Hells Angels ont réussi à s’infiltrer dans le convoi. Bien sûr, cela me rend nerveuse et cela me fait peur, parce que ce n’est certainement pas ce genre de manifestations que nous devrions encourager, à mon avis.

J’aimerais donc que vous me rassuriez. Si cette motion concernant la Loi sur les mesures d’urgence n’est pas adoptée, comment allons-nous faire pour lutter contre ce genre de manifestations?

De plus, vous et moi savons que d’autres gouvernements vont prendre le pouvoir au Canada. Disons que, tout d’un coup, c’est un autre gouvernement que celui des libéraux qui prend le pouvoir; si ce gouvernement adopte alors une position très forte contre les mesures d’urgence, j’espère que nous nous rappellerons collectivement de ne pas promulguer de nouveau cette loi.

Êtes-vous d’accord avec moi pour dire que ce dont nous discutons aujourd’hui devra aussi s’appliquer pour les prochaines générations politiques qui verront le jour?

[Traduction]

Le sénateur Plett : La question fondamentale était la suivante : notre décision d’aujourd’hui créera-t-elle un précédent pour les générations futures? Sans contredit. C’est exactement ce que j’ai dit à quelques reprises dans mon discours. On ne pourra pas faire marche arrière. Ainsi, quel que soit notre vote, nous déterminerons les règles du jeu pour les générations futures. Si nous adoptons cette motion — car, sénatrice, nous devons nous concentrer sur le présent —, nous placerons la barre très bas pour tout autre éventuel recours à la Loi sur les mesures d’urgence. Le sénateur Cotter a posé essentiellement la même question. Si l’on examine la situation actuelle ou les événements des dernières semaines, je ne crois pas qu’il s’agissait d’une situation d’urgence.

Quoi qu’il en soit, je dirai ceci : je fais confiance aux forces de l’ordre, tout comme je fais confiance aux organisations telles que le SCRS, la GRC, les services de police municipaux et provinciaux, ainsi que nos organisations antiterrorisme et anticorruption. Il ne fait aucun doute que quelques idiots se sont joints à ce convoi, voire peut-être quelques personnes dangereuses. Une bombe fumigène a été activée le week-end dernier, mais c’est à peu près tout.

Je l’ai dit, je fais confiance à nos organisations antiterrorisme et à nos services de police, et je crois qu’ils savaient où était le convoi. Ce n’est pas comme si ces gens entraient subrepticement à Ottawa. Y avait-il des membres des Hells Angels dans le convoi? Je ne pense pas qu’il y en avait officiellement, mais c’est possible. Y avait-il, officieusement, des gens de mauvaise réputation dans un groupe formé de milliers de personnes? Sûrement. Il y en a dans toutes les manifestations, sénatrice. Dans toutes les manifestations à Ottawa, il y a des gens dont la présence est indésirable, mais qui ont le droit de manifester.

Hier, j’ai demandé au sénateur Gold quand cette manifestation est devenue illégale. Sa réponse était très vague. Tout le monde avait le droit d’être à Ottawa jusqu’à ce que la manifestation devienne illégale. Il ne faudrait jamais empiéter sur les droits de quiconque de manifester. C’est l’un des droits dont jouissent les Canadiens.

Je suis donc convaincu que si une personne voulait entrer illégalement à Ottawa, elle ferait ce qu’a fait le tireur dont j’ai parlé plus tôt. Elle s’approcherait de sa victime sans faire de bruit, puis elle l’abattrait. Ensuite, elle s’introduirait en courant dans l’édifice du Centre, comme il l’a fait. Elle ne partirait pas de l’Alberta pour se rendre à Ottawa dans un convoi de gros camions semi‑remorques, avec son nom inscrit en grosses lettres sur le côté du camion, et elle n’annoncerait pas son arrivée. Si la police croyait que des gens dangereux étaient mêlés au convoi, si elle croyait qu’il y avait des armes cachées quelque part sur la rue Wellington, elle m’aurait peut-être autorisé à m’y rendre à pied en espérant que rien ne m’arriverait. Cependant, elle n’aurait certes pas laissé passer le véhicule du premier ministre.

[Français]

Son Honneur le Président : Voulez-vous poser une autre question, sénatrice Audette?

La sénatrice Audette : Je vais continuer à réfléchir, et j’espère que j’obtiendrai de bonnes réponses au fil du débat.

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une question?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Absolument.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Sénateur Plett, depuis le début du débat, nous avons entendu dire, par certains collègues de cette Chambre, que l’utilisation de cette loi est exceptionnelle et qu’il s’agit d’un moment historique.

Toutefois, ne trouvez-vous pas, tout comme moi, que le gouvernement a manqué de respect et de transparence envers notre Chambre, en ne prenant pas part à un comité plénier où nous aurions pu examiner davantage les raisons pour lesquelles le recours à cette loi était justifié? Je vous dis cela surtout parce que le premier ministre lui-même ne s’est pas présenté à l’autre endroit pour voter sur cette loi, qu’il voudrait pourtant nous voir adopter aveuglément.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Absolument, sénateur Dagenais. Je pense que le premier ministre a fait preuve d’un manque de respect pour les deux Chambres au cours des dernières années — pour celle-ci, en tout cas. Peut-être que nous nous écartons du sujet, mais nous avons constamment été contrariés par la lenteur avec laquelle nous recevons les projets de loi, et je n’en tiens pas rigueur à notre leader du gouvernement au Sénat, qui ne fait que son travail. Cependant, il reçoit ces projets de loi pour ensuite se faire dire par des ministres de l’autre Chambre qu’il faut que les sénateurs mettent l’épaule à la roue et fassent leur travail en 24 heures, même s’il leur a fallu six mois pour nous faire parvenir le projet de loi.

On peut donc voir ici, sénateur Dagenais, toute l’ampleur de ce manque de respect. Puisque vous posez la question maintenant, je voudrais réitérer vos observations d’hier, lorsque vous avez dit que le gouvernement avait, en vertu du Code criminel, tous les outils nécessaires pour faire face à cette situation sans invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. Ce sont des propos que j’ai fort appréciés, et auxquels j’adhère certainement. Je vous en remercie, sénateur Dagenais.

[Français]

L’honorable Éric Forest : Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une autre question?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je vous en prie.

[Français]

Le sénateur Forest : Sénateur, à la lumière de votre expérience et de vos connaissances, vous avez dit que plusieurs idiots et quelques personnes dangereuses s’étaient infiltrés à l’intérieur du convoi.

J’aimerais savoir ceci : à la lumière de vos connaissances, quelle distinction faites-vous entre une personne idiote et une personne dangereuse dans ce convoi?

(1530)

[Traduction]

Le sénateur Plett : Sénateur Forest, je ne sais pas s’il s’agit d’un piège, mais je dirais qu’un idiot est toujours dangereux. Je ne sais pas où se situe la limite entre les deux. Comme je l’ai dit plus tôt, si on voit une seule personne brandir un drapeau arborant une croix gammée, et qu’on en déduit que le mouvement a été infiltré par les nazis, cela me semble être un raccourci un peu facile.

Lorsque le premier ministre et la Chambre des Communes en arrivent à cette conclusion, est-ce que je les soutiens? Je considère pour ma part qu’il s’agit seulement d’un idiot. Est-ce que cet idiot aurait dû être évacué sur-le-champ? Oui, certainement. Il ne l’a pas été. Pourquoi? Je ne sais pas, et je ne sais pas non plus s’il existe véritablement une distinction.

[Français]

Le sénateur Forest : Dans le fond, j’essaie d’évaluer les mesures que nous aurions dû prendre. À mon avis, s’il y a plusieurs idiots, nous aurions dû avoir des interventions différentes pour les personnes dangereuses. Pensez-vous que nous devrions intervenir de façon différente avec les deux types de personnes qui auraient infiltré ce convoi, sénateur Plett?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Oui, je pense que les idiots ont besoin d’aide et que les personnes dangereuses doivent être enfermées, mais ce n’est pas mon rôle de le faire. C’est celui de la police. S’il y avait des personnes dangereuses dans cette manifestation, la police aurait dû les neutraliser. Elle n’aurait pas dû attendre deux ou trois semaines. Elle aurait dû intervenir. La police a toutes les cartes dont elle a besoin en main. Comme l’a dit le sénateur Dagenais hier, la police dispose des outils nécessaires. Il me semble que le sénateur Dalphond en a aussi parlé, et sans conteste le sénateur Carignan.

C’est la mission de la police, pas la nôtre. Notre mission est de légiférer. Nous ne décidons pas qui doit être enfermé, et nous n’avons certainement pas à déclarer un état d’urgence s’il n’y a rien — de près ou de loin — qui ressemble à une urgence.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur le leader, j’entends des commentaires dans le cadre de ce débat qui me font dresser les cheveux sur la tête.

Est-ce que l’on a complètement oublié que l’on vit dans une société où doit régner la primauté du droit? Est-ce que l’on a complètement oublié qu’il y a des principes enchâssés dans la Constitution qui incluent des pouvoirs d’enquête et un service policier qui fait des enquêtes, que depuis que le monde est monde, des groupes criminalisés comme les Hells Angels, d’autres qui font du blanchiment d’argent et des trafiquants de drogues essaient d’infiltrer d’autres groupes? Ce sont des groupes qui fonctionnent régulièrement sous le couvert d’autres activités et qui ont pour objectifs de faire du blanchiment d’argent ou de contrôler le marché noir, par exemple. C’est courant. C’est toujours ainsi et cela ne changera pas. On n’utilise pas la Loi sur les mesures d’urgence parce qu’il y a un groupuscule qui est infiltré par des Hells Angels. La Constitution existe, les pouvoirs d’enquête également. Nous n’avons pas besoin de mesures d’urgence pour faire cela. Est-ce là un symptôme de la COVID-19?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je ne sais pas s’il y avait une question dans ce que vous venez de dire, sénateur Carignan, mais je suis d’accord avec vous. Comme je l’ai dit au sénateur Forest, le pays a toujours eu sa part d’indésirables. C’est indéniable.

J’ai la plus haute estime et admiration pour les Forces armées et les services de police, qui m’inspirent la plus grande confiance. Je suis absolument convaincu qu’ils feraient quelque chose si le convoi qui se trouvait à Ottawa avait été infiltré par des membres des Hells Angels ou de la Mafia. Je suis absolument persuadé que la police ne permettrait ni à moi ni à vous de marcher dans la rue Wellington ou de regarder aux fenêtres de l’édifice du Sénat et des édifices de l’autre côté de la rue s’il y avait un risque que des bombes se trouvent là. Ils n’auraient certainement pas permis au premier ministre de se présenter ici.

Si nous avons confiance envers les forces policières et les organismes d’application de la loi, nous ne pouvons pas déclarer l’état d’urgence simplement parce que nous n’aimons pas le genre de manifestation qui est en train de se produire. Si les manifestations qui ont eu lieu ici avaient été bien pires, mais plus proches idéologiquement du programme du premier ministre, nous n’en discuterions pas aujourd’hui.

Le sénateur Housakos : Je voudrais revenir encore sur un des points soulevés par la sénatrice LaBoucane-Benson au sujet des mesures obligatoires.

Au cours des dernières semaines, partout au pays, nous avons vu des provinces qui, évidemment, sont en première ligne de la lutte contre la COVID, arriver à la conclusion, sur les conseils des autorités sanitaires et en fonction des données, qu’il fallait lever les mesures obligatoires. Par exemple, le 14 mars, au Québec, et le 1er mars, en Ontario, le passeport vaccinal ne sera plus utilisé. Dans l’Ouest canadien, ces passeports ont déjà été retirés.

Comme les données nous indiquent que les mesures obligatoires ne sont plus nécessaires et que les gouvernements provinciaux partout au pays ont commencé à retirer ces mesures, pourquoi le premier ministre Trudeau a-t-il cru bon de doubler la mise et de maintenir les mesures ciblant une industrie en particulier alors que tout ce qu’il avait à faire — et c’est ce que je répète depuis quelques jours —, c’était de lever ces mesures pour éviter qu’il y ait une manifestation et des perturbations à Ottawa? Pourquoi va-t-il à contre-courant de la science et de ses homologues provinciaux?

La deuxième question que j’ai pour vous, sénateur Plett, concerne le fait que, au début de la crise de la COVID, le gouvernement et tous les Canadiens encensaient les camionneurs et les considéraient comme des héros. Ils étaient vus comme des travailleurs essentiels qui nous permettaient de nous nourrir, qui transportaient la nourriture d’un bout à l’autre du pays. Si on peut acheter des articles chez Amazon, Costco ou Walmart, c’est grâce à eux. À quel moment de la crise, sénateur Plett, ces héros — au même titre que les travailleurs de la santé — sont-ils devenus des extrémistes déplorables et indésirables? À quel moment? Est-ce quand ils ont commencé à ne plus accepter les politiques du gouvernement Trudeau? À quel moment?

Le sénateur Plett : Je profite de l’occasion pour lire ce gazouillis une fois de plus. Je sais qu’il figure dans le hansard, mais c’est un gazouillis que le premier ministre a publié dans les premiers jours de la pandémie. Il a dit :

Alors que plusieurs d’entre nous travaillent de la maison, d’autres n’en sont pas capables, comme les camionneurs qui travaillent jour et nuit pour s’assurer que nos étagères sont bien remplies. Si vous en avez la chance, dites-leur merci et aidez‑les comme vous le pouvez.

Sénateur Housakos, au début de la pandémie, des dirigeants, dont le premier ministre, nous ont dit qu’ils étaient là pour nous.

C’est ce qu’ils ont dit dans ma province. Ce n’était pas le premier ministre qui est en cause, mais je vais quand même utiliser cet exemple. Dans ma province, les dirigeants ont dit qu’ils étaient là pour nous. Trois mois plus tard, ils ont mis en place une ligne de dénonciation où vous pouviez dénoncer votre voisin. Voilà les conséquences. C’est le type de leadership dont les dirigeants font preuve ici. Un jour, ils disent qu’ils sont là pour nous et le lendemain, ils nous demandent de dénoncer nos voisins.

Sénateur Housakos, est-ce que je pense que ces mesures obligatoires auraient dû être levées? Oui. Cependant, officiellement, je ne peux pas dire que c’est la réponse que le premier ministre aurait dû donner aux camionneurs qui venaient ici pour manifester. Je pense qu’il aurait fallu le faire avant qu’ils n’arrivent ici, car, comme vous l’avez dit, c’est ce que les provinces faisaient. Le problème, c’est l’incohérence de la situation et la façon dont le gouvernement a communiqué qu’il lèverait les mesures obligatoires et quand il le ferait. Je ne sais pas comment les scientifiques peuvent dire que les choses iront mieux à une certaine date, mais ils semblent en être capables.

(1540)

L’honorable Hassan Yussuff : Merci, honorables sénateurs. Alors que je prends la parole au Sénat pour participer au débat, je tiens à remercier tous mes collègues qui sont déjà intervenus pour les observations qu’ils ont faites. Je crois qu’ils m’ont éclairé au sujet des observations que je m’apprête à faire, mais je suis également troublé par certaines choses. À mon avis, les difficultés que le Canada et nous connaissons ne sont pas uniques. Je crois que tous les pays connaissent des difficultés à certains moments. Compte tenu de notre rôle, comment pouvons-nous unir nos efforts pour montrer que le Canada demeure fort et attaché au principe de la démocratie et des droits civiques?

Je tiens également à souligner que, aujourd’hui, c’est la Journée du chandail rose. Vous remarquerez que je porte une cravate rose. J’ai une chemise rose, mais elle est chez le nettoyeur, et je n’ai pas pu la récupérer avant de me rendre au Sénat ce matin. Je tiens à dire aux jeunes dans les écoles des quatre coins du Canada qui prennent le temps de célébrer la Journée du chandail rose que je les félicite pour leur courage et le travail qu’ils accomplissent. Leur travail fera de notre pays un meilleur endroit où vivre pour eux quand ils seront adultes.

Je souhaite commencer en disant à mes collègues que selon moi, le gouvernement a satisfait aux critères permettant d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. Je ne dis pas cela à la légère, car je reconnais que dans notre pays, le droit de manifester est fondamental. En fait, je dirais que je suis peut-être un étudiant des manifestations. J’ai passé toute ma vie sur les barricades devant les parlements, les assemblées législatives provinciales et les hôtels de ville à manifester pour une chose ou une autre au nom des travailleurs.

Je suis venu ici à Ottawa au beau milieu de l’hiver, enivré et passionné. Nous manifestions contre les taux d’intérêt élevés, car nous croyions qu’ils avaient un effet préjudiciable sur les vies des travailleurs. Une fois la manifestation terminée, nous sommes retournés chez nous et avons poursuivi nos efforts visant à convaincre le gouvernement d’adopter une approche différente concernant sa politique de taux d’intérêt élevés qui ruinait notre économie. Je n’ai pas arrêté. Nous respections toutefois les droits accordés dans notre démocratie. C’était les personnes que nous avions élues pour faire ce qu’elles faisaient.

Mon ami le sénateur Peter Boehm a parlé hier de l’époque où il était sous-ministre, sherpa et organisateur pour l’Organisation des États américains, notamment lors de l’assemblée annuelle qui a eu lieu à Windsor. J’étais de l’autre côté et je manifestais contre les décisions de mon ami Peter. Il y avait beaucoup de gens, mais nous étions conscients que les Latino-Américains étaient venus ici pour discuter du rôle et des responsabilités de l’Organisation des États américains. Certains parmi nous estimaient qu’ils avaient quelque chose à dire et ils étaient déterminés à le dire.

Quand Peter a organisé — ce n’est pas moi qui vous l’apprendrai — le Sommet des Amériques, à Québec, j’étais là aussi, avec des milliers de travailleurs et de militants. Nous manifestions contre le sommet, car nous estimions que c’était notre droit.

Quand la manifestation a pris fin, j’ai fait comme les autres et je suis rentré chez moi. Mon ami Peter a organisé le plus récent sommet du G7 à se tenir au Canada. Je n’étais pas parmi les manifestants, cette fois-là. Pour tout dire, j’ai rencontré Peter de l’autre côté du canal, au Centre national des arts. Nous nous sommes assis ensemble. Le premier ministre et différents autres ministres dont les responsabilités touchaient au G7 sont passés nous voir au fil de la conversation afin de discuter des enjeux primordiaux pour les travailleurs du G7 et du reste de la planète.

Je connais Peter depuis 20 ans et je le compte parmi mes amis. Je considère que le droit de manifester est un droit fondamental, mais une fois que c’est fini, il faut que chacun rentre chez soi.

J’admets que certains de nos concitoyens qui sont venus à Ottawa pour manifester ont le droit de le faire, et je les félicite de l’avoir fait, mais je sais aussi que la situation avait dépassé le stade de la manifestation. C’était une occupation. Il y a une différence. Les citoyens de cette grande ville les ont accueillis, mais cet accueil s’est effrité bien avant qu’ils ne repartent. Ils ont abusé de cet accueil.

J’ai appris il y a bien longtemps que lorsque quelqu’un vous invite chez lui, il ne faut ni faire pipi sur le divan ni faire caca sur le plancher. C’est un peu cru, mais il faut le dire, car je crois que nos concitoyens qui étaient à Ottawa ont franchi une limite et enfreint la loi. Il faut la respecter.

Je me suis souvent plaint du fait que le gouvernement adoptait une loi pour obliger des travailleurs en grève à retourner au travail. Nous n’aimions pas la décision du gouvernement, mais nous l’acceptions et retournions au travail. Nous nous adressions aux tribunaux.

Aujourd’hui, dans mon pays, dans ce grand pays qui est le nôtre, le droit de grève est un droit fondamental protégé par la Constitution. Pourtant, les gouvernements continuent de violer cette loi. Nous allons continuer de nous adresser aux tribunaux et, un jour, nous allons obtenir un jugement — une énorme pénalité aux gouvernements pour avoir agi ainsi. Entretemps, toutefois, il faut continuer de respecter la loi.

Je sais qu’il ne s’agit pas du droit de nos concitoyens de venir manifester. Ce qui s’est produit ces dernières semaines partout au pays devrait tous nous perturber.

Comment en sommes-nous arrivés là? Au début de la pandémie, nous ne savions pas vraiment où tout cela allait nous mener. Je faisais un autre travail. Je dirigeais une organisation de 3,5 millions de personnes. Un soir, on nous a annoncé que le pays tout entier s’immobilisait pour une période indéterminée. Nous sommes-nous rebellés? Sommes-nous sortis dans les rues parce que nous n’avions plus d’emploi? Quelles allaient être nos sources de revenus? De quelle façon les entreprises allaient-elles survivre? Comment allions-nous subvenir aux besoins de notre famille? Nous avons accepté cette décision parce que c’était dans l’intérêt supérieur de notre population et pour préserver sa santé.

J’ai discuté avec le gouvernement, la chambre de commerce et beaucoup d’autres entités à propos des programmes nécessaires. Nous n’avions pas de vaccins, mais nous devions porter un masque. Nous avons dû apprendre à bien nous laver les mains et à ne pas nous tenir trop près les uns des autres afin d’éviter la propagation du virus. Nous avons fait tout cela afin de nous protéger mutuellement, de protéger notre famille et nos amis. En même temps, nous savions qu’il fallait s’assurer que les Canadiens comprennent la gravité de la situation. Beaucoup de personnes au pays ont bien sûr pris part aux efforts pour veiller à ce que notre pays soit en sécurité.

Après deux ans, nous avons beaucoup cheminé. En avons-nous assez? Moi, oui. Pourquoi? Parce que nous ne pouvons pas voir nos amis comme autrefois. À Noël, par exemple, je n’ai pas pu recevoir de gens à la maison. Est-ce frustrant? Absolument. Mais c’est ce que nos dirigeants nous ont demandé.

Depuis plus de trois ans, nous ne pouvons pas prendre de vacances. Suis-je frustré? Absolument. Mais est-ce que cela me donne le droit de me comporter de manière à compromettre le bien commun du pays? Je ne le crois pas.

Nous sommes conscients que nous faisons cela pour le plus grand bien du pays. Je respecte ceux qui refusent de recevoir le vaccin ou de porter le masque, mais je ne leur donne pas le droit de mettre en danger ma santé lorsque je mets tout en œuvre pour la protéger.

Cela dit, je respecte le droit de quiconque de ne pas se plier aux mesures. Je sais que les personnes qui sont venues ici ont dit qu’elles voulaient la levée de toutes les mesures sanitaires. Qui les a élues pour qu’ils prennent cette décision? Mais je respecte leur droit de s’exprimer.

Je ne pense pas que des gens puissent arriver à Ottawa et réclamer que le gouvernement élu disparaisse et qu’un petit groupe d’entre eux donne à la gouverneure générale et au Sénat le pouvoir de décision. Ils n’ont pas le droit de dire cela ni le droit de me dire que c’était leur objectif.

Alors, lorsque les citoyens, le maire et d’autres personnes leur ont demandé de quitter la ville, ils les ont essentiellement envoyés promener. Ils allaient rester ici de toute façon.

Eh bien, je ne sais pas. Si vous êtes invité chez quelqu’un et que vos hôtes vous demandent de partir, vous faites ce que vous devez faire : vous partez. Ce sont les bases du savoir-vivre.

Votre droit de manifester n’est pas remis en cause. C’est plutôt votre droit de demeurer à un endroit où les gens qui vous ont invités et accueillis ne vous veulent plus chez eux qui est remis en question.

Je trouve vraiment frustrant d’écouter ce débat, parce que je ne pense pas que tout cela concerne le premier ministre. Plusieurs premiers ministres de notre grand pays ont imposé de nombreuses mesures à leurs citoyens. Certains d’entre eux sont lents à lever ces restrictions. Je respecte leur droit d’y aller à leur rythme, pourvu qu’ils s’appuient sur les avis des scientifiques et des médecins de leur territoire respectif.

(1550)

Je sais qu’il viendra un temps où les exigences relatives à la vaccination seront chose du passé dans notre pays. Entretemps, nous devons continuer de respecter la primauté du droit et les structures qui ont été mises en place au Canada.

On a dit beaucoup de choses sur l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence. La Loi sur les mesures d’urgence n’est pas la Loi sur les mesures de guerre. C’est une tout autre série de dispositions législatives. La Loi sur les mesures d’urgence a été conçue avec une grande attention parce qu’elle prenait appui sur les leçons retenues de la crise au Québec et des deux guerres mondiales.

J’aimerais vous raconter une histoire. Ma mère est une Canadienne d’origine japonaise. Elle est née au Canada. Elle et tous les membres de sa famille ont été arrêtés, placés dans un train et envoyés dans un camp. Ils y sont restés durant toute la guerre. Par la suite, elle a été envoyée en Ontario.

Cinq décennies plus tard, elle est retournée en Colombie-Britannique, où elle était née, afin de revoir la ferme familiale. Il n’en restait plus rien. Est-elle une femme en colère? Non. Doit-elle accepter ce qui leur est arrivé, à elle et aux membres de sa famille? Non.

L’ancien premier ministre Brian Mulroney a présenté des excuses pour ce que notre pays a fait. Des compensations ont été versées. Pourtant, il n’y a rien que nous puissions faire pour rétablir la dignité et les droits qui ont été bafoués par le gouvernement de notre pays à cette époque.

La Loi sur les mesures d’urgence est conçue de façon à faire en sorte que, si le gouvernement se sert d’elle, il doit y avoir des contrepoids. C’est le cas : la loi prévoit une surveillance. Un groupe de parlementaires peut se former et demander au gouvernement d’abroger la loi. C’est également possible de le faire à l’autre endroit.

La Charte des droits et libertés n’existait pas au moment de la Seconde Guerre mondiale ou de la crise d’Octobre. Aujourd’hui, elle existe. Les législateurs ont pris soin de préciser que le gouvernement pouvait déroger à la Charte des droits et libertés.

Les tribunaux ont un rôle à jouer. Si le gouvernement outrepasse ses droits, les juges et les avocats au pays s’assureront qu’il rende des comptes concernant toute violation des droits fondamentaux des Canadiens.

Est-ce que je considère qu’il fallait nécessairement avoir recours à la Loi sur les mesures d’urgence? Non. Il y a eu de nombreux échecs pendant cette crise. Tout le monde peut chercher des coupables, mais tout cela sera étudié en temps et lieu. J’espère que nous en tirerons des leçons.

Des milliers de travailleurs d’Ottawa ne pouvaient pas aller travailler. Ils ont perdu leurs revenus. Des commerces ont souffert. Les manifestants avaient-ils le droit de causer de tels dommages? Non; je ne crois pas qu’ils avaient le droit de causer du tort aux résidants de cette ville. J’ai beaucoup de collègues, et je pense aussi aux milliers de travailleurs du secteur de l’automobile. Ils ont dû rentrer à la maison parce que les usines avaient fermé. Et elles ont fermé parce que des gens avaient décidé de bloquer un pont pour attirer l’attention de la population sur les décisions du gouvernement concernant les exigences liées à la COVID. Est-ce acceptable? Aucun d’entre nous ne considère ce geste acceptable. Les travailleurs touchés ont perdu des revenus. Ce genre de situation risque aussi d’ébranler la confiance envers notre capacité de maintenir les frontières ouvertes et de continuer nos échanges commerciaux.

La réalité, c’est qu’il y a une différence entre une manifestation et une occupation, c’est-à-dire une action illégale visant à bloquer un pont et à agir comme des gens l’ont fait ici, à Ottawa.

Je voudrais bien me mettre en colère devant le racisme, le drapeau confédéré et la croix gammée, mais en tant que personne de couleur, en tant qu’homme d’origine musulmane qui s’appelle « Hassan Yussuff », j’ai vu beaucoup de conneries dans notre pays. Je ne perds toutefois pas espoir à propos des citoyens et de leur comportement. J’espère qu’ils changeront au fil du temps et qu’ils deviendront de meilleures personnes.

Je suis persuadé que la plupart des Canadiens qui ont occupé la ville d’Ottawa étaient des gens bien et honnêtes. Je veux continuer de le croire. Autrement, j’espère qu’ils vont devenir de meilleurs citoyens. Je refuse de leur tourner le dos, car ce serait mal de ma part. Cela dit, je peux quand même les critiquer et déplorer leurs agissements. Je désapprouve ce qu’ils ont fait. C’était inacceptable. Ils se sont comportés de manière inadmissible pour toutes les raisons déjà évoquées. Nous devons nous comporter avec un minimum de dignité.

En terminant, chers collègues, je suis conscient de l’importance de la décision que nous sommes appelés à prendre. C’est la première fois que cette loi est mise en vigueur. Nous devons examiner la question sous tous ses angles. J’espère en tout cas qu’à la lumière des conseils qu’il reçoit, le gouvernement prendra la décision qui s’impose avant l’expiration du délai de 30 jours. Pour l’avenir de notre grand pays et pour notre avenir à tous, nous devons prendre la bonne décision.

Je vais donc appuyer la motion. Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Votre temps de parole est écoulé, sénateur Yussuff, mais il y a au moins une personne qui souhaite vous poser une question. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Yussuff : Avec plaisir.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

L’honorable Denise Batters : Tout d’abord, je tiens à vous dire, sénateur Yussuff, que votre discours était très réfléchi. Vous soulevez de nombreux points importants et je vous en remercie.

Je viens de voir une alerte médiatique de la Presse canadienne sur Twitter :

Selon deux sources haut placées du gouvernement, le premier ministre Justin Trudeau est sur le point de révoquer le recours à la Loi sur les mesures d’urgence maintenant que la manifestation au centre-ville d’Ottawa est terminée.

Apparemment, il fera une déclaration à 16 h, heure de l’Est.

Que pensez-vous de cela, sénateur Yussuff, compte tenu du débat qui dure depuis de nombreuses heures au Sénat et des nombreuses observations réfléchies qui ont été formulées par les deux côtés?

Le sénateur Yussuff : Merci de votre question, sénatrice Batters.

Nous avons eu l’occasion d’entendre les ministres plus tôt cette semaine, avant le début du débat. Les ministres nous ont assuré qu’ils consultaient la police quotidiennement, à l’heure juste, à propos du recours à la loi. Sur la base de cette information, je pense qu’au moment opportun, s’ils disposent d’informations qui leur permettent de faire ce qui est affirmé dans ce fil de presse, je ne suis pas en désaccord.

Je ne prends pas le gouvernement au pied de la lettre. Je prends les informations dans le contexte où le gouvernement consulte les forces de l’ordre au sujet du recours à la loi et de la poursuite de l’utilisation de la loi. Si le premier ministre tient une conférence de presse pour dire qu’il révoque la loi, qu’elle n’est plus nécessaire, c’est sa décision, mais elle est fondée sur les conseils qu’il a reçus des forces de l’ordre, auxquelles il se fie pour obtenir de bons conseils.

La sénatrice Batters : Merci pour votre réponse. Seriez-vous d’accord avec moi pour dire que, vu cette analyse particulière de la situation actuelle, il semble que l’issue appropriée de ce débat est de voter « non »?

Le sénateur Yussuff : Jusqu’à ce que nous sachions ce qu’il en est avec certitude, on nous a demandé de débattre en vue d’appuyer ou de rejeter le recours à la loi par le gouvernement. Le Sénat n’est saisi d’aucune autre question en ce moment. Tant que le représentant du gouvernement ne nous indiquera rien d’autre, je suppose que nous devons toujours voter sur la motion.

L’honorable Terry M. Mercer : Sénatrice Batters, je suis choqué que le premier ministre se soit donné autant de mal pour me voler la vedette pendant mon discours cet après-midi. Je croyais que la fois où il m’a expulsé du caucus libéral il y a plusieurs années était la dernière.

Honorables sénateurs, nous sommes tous fatigués. Nous sommes tous épuisés par la COVID-19, les ordres de rester chez soi et les protocoles sanitaires, mais la fin est proche. Nous devrions maintenir notre approche modérée et lever les restrictions avec prudence afin de pouvoir sortir de la pandémie dans des circonstances qui préviendront que de telles mesures généralisées soient à nouveau nécessaires.

Nous devons continuer à utiliser les outils qui ont fait leurs preuves. Sommes-nous obligés de les aimer? Non, mais il est clair qu’ils ont été essentiels pour prévenir l’effondrement massif de notre système de santé. Beaucoup de gens ont été malades, certains souffrent encore des effets de la COVID-19 de longue durée, et il y a eu de nombreux décès, mais combien d’autres personnes seraient tombées malades ou seraient mortes si des restrictions n’avaient pas été mises en place?

Honorables sénateurs, cela est au cœur de la question qui nous rassemble ici aujourd’hui. Les gens sont fatigués. Nous sommes tous fatigués. Cela nous donne-t-il le droit de paralyser notre capitale et nos postes frontaliers au détriment de centaines de millions de dollars d’échanges commerciaux? Je ne le crois pas.

(1600)

La Loi sur les mesures d’urgence, dont nous débattons la mise en œuvre aujourd’hui, a vu le jour en 1988, sous l’ancien premier ministre Brian Mulroney, et visait à remplacer la Loi sur les mesures de guerre. À mon avis — et cela risque de surprendre certains de mes collègues conservateurs —, cette nouvelle version constitue une bonne mesure législative. En effet, Brian Mulroney avait dans son arsenal une mesure judicieuse. Il s’agit d’un compromis respectable pour protéger les droits des citoyens tout en assurant leur sécurité en période de crise.

Honorables sénateurs, si je ne m’abuse, le convoi est parti d’une déclaration de protestation de gens qui en ont marre des restrictions et qui veulent qu’elles soient levées. Toutefois, une fois la capitale assiégée, cette déclaration a vite été enterrée par une voix plus forte, la voix de l’anarchie, de la rage, du racisme et de l’antisémitisme, qui a attiré beaucoup d’attention, alimentée par les fausses nouvelles et la désinformation sur les médias sociaux. La minorité extrémiste était arrivée à Ottawa et était déterminée à y rester, coûte que coûte. Au fil des jours, les choses ont empiré. Les manifestants sont devenus un groupe de fêtards bruyants, jouant allégrement du klaxon, se prélassant dans leurs spas, s’amusant dans leurs châteaux gonflables et faisant rôtir un porc. Le rassemblement s’est transformé en une vulgaire fête de rue pour extrémistes et tenants des théories de la conspiration. Les voix pacifiques, car il en restait, se sont perdues dans la mêlée.

Assiégés, les citoyens de la ville d’Ottawa en ont eu assez. J’ai entendu et lu de nombreux commentaires du genre « Et alors? Quel est le problème? Nous sommes au centre-ville. Nous ne dérangeons personne. » Des dizaines de milliers de citoyens habitent à moins de 10 minutes de la Colline du Parlement. C’est un trait que l’on retrouve dans peu de capitales dans le monde. Ces résidants se faisaient harcelés par le bruit constant et les attaques verbales, voire, dans certains cas, des attaques physiques répétées. L’habitation de certains a failli être incendiée.

Cela nous amène à la question qui a été posée à maintes reprises pendant ce débat : pourquoi n’est-on pas intervenu plus tôt? En toute franchise, tous les ordres de gouvernement sont responsables de cet échec. Depuis le début de la pandémie, la COVID-19 a été récupérée à des fins politiques, et la situation a donné lieu à une méfiance considérable envers les scientifiques — ainsi qu’envers les politiciens —, une méfiance que nous pourrions avoir mal évaluée. Les fermetures qui ont été constamment imposées, combinées aux mesures de confinement que nous avons tous dû suivre, ont gravement échauffé les esprits au point où des gens ont décidé d’assiéger la ville d’Ottawa et des postes frontaliers.

Honorables sénateurs, je crois au droit de manifester. J’ai participé moi-même à de nombreuses manifestations au cours de ma vie; toutes se sont déroulées pacifiquement, et j’espère qu’elles ont été efficaces. Or, ce n’est pas ce qui s’est passé à Ottawa, et ce qu’on a observé est loin d’être digne des valeurs canadiennes. Selon moi, des forces extérieures étaient à l’œuvre. Il me tarde également que nous nous penchions là-dessus. La Loi sur les mesures d’urgence nous permet aussi de faire cela.

Le CANAFE surveille l’argent, et il est à peu près temps que nous le fassions pour les plateformes de financement comme GoFundMe. D’où l’argent vient-il? Jusqu’ici, il n’existait aucun moyen de faire le suivi des fonds étrangers, et je suis ravi que nous puissions maintenant le faire. Je ne suis pas entièrement d’accord avec ceux qui ont affirmé ici que les plus petits se faisaient harceler et qu’on gelait leur compte de banque. Des mesures de protection ont été mises en place pour remédier à une situation grave, le cas échéant. En cas de problème, nous pouvons examiner la situation pour corriger le tir.

D’ailleurs, la GRC a affirmé qu’elle ne ciblait pas les plus petits, mais surtout les organisateurs et ceux qui ont continué de les soutenir à Ottawa.

Honorables sénateurs, pourquoi continuer d’appliquer les mesures si tout est terminé? Sommes-nous certains que tout est terminé? D’après la déclaration qu’a faite la sénatrice Batters avant mon discours, peut-être que tout est bel et bien terminé.

Sommes-nous certains que tout est terminé? Je ne crois pas. Je suis convaincu que bon nombre d’entre vous ont lu dans les journaux depuis un jour ou deux que d’anciens manifestants de l’occupation d’Ottawa se sont regroupés à divers endroits autour de la grande région d’Ottawa. Les manifestants ne sont pas tous vraiment rentrés chez eux.

Pourquoi ne pas maintenir ces mesures pour assurer notre sécurité? L’approche est équilibrée. Elle ne va pas trop loin. Elle est sujette à un examen, ce que nous faisons en ce moment même. La démocratie et la primauté du droit sont respectées, notamment au moyen du travail que nous faisons ici. La Loi sur les mesures d’urgence prévoit des mesures de sauvegarde : une surveillance parlementaire, des mécanismes de reddition de comptes et le respect des droits garantis par la Charte.

Si des premiers ministres des provinces et des territoires ne veulent pas de l’aide offerte au moyen de la Loi sur les mesures d’urgence, c’est très bien. L’un d’entre eux en a voulu, et les mesures prises ont donné des résultats. La loi devrait continuer de s’appliquer jusqu’à ce que les groupes malavisés et, dans certains cas, criminels soient complètement partis.

Plus important encore, le recours à la loi sera examiné par des représentants de tous les groupes du Sénat et de l’autre endroit. C’est une bonne chose : les mécanismes de contrôle appropriés empêchent les mesures excessives.

Je pourrais aussi ajouter, avec tout le respect que je dois à mes collègues avocats, que j’espère certainement qu’il y aura des représentants d’autres professions au comité.

Honorables sénateurs, dans notre pays, nous avons des choix, mais ces choix ont des conséquences. Si des gens décident d’occuper une ville et de perturber nos postes frontaliers, et s’ils refusent de partir même après d’innombrables avertissements, nos lois pour protéger l’ordre public doivent entrer en jeu.

Finalement, j’aimerais saluer le travail et le dévouement exceptionnels des policiers de partout au pays qui ont participé aux efforts pour démanteler les barrages illégaux à Ottawa et aux postes frontaliers. J’aimerais aussi saluer leurs familles qui les voient aller travailler tous les jours, sachant qu’ils mettent leur vie en danger pour nous protéger.

C’est une question de vaccination contre la COVID pour bien des gens. Or, ce matin, je faisais la lecture de mon journal local, en Nouvelle-Écosse, où figure toujours une rubrique historique à la page 2. J’ai trouvé celle de l’édition d’aujourd’hui particulièrement intéressante pour nous. On peut y lire que, en 1954, la première campagne de vaccination de masse contre la polio, durant laquelle le vaccin de Jonas Salk a été inoculé, s’est déroulée à Pittsburgh, en Pennsylvanie. Bon nombre des sénateurs plus jeunes n’ont jamais connu la polio, et c’est grâce à ce vaccin. La polio a presque complètement disparu à l’échelle mondiale grâce à lui. Je suis frustré que les gens ne se concentrent pas là-dessus. Nous sommes tous frustrés, mais les Canadiens sortiront de cette pandémie plus forts, plus sages et plus protégés que jamais. Merci, honorables sénateurs.

L’honorable Dennis Glen Patterson : Je me demande si le sénateur Mercer accepterait de répondre à une question.

Le sénateur Mercer : Oui, bien sûr.

Le sénateur Patterson : Je vous remercie de votre intervention, sénateur Mercer. Je veux dire que je suis d’accord avec vous quand vous affirmez que l’imposition d’exigences vaccinales contribue grandement à protéger la santé des Canadiens. Comme je l’ai dit, c’est particulièrement le cas dans mon territoire, le Nunavut.

(1610)

Je voudrais savoir ce que vous pensez de l’obligation vaccinale qu’on a décidé d’imposer aux camionneurs traversant la frontière avec les États-Unis. Cette obligation vaccinale semble avoir été l’élément déclencheur du « convoi pour la liberté », même si, comme bien des sénateurs l’ont mentionné, les revendications de ce convoi ont ensuite évolué. Certains interprètent cette obligation vaccinale pour les camionneurs comme une provocation, car après tout ils ont accompli leur part pendant la pandémie et on les a autorisés à traverser la frontière pendant presque deux ans sans leur imposer la vaccination; sans oublier le fait que 90 % d’entre eux sont vaccinés.

J’aimerais savoir si vous pensez qu’il était judicieux d’imposer la vaccination obligatoire aux camionneurs, alors qu’ils sont 90 % à être vaccinés et qu’on leur a laissé traverser librement la frontière pendant deux ans, car nous avions vraiment besoin de leurs services et des produits qu’ils nous livraient. Conviendriez-vous qu’il s’agissait d’une provocation manifestement inutile? Je vous remercie.

Le sénateur Mercer : À mon avis, quand on cherche délibérément à mettre quelqu’un en colère, il ne faut pas s’étonner que cette personne finisse par sortir de ses gonds. Je ne pense pas que nous disposions, ici dans cette enceinte, de tous les éléments d’information que le gouvernement a utilisés pour décider de provoquer les camionneurs. Je ne crois pas que nous sachions ce qui se cache derrière cette décision. Pour autant, était-ce une sage décision? Probablement pas.

L’honorable David M. Wells (leader adjoint suppléant de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui, en cette période sans précédent dans l’histoire de notre pays, au sujet de la motion de confirmation de la déclaration d’urgence dont nous sommes saisis. Je suis très préoccupé par le fait que le gouvernement continue d’élargir ses pouvoirs comme il semble le faire, sans justification claire et valable.

Au Canada, nous accordons le plus grand respect à nos libertés, qui sont enchâssées dans la Charte des droits et libertés. La Charte garantit que les Canadiens sont libres d’exprimer leurs idées, comme l’indique l’alinéa 2b), aux termes duquel chacun a droit à la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression; l’alinéa 2c), qui fait référence à la liberté de réunion pacifique; et l’alinéa 2d), qui fait référence à la liberté d’association.

Par conséquent, les Canadiens jouissent de la liberté d’exprimer leurs idées, de se rassembler, d’en discuter et de les communiquer largement à d’autres personnes. Ces libertés sont essentielles au bon fonctionnement d’une société libre et démocratique. Il est tout aussi fondamental que tous les Canadiens soient libres de débattre des questions de politique publique, de manifester et de critiquer les gouvernements. Il ne fait aucun doute que ce qui s’est produit sur le tronçon d’un kilomètre de la rue Wellington au cours de cette période de trois semaines était une manifestation, bien que non conforme à la loi de notre pays.

J’ai reçu un nombre sans précédent d’appels téléphoniques et de courriels de Canadiens de tous les horizons et de l’ensemble des provinces et des territoires. Ils m’ont fait part de leur crainte sincère et légitime que les libertés fondamentales qu’ils chérissent soient érodées et, dans certains cas, supprimées. Honorables sénateurs, je sais que vous avez également reçu ces messages. Je connais certains de ces Canadiens parce qu’ils ont mon adresse électronique privée et mon numéro de téléphone cellulaire privé et qu’ils m’ont contacté directement puisqu’ils me connaissent. Malgré ce que certains ont dit, ces gens ne sont ni racistes, ni misogynes, ni une des étiquettes commodes utilisées pour justifier certaines actions, dont le vote sur cette motion.

Les Canadiens sont vraiment inquiets du fait que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence n’est pas et n’a jamais été nécessaire pour mettre fin à la manifestation dans le centre-ville d’Ottawa. Il n’a certainement pas été nécessaire d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence au poste frontalier de Coutts, en Alberta, où les organisateurs locaux légitimes ont mis fin à la manifestation lorsque la police a découvert des armes et des munitions introduites en contrebande. Les Canadiens sont alarmés par l’abus de pouvoir dont le premier ministre a fait preuve lorsqu’il a décidé d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence au lieu de mettre en œuvre ou, à tout le moins, d’explorer d’autres options disponibles, ou lorsqu’il a recouru à cette loi en raison des échecs évidents des autorités municipales, provinciales et fédérales dysfonctionnelles ainsi que du service de police local, qui avait les pouvoirs en vertu des lois existantes déjà en place. Pire encore, il n’y a même pas d’explication quant à la raison pour laquelle ces autres options n’ont pas été envisagées. Ils avaient tous des options raisonnables et ils ont tous abdiqué leurs responsabilités.

Honorables sénateurs, pour bien comprendre la situation que vivent le Canada et le Sénat en ce moment, nous devons examiner l’origine de la Loi sur les mesures d’urgence.

La Loi sur les mesures d’urgence a été présentée par l’ancien ministre de la Défense nationale, M. Perrin Beatty, au cours de la deuxième session de la 33e législature du Canada, sous la forme du projet de loi C-77. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 21 juillet 1988 et il a essentiellement remplacé la Loi sur les mesures de guerre. Le Parlement voulait que la nouvelle loi protège davantage les droits civils tout en réduisant les risques d’abus de pouvoir que présentait sa version précédente : la Loi sur les mesures de guerre. Plusieurs amendements ont été apportés au projet de loi C-77, dont un important, à savoir la définition de « crise nationale ». Les situations où la loi peut être invoquée ont été définies de façon plus restrictive afin d’en limiter le recours.

Peter Rosenthal, professeur et avocat canado-américain qui a écrit « The New Emergencies Act : Four Times the War Measures Act », publié dans le Manitoba Law Journal, donne deux conditions possibles, la première étant que :

[la situation] met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces [...]

La seconde est une situation qui : « menace la souveraineté du Canada. » La province avait la capacité et le pouvoir de régler la situation, mais elle ne les a pas utilisés, à l’instar de la Ville d’Ottawa.

Noa Mendelsohn Aviv, avocate générale à l’Association canadienne des libertés civiles, qui a été citée par le sénateur Plett et d’autres personnes, a déclaré ceci :

La Loi sur les mesures d’urgence est claire. Elle s’applique seulement en présence de circonstances qui mettent sérieusement en danger la vie, la santé et la sécurité des Canadiens, d’une manière qui échappe à la capacité des provinces d’y remédier, ou des circonstances qui menacent gravement l’intégrité territoriale, la sécurité et la souveraineté du Canada et qui sont impossibles à régler par l’application les lois existantes.

Elle ajoute :

[...] c’est ce que l’on entend par primauté du droit [...] nous voulons des lois démocratiques pour régler des situations difficiles, pas des pouvoirs d’urgence qui ne devraient pas être réglementés.

Honorables sénateurs, nous avons déjà des lois existantes.

Voici ce qui dit la Loi sur les mesures d’urgence :

Pour l’application de la présente loi, une situation de crise nationale résulte d’un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire [...] qui, selon le cas :

a) met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces;

b) menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays.

[...] auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada.

Les manifestations que nous avons vues à Ottawa et de façon localisée au Canada ne constituent pas des critères satisfaisants. La vie, la santé ou la sécurité des Canadiens sont-elles à ce point en danger que les autorités compétentes ne disposent pas des moyens ni des lois pour résoudre la situation? La réponse est non. La souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du Canada sont‑elles menacées par ces manifestations au point que les lois en vigueur ne suffisent pas à régler le problème? La réponse est non.

Le droit de manifester est un principe inhérent et caractéristique de nombreuses démocraties dans le monde, et le Canada ne fait pas exception à cette règle. En fait, le droit de manifester a bien souvent été à l’origine de l’émergence des démocraties. Les manifestations sont généralement organisées et suivies par une minorité de gens, mais cela n’en diminue pas moins leur poids. La Charte canadienne des droits et libertés ne vise pas à protéger la majorité ou la minorité, elle vise à protéger les droits individuels et se veut un paravent contre l’autoritarisme du gouvernement.

Des Canadiens trouvent inquiétante la mise en œuvre de la Loi sur les mesures d’urgence, qui restreint la possibilité de tenir des manifestations légales et protégées par la Constitution. Cet abus de pouvoir est inacceptable. Si je me fie au nombre de personnes qui ont communiqué avec mon bureau, je crois qu’on peut estimer que des millions de Canadiens n’approuvent pas cette décision. Ces citoyens ont été décrits comme des personnes aux « opinions inacceptables ». Fait à noter, c’est au Sénat que j’ai entendu parler pour la première fois du terme anglais « othering », qui veut dire stigmatiser et ostraciser, et des visées destructrices de ce genre d’action. C’est exactement ce qu’ont fait le premier ministre et son gouvernement. Le premier ministre a traité des personnes de « minorité de gens marginaux », de misogynes, de racistes, de sympathisants nazis. Ce n’est pas ainsi qu’on dirige un pays. Ce n’est pas une façon responsable de gouverner.

Honorables sénateurs, alors que je tente de décortiquer tout cela et de comprendre la proportionnalité des gestes du gouvernement et la restriction des libertés garanties et protégées des Canadiens, permettez-moi de lire un extrait du préambule de la Loi sur les mesures d’urgence :

Attendu : que l’État a pour obligations primordiales d’assurer la sécurité des individus, de protéger les valeurs du corps politique et de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays;

que l’exécution de ces obligations au Canada risque d’être gravement compromise en situation de crise nationale et que, pour assurer la sécurité en une telle situation, le gouverneur en conseil devrait être habilité, sous le contrôle du Parlement, à prendre à titre temporaire des mesures extraordinaires peut-être injustifiables en temps normal;

(1620)

Le « convoi pour la liberté » n’empêchait pas le gouvernement de gouverner. Je dirais même que les manifestations du convoi, même si elles étaient illégales et elles causaient des perturbations à l’échelle locale, ne répondaient pas aux critères qui correspondent à une situation d’urgence nationale selon la loi.

Par ailleurs, si une personne pense que le protocole d’entente qui proposait de renverser le gouvernement du pays en se servant des pouvoirs de la gouverneure générale, du Sénat et d’une cabale de manifestants, équivaut à de la sédition, elle est complètement déconnectée de la réalité.

Compte tenu de ce qui s’est passé dans les dernières semaines, je ne crois pas que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence était justifié. Les manifestations à Ottawa ont dérangé beaucoup de gens. Or, causer des perturbations fait partie de la nature même des manifestations. J’en ai vu des centaines depuis ma nomination au Sénat. Parfois, il n’y avait qu’une seule personne qui tenait une pancarte, mais dans d’autres cas, il y avait des milliers de personnes qui manifestaient bruyamment. Toutes les manifestations légales sont protégées et jouent un rôle important dans notre système de gouvernement.

Tous les ordres de gouvernement ont des mesures législatives et des outils à leur disposition. Aucun de ces moyens n’a été employé efficacement, et la Loi sur les mesures d’urgence n’a pas été conçue expressément pour pallier l’inaction des gouvernements ou des forces de police qui ont manqué à leurs responsabilités respectives. Or, c’est exactement pour cela que la loi a été invoquée, et personne n’a expliqué pourquoi on a choisi de ne pas employer les moyens déjà accessibles.

De nombreux services de police, divers organismes gouvernementaux fédéraux et provinciaux, ainsi que tous les ordres de gouvernement savaient que ces manifestants s’en venaient des semaines avant qu’ils entreprennent leur voyage en Colombie-Britannique. Nous avons tous vu ce convoi avancer et prendre de l’ampleur, venant de l’est ou de l’ouest en direction d’Ottawa. La police a contribué à la mise en place de mesures de contrôle de la circulation, en plus de prévenir les parlementaires et ceux qui travaillent sur la Colline du Parlement de l’imminence d’une manifestation. Nous avons l’habitude de recevoir de telles notifications, et ce ne fut pas différent cette fois-ci.

Chers collègues, on m’a montré une liste de tous les Ontariens qui ont fait un don à ce convoi. Il y en a des milliers et des milliers, des petites villes aux grands centres urbains. Je connais leur nom, leur adresse et le montant de leur don. Si j’ai vu cette liste, vous pouvez être certain que le gouvernement l’a vue lui aussi. Il s’agit de milliers de citoyens ordinaires qui ont fait un don allant de 10 $ à 500 $. Le gouvernement peut geler leur compte de banque et il l’a peut-être même déjà fait. Il s’est à coup sûr donné le droit de le faire. Je n’utilise plus beaucoup l’argent liquide. Lorsque j’achète de l’essence pour ma voiture ou de la nourriture pour ma famille, les fonds sont tout simplement retirés de mon compte. De nombreux Canadiens courent maintenant le risque que leur compte de banque soit gelé, de sorte qu’ils n’auront plus accès à des fonds pour payer l’essence, la nourriture et, maintenant, les frais juridiques.

Honorables sénateurs, il y a des personnes mal intentionnées dans toutes les foules, mais toutes les personnes d’une foule ne sont pas mal intentionnées. La plupart sont des citoyens qui s’inquiètent des restrictions imposées par le gouvernement. À mon avis, le gouvernement est allé trop loin et il a ciblé injustement des citoyens respectueux des lois. Quand on ne sait pas qui sont les quelques personnes mal intentionnées, on gèle tous les comptes et on les dégèle un par un lorsque son détenteur peut prouver son innocence. Chers collègues, c’est une des approches contre-productives les plus dangereuses et c’est ce que nous avons maintenant au Canada, qui est pourtant le meilleur pays du monde selon la plupart des indicateurs.

La Loi sur les mesures d’urgence n’a été ni élaborée ni conçue pour servir de filet de sécurité en cas d’échecs flagrants de multiples administrations, des lois existantes ou de l’application de ces lois. C’est pour cette raison — et l’importance de ne pas créer un précédent qui placerait la barre trop bas en cas d’échecs futurs — que je ne peux pas appuyer la motion. Merci.

Son Honneur le Président : J’ai vu que le sénateur Gold a été le premier à se lever. Sénateur Plett, je vais donc lui donner d’abord la parole, puis ce sera votre tour.

Le sénateur Gold : Chers collègues, je tiens d’abord à remercier tous les sénateurs pour leurs interventions réfléchies au cours de cet important débat. Je prends la parole au nom du gouvernement du Canada pour annoncer au Sénat que le gouvernement a révoqué la déclaration d’état d’urgence au titre de la Loi sur les mesures d’urgence, conformément à l’article 22 de la loi.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Gold : Le décret approprié sera déposé en temps et lieu.

Retrait de la motion tendant à ratifier la déclaration d’état d’urgence

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Par conséquent, honorables sénateurs, je demande le consentement du Sénat pour mettre fin au débat sur la motion visant à confirmer la déclaration d’état d’urgence proclamée le 14 février 2022 et révoquée plus tôt aujourd’hui, et pour retirer l’ordre visant l’étude de la motion, le Sénat reprenant ses séances conformément au Règlement, aux ordres et aux pratiques autrement en vigueur.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(La motion est retirée.)

(À 16 h 24, conformément aux ordres adoptés par le Sénat le 25 novembre 2021 et le 21 février 2022, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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